LE FIGARO
13/02/02

La réforme du nucléaire est enfin prête

par Fabrice Nodé-Langlois

Le ministre de l'Environnement, Yves Cochet, présente aujourd'hui ,en Conseil des ministres, la réforme du contrôle et de la sûreté nucléaires. Annoncée dès 1997, cette réorganisation des services de l'État vise en principe à renforcer l'indépendance des experts et à améliorer la transparence dans le domaine sensible de l'atome. Les fonctions de gendarme du nucléaire d'une part et d'expert d'autre part seront regroupées dans deux nouveaux organismes, la DGSNR et l'IRSN (lire encadré). Le nouvel IRSN sera le résultat de la fusion de l'IPSN et de l'Opri, deux organismes dont les relations se sont envenimées ces derniers jours à propos des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl en France (nos éditions d'hier, 12février 2002). Le nom du patron du nouvel IRSN ne devrait pas être connu aujourd'hui. Il doit être élu par un conseil d'administration dont les membres ne sont pas encore désignés.

« Dans les domaines de haute technologie, qui comportent parfois des risques importants, je souhaite que les fonctions de contrôle ne soient pas confondues avec celles qui relèvent de l'exploitation. Si l'industrie nucléaire est un atout important pour notre pays, elle ne doit pas pour autant s'exempter des règles démocratiques. » C'est en ces termes que le premier ministre, Lionel Jospin, annonça, dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, sa volonté de réformer le dispositif du contrôle du nucléaire en France. Pour défricher ce dossier politiquement sensible, objet d'affrontements
successifs entre les ministères de l'Environnement, de la Santé et de l'Industrie, le premier ministre confia un rapport parlementaire au député Jean-Yves Le Déaut (PS, Meurthe-et-Moselle). L'élu rendit en juillet 1998 un document sous-titré « La longue marche vers l'indépendance et la transparence ». Jean-Yves Le Déaut constatait pour la critiquer la multiplicité des acteurs ? directions ministérielles et organismes publics ? chargés de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Pas moins d'une vingtaine sont concernés. Autre constat majeur : la radioprotection ? la protection des salariés du nucléaire, des professions médicales comme du public à l'égard de la radioactivité artificielle ? restait « le parent pauvre » du système. Enfin, trop souvent, la confusion régnait entre les rôles de contrôleur et de contrôlé. Le cas emblématique était celui de l'IPSN. L'Institut de protection et de sûreté nucléaire était chargé d'expertiser la sûreté des réacteurs d'EDF comme ceux du CEA. Or, même si l'IPSN dispose d'un budget autonome depuis 1990, il s'agit d'une direction du CEA, créée en 1976.
A la suite de son rapport, Jean-Yves Le Déaut fut chargé de rédiger un projet de loi sur la transparence et la sûreté nucléaire. Le projet a finalement été présenté au Conseil des ministres du 4 juillet, le dernier auquel Dominique Voynet a participé. Ce texte n'a pas été inscrit à l'ordre du jour du Parlement pour cette législature. En dépit des divergences au sein de la majorité plurielle sur le sujet, il est apparu que la refonte du système du contrôle et de la radioprotection ne pouvait pas attendre le vote de cette loi, reporté à une date incertaine. C'est pourquoi les décrets présentés aujourd'hui ont été raccrochés à une autre loi, ne portant pas sur le nucléaire, mais sur la création d'une Agence de sécurité sanitaire de l'environnement.
Jean-Yves Le Déaut proposait, entre autres dispositions, la création d'une autorité de sûreté indépendante. Une solution redoutée pour les partisans les plus fervents du nucléaire. Elle fut finalement rejetée par le Conseil d'État en 1999, qui estimait que des pouvoirs de police ne pouvaient être dévolus à une autorité autonome. Le nouveau gendarme du nucléaire s'appellera la DGSNR, direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (lire encadré). Principale nouveauté, celle-ci sera compétente aussi sur la radioprotection, qui dépendait du ministère de la Santé. Cette DGSNR sera placée sous la triple tutelle des ministres de l'Industrie, de l'Environnement et de la Santé. Un compromis qui, comme tel, fait des mécontents. Les Verts souhaitaient que le seul ministère de l'Environnement contrôle le nucléaire. Les partisans de l'atome, comme le député PS Christian Bataille, n'auraient pas vu d'inconvénient à ce que le seul ministère de l'Industrie conserve la tutelle. L'association la Crii-Rad pour sa part, s'insurge contre le fait que la radioprotection passe « sous la tutelle du ministère de l'Industrie ». Le « gendarme » s'appuiera sur les experts du nouvel IRSN. Principale disposition, conforme à l'objectif annoncé par le premier ministre il y a cinq ans : le contrôleur sera séparé du contrôlé. Les quelque 1 400 agents de l'IPSN ne dépendront plus du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). « Je suis resté dix ans à l'IPSN à attendre cette indépendance », raconte Philippe Hubert, qui est aujourd'hui conseiller au cabinet d'Yves Cochet. Une limite à cette indépendance : les réacteurs de recherche sur lesquels travaillent les scientifiques de l'IPSN, par exemple à Cadarache (Bouches-du-Rhône), pour évaluer les risques de fusion d'un coeur de réacteur, resteront la propriété du CEA. Plus difficile sera le mariage avec les personnels de l'Opri (Office de protection contre les rayonnements ionisants), qui seront minoritaires (225 personnes). Chaque organisme a sa culture propre.
Quelle sera l'autonomie du nouvel organisme d'expertise ? La question est d'autant plus légitime qu'il dépendra de cinq ministères, pas moins : Industrie, Environnement, Santé, Recherche et Défense. Des cadres de l'Opri et de l'IPSN redoutent les risques de paralysie.
Ces nouvelles institutions seront largement ce que les hommes qui les dirigeront en feront. Les échéances électorales approchant, un administrateur provisoire pourrait être nommé pour diriger l'IRSN. Ce n'est sans doute pas la meilleure façon de faire exister un nouvel organisme, ni la situation la plus confortable pour gérer une éventuelle crise.


PAGE PRECEDENTE                PAGE ACTEURS