Anecdotes
Vicky se prend pour un humain
(relatée chap 9, Aux origines de l'humanité, tome 2)
Vicky est une jeune chimpanzé qui a été
élevée par les époux Hayes, deux psychologues, au sein
d'un projet qui vise à lui apprendre à vivre dans un environnement
humain. Vicky a cinq ans. Les tentatives de lui enseigner l'anglais ont toutes
été infructueuses, mais par ailleurs Vicky présente des
dispositions cognitives étonnantes. Ce jour là, on demande à
Vicky de classer quarante photographies en deux catégories : " animaux
" et " êtres humains ".
" Vicky scrute attentivement chaque photographie et la place sur la bonne
pile. Confrontée à la photo d'un autre chimpanzé (son père,
en l'occurrence), la jeune femelle le classe sans hésitation avec les
animaux. En revanche, se reconnaissant sur l'un des clichés, Viki place
son portrait parmi les " êtres humains " ! " (De l'autre
côté du miroir, chap 9, Aux origines de l'humanité)
Cette anecdote surprenante témoigne d'une part d'une reconnaissance de
soi chez les chimpanzés, mais implique aussi que le concept de soi est
susceptible de varier en fonction de l'environnement du grand singe, au point
d'influer sur le sentiment de sa propre identité, de son appartenance
à une espèce, comme l'analyse James R. Anderson, qui conclut :
" cette expérience remet en question l'idée que la conscience
de soi serait propre à l'homme "
Le cas de Koko : un gorille qui se reconnaît
Koko est une gorille à qui on a enseigné le langage des signes et qui a été également entraînée à comprendre l'anglais vocal. Curieusement, Koko, à l'inverse de nombreux autres gorilles, se reconnaît indiscutablement dans un miroir. Elle se maquille avec une préférence pour une face toute blanche. Elle se pare de chapeaux ou de bijoux avant de foncer vers un miroir. Cette curieuse capacité nous rappelle qu'il faut toujours être prudent avant d'extrapoler les capacité d'un individu à toute une espèce ; la variabilité individuelle est très grande ; Cela pose aussi un problème épineux : si Koko se reconnaît mieux dans un miroir que ses congénères ,est ce grâce aux capacités linguistiques qu'elle a acquises, qui lui permettraient de se représenter mieux le monde à l'aide d'images mentales élaborées? Autant la relation outil /conscience ne semble pas pertinente (Ainsi que le montre Anderson au chap 9, les singes à queue qui disposent de stratégies techniques très élaborées n'ont pourtant pas conscience d'eux. On pourra se reporter au tableau récapitulatif p 381 ), autant langage/conscience beaucoup plus intéressante.
De plus, Koko ment. Accusée d'avoir pris des bonbons, elle répond en langage des signes "C'est Kate" (une autre expérimentatrice, absente pour le moment)
Belle sous surveillance : attribution d'intentionnalité
et de savoirs à l'autre
Dans le chapitre 12 des origines de l'humanité, tome 2, le propre de l'homme, Boris Cyrulnik évoque l'attribution d'une connaissance, ou du moins d'un désir à l'autre, allant cette fois d'un chimpanzé à chimpanzé, donc dans un contexte plus naturel que les expériences imaginées par Povinnelli ou Premack pour mettre en évidence une théorie de l'esprit chez les singes.
L'histoire se rapporte à Belle. Cette femelle
chimpanzé d'un tempérament craintif a été observée
dans le cadre d'une expérience menée par Boesch en 1992. Au cours
de l'expérience, on cache une boîte remplie de nourriture sous
un serpent naturalisé. Puis on attire Belle vers la boîte avant
de faire rentrer le reste du groupe. " En l'absence de Rock, le mâle
dominant, Belle entraîne le reste du groupe vers la boîte et partage
avec eux sa trouvaille. En présence du dominant et sous sa surveillance,
elle reste dans un premier temps à bonne distance de la cachette.
A peine esquisse elle un geste vers la cachette que rock la bouscule et s'empare
de la boîte. " Pourtant, Rock n'est d'ordinaire pas agressif à
l'égard de Belle. On a donc Belle qui attribue des intentions à
Rock (lui voler la boîte), et qui donc hésite à prendre
la boîte, et Rock qui attribue des intentions et des connaissances à
Belle (elle sait ou est la boîte et elle veut la prendre), et qui de ce
fait la surveille.
Dans le chapitre 12 des origines de l'humanité,
tome 2, le propre de l'homme, Boris Cyrulnik raconte un comportement spontané
observé par De Waal en 1997 :
" Marilyn, femelle chimpanzé, veut manger tranquillement la pomme
qu'elle vient de découvrir. Elle se dirige alors vers ses congénères
en poussant des cris d'alarme. Tandis qu'ils s'enfuient, Marilyn ramasse la
pomme et se met à manger. "
Cette anecdote comme bien d'autre est révélatrice
des capacités des primates à se représenter les capacités
d'autrui. De plus, ces observations dans un contexte plus naturel, plus spontanée,
sont sans doute moins équivoques que des tests qui prennent l'animal
au piège dans une représentation du monde qui n'est pas la sienne.
Ce mensonge comportemental plaide en faveur d'une théorie de l'esprit
chez les chimpanzés. Cyrulnik n'hésite pas à l'affirmer
: " Prétendre que les animaux n'ont pas, contrairement à
l'homme, de conscience réfléchie ne va pas du tout dans le sens
des observations et expérimentations actuelles "
" Ils (les chimpanzés ) peuvent donc prendre conscience et éprouver
des mondes mentaux partagés ".