1974 – 2005
Il faut joindre Grenoble à Sisteron – un peu plus d’une centaine de kilomètres à vol d’oiseau. L’intention actuelle, pratiquement inchangée depuis les débuts, est de soulager l’A7, l’ « Autoroute du Soleil », qui emprunte la vallée du Rhône, ainsi que d’améliorer la circulation dans les Alpes.
Mais par quel moyen ? Une autoroute, ou un simple aménagement des routes nationales existantes (dont la « Route Napoléon » qu’emprunta l’Empereur de retour d’exil) ? Et surtout : par un trajet presque rectiligne, ou bien en établissant une autoroute passant par l’Est, afin de desservir Gap ? Trois décennies que l’incertitude demeure.
C’est que les raisons abondent pour favoriser tel ou tel projet, et critiquer les autres. Il y a bien sûr l’opposition de certains riverains de Gap ; les reproches à l’égard d’un projet par Gap extrêmement difficile, coûteux et peut-être, au fond, plus nuisible que bénéfique à son économie ; la crainte d’une injustice si le projet, au contraire, ne dessert pas Gap, laissant alors les Hautes-Alpes enclavées et interdisant une liaison rapide vers l’Italie… et bien d’autres raisons, qui expliquent cette durée si longue, et que nous détaillerons bien sûr dans ce site.
Mais disons d’ores et déjà qu’à examiner globalement la chronologie du débat et des arguments soulevés par les partisans et adversaires de telle ou telle option, un fait apparaît. C’est que l’existence de ce projet de joindre Grenoble à Sisteron par voie rapide aura pratiquement coïncidé avec de grands bouleversements de la fin du siècle passé – et que c’est la rencontre de ces bouleversements avec le projet routier qui nourrira en grande partie la controverse.
La prise de conscience environnementale, son institutionnalisation à travers lois et chartes, a conduit à de sévères contraintes pour qui veut construire une route importante dans les Hautes-Alpes.
La construction européenne, favorisant le marché et le libre-échange, a bousculé les traditions françaises en matière de financement des infrastructures.
L’émergence de la démocratie participative (dont la CNDP, Commission Nationale du Débat Public, est actuellement en France l’outil le plus abouti) coïncide pratiquement avec l’histoire du dossier de l’A51, et y joue un rôle essentiel.
Enfin, la politique française, et notamment celle des infrastructures routières, aura évolué d’un extrême à l’autre – de l’ère du « tout autoroutier » à la réflexion multimodale des transports -, favorisant certaines approches, et discréditant les autres, au fil du temps.
Telle est donc, dans ses grandes lignes, la controverse autour de l’A51 entre Grenoble et Sisteron : la croisée des chemins de l’environnement, de la construction européenne, de la démocratie participative, de la politique d’aménagement du territoire – et du projet routier entre Grenoble et Sisteron. C’est cette croisée des chemins que nous nous sommes attachés à retranscrire ici.
Quelle méthodologie nous a guidés dans notre étude de controverse ?
C’est la métamorphose des faits et des contextes qui nous intéresse au premier chef.
La première leçon de la controverse, pour nous, réside dans son mouvement
même, dans ses perturbations irrégulières et imprévisibles. Comment se fait-il
qu’un projet en passe d’être mené à son terme à un instant donné se retrouve
soudainement anéanti au moment suivant ? Pourquoi certaines difficultés,
qui ont retardé un projet concurrent, n’ont surgi qu’à une période tardive de
son évolution, et non auparavant ?… Autant de phénomènes et d’incertitudes
qui font la controverse, et dont on ne peut se rendre compte pleinement, si on
ne se replace pas au moins dans le contexte qui précède leur survenue et dans celui
qui la suit. Si l’on veut saisir la controverse en vue de la lire et de
l’analyser, il faut donc déjà que l’on préserve au mieux son mouvement,
constitué des innombrables contextes successifs qui se transforment et
s’altèrent.
Mais alors, comment respecter la dynamique de la controverse ?
Une condition à cela consiste à
« formaliser » le moins possible la controverse, c’est-à-dire à la
décrire et à l’analyser le moins selon un schéma, une thématique ou une perspective
bien arrêtés. Ce serait le cas, pour donner un exemple très simple, si l’on
étudiait la controverse à l’échelle locale, puis nationale ; probablement,
bien sûr, que nous obtiendrions des résultats
intéressants, à agir ainsi, mais c’est toute l’interaction entre ces deux
niveaux que nous perdrions.
La question de la restitution de
la dynamique se ramène donc à celle de la possibilité d’un point de vue global
ou, en tout cas, suffisamment large pour ne pas contraindre et déformer la
controverse, et pour qu’on n’aie pas à l’analyser que par sous-ensembles, ce
qui reviendrait infailliblement à briser sa dynamique.
C’est ainsi en partant du
principe de tendre vers une telle vision globale, sans l’utilisation de schémas
d’analyses ou de thématiques déterminées qui contraindraient la controverse,
que nous avons construit ce site.
Ce
choix de décrire la controverse selon la perspective la plus large possible
aura la conséquence suivante, que nous vous signalons dès à présent. Cette
perspective large que nous nous efforcerons d’adopter, sera aussi la vôtre. En
conséquence, l’historique de notre controverse sera un outil de travail qui
vous autorisera à analyser n’importe quelle (ou presque…) entité de la
controverse
: un
acteur, une institution, mais aussi un parc naturel, un réseau autoroutier ou
un éboulement géologique... Ce site s’efforce ainsi délibérément de laisser
transparaître le moins possible la marque de ses auteurs, afin de vous offrir
tous les moyens nécessaires à une appréhension personnelle et indépendante de la controverse, ainsi qu’à l’analyse
de son mouvement.
De ces principes et de l’analyse
globale de la controverse que nous avons exposés plus haut - qui montrent que
l’histoire de l’A51 est celle de la confrontation d’un projet
« classique » avec les bouleversements socio-économiques, politiques
et environnementaux de son temps - découle le plan suivant, qui se veut clair
(il ne tiendra qu’en deux grandes étapes et une partie consacrée aux acteurs)
et représentatif de l’image adoptée de la « croisée des chemins ».
Dans un premier temps, nous démêlerons ces quatre chemins et ce projet, et raconterons ces cinq histoires, pour elles-mêmes. Non pour imaginer un hypothétique (et tout simplement impossible) déroulement absolument indépendant de celles-ci. Démêler ces cinq sujets n’est pratiquement qu’un artifice destiné à vous préparer à leur confrontation ; mais un artifice autorisé par le fait que ces cinq histoires, prises pour elles-mêmes, possèdent chacune une remarquable cohérence – et une dynamique -, ce qui nous autorise à les séparer dans un premier temps pour les raconter, pour étudier leur évolution, leur mouvement au cours des ans – et pour mieux les confronter ensuite.
Nous nous limiterons naturellement, dans l’analyse de l’évolution de l’environnement, de la démocratie participative, de la construction européenne et des infrastructures françaises, aux seuls aspects intervenant dans le débat de l’A51. C’est à la première partie, « Quatre chemins et un projet », qu’est dévolue la tâche de décrire ces histoires.
La description du projet routier fera notamment l’objet d’un traitement interactif mettant bien en valeur le choix des tracés, la variété des problèmes à affronter, la complexité du travail à mener afin de lever au mieux ces obstacles, ainsi que les effets multiples d’une infrastructure routière sur ce qui l’entoure. Nous vous recommanderons d’ailleurs d’entrer dans le site avec cette approche.
Viendra en second temps, qui est le temps crucial : celui de la rencontre des chemins et du projet. C’est à l’historique que revient la charge de décrire cela.
Son but est ambitieux, car il s’agit rien moins que de décrire ce qui fait l’âme et la complexité d’une controverse : une multitude d’interactions et d’influences à plus ou moins long terme, chacune d’elle bouleversant les contextes, les positions des acteurs, les données du problème (si tant est qu'il y en ait de saisissables)… tout cela dans une perspective dynamique et globale, comme expliqué un peu plus haut.
Sa méthode est la suivante : reconstituer tous les contextes possibles, et reconstruire tous les points de vue, pour n’importe quel projet (autoroute à l’Est de Gap, à l’Ouest, aménagement de voies existantes, alternatives ferroviaires, etc.), et à n’importe quel moment.
Il sera alors possible de suivre l’évolution de n’importe quelle entité de la controverse – et, partant, d’apprécier, par vous-même, la dynamique de la controverse et de ses objets depuis les origines.
L’essentiel du site repose dans
ces deux parties (« Quatre chemins et un projet » et l’historique)
qui tâchent de reconstituer le mouvement de la controverse. Elles sont suivies
d’un ensemble dédié à la cartographie et
aux entretiens, regroupant une cartographie, une analyse des acteurs, et des
entretiens.
Nous avons également conçu la partie dédiée aux acteurs de la controverse afin qu’elle s’inscrive dans une perspective large. De même que pour les chemins et le projet, chaque acteur, bien qu’il influence et est influencé par les autres acteurs, peut toujours être observé en soi car il agit avec cohérence ; mais de même, la description de l’acteur reste largement incomplète si on ne replace pas son histoire dans le véritable contexte où celle-ci s’est déroulée. C’est la raison pour laquelle les descriptions d’acteurs ne se limiteront pas à un récit linéaire des positions adoptées, mais renverront également dès que possible à l’historique dont le but est, justement, d’essayer de reconstituer tous les contextes possibles.
Enfin, dans la même partie que celle de la cartographie et des acteurs, vous trouverez les textes des interviews que nous avons menées durant notre étude.
Nous tenons à remercier les acteurs importants du débat qui ont bien aimablement accepté de nous livrer leur connaissance du dossier, et dont vous retrouverez les interventions dans les « Entretiens ».
Mme Henriette MARTINEZ, Députée des Hautes-Alpes (UMP), maire de Laragne, défendra ses convictions en faveur de l’établissement de l’A51 par l’Est de Gap.
M. Jean LAFONT, membre du cabinet de Mme Dominique VOYNET, Ministre de l’Environnement de 1997 à 2001 puis d’Yves COCHET de 2001 à 2002, Ingénieur Général des Ponts et Chaussées, nous expliquera quelles raisons ont amené le gouvernement de M. Lionel JOSPIN à suspendre le dossier de l’A51 en 1997.
Les deux conversations que nous avons menées avec eux ont été intégralement retranscrites.
M. Jean-David ABEL, membre du cabinet de Dominique VOYNET de 1997 à 2001 puis d’Yves COCHET de 2001 à 2002, adjoint au maire de Romans (Verts), nous fournira également les causes de la suspension du dossier en 1997, mais d’un point de vue plus « politique » que celui exprimé par son ancien collègue M. Jean LAFONT.
Vous retrouverez l’essentiel de ses idées dans la même partie que les retranscriptions complètes des deux précédents acteurs.
Mme Danielle BARRES, membre de la Commission Particulière du Débat Public chargée d’organiser le débat public autour de la liaison entre Grenoble et Sisteron, Ingénieur à l’INRA, nous a expliqués le fonctionnement de la CNDP et les modalités du débat qui vient d’être lancé ce 7 juin. Les explications livrées durant l’entretien forment en grande partie la matière du « chemin » de la démocratie participative, dans la première partie du site.
Enfin : nous témoignons de notre reconnaissance la plus chaleureuse aux habitants de Grenoble, de Gap, de Lus-la-Croix-Haute, de Sassenage… que nous avons rencontrés aux cours de nos tribulations dans l’Isère et les Hautes-Alpes, durant notre MIG dédié, justement, au chantier de l’A51, et qui nous ont livré leur point de vue sur le débat. Et bien sûr, une pensée particulière pour notre équipe de MIG et pour ses trois coordinateurs du CGI !
Nous vous invitons maintenant à entrer dans la controverse de l’A51.
Nous formons le voeu que ce site vous apparaîtra tel que nous avons souhaité qu’il apparaisse : comme un véritable outil de travail dynamique et « cinématique », exprimant le mouvement de la controverse et des chemins qui se croisent et se frappent, restituant aussi précisément et fidèlement que possible l’évolution du contexte, et vous offrant la possibilité d’adopter et de suivre en toute liberté la plus grande variété de points de vue possibles. Ainsi fut notre objectif primordial.
Entrée dans le site :
par le projet routier entre Grenoble et Sisteron, avec introduction interactive aux deux tracés Est et Ouest
par le premier « chemin » de l’Environnement