Les modèles

La controverse au niveau scientifique : les différents modèles

 

Pour essayer de prévoir les productions futures de pétrole, on a recours différents modèles.

 

Le modèle R/P

Il s’agit du modèle de référence de l’Agence Internationale de l’Energie (lien), et aussi du BP Statistical Review. Son application est très simple : R représente les réserves restantes, c'est-à-dire les quantités de pétrole qui seront sorties du sol jusqu’à son épuisement, et P est la production annuelle mondiale. Le résultat du quotient de R par P est de la dimension d’un temps, c’est d’après ce modèle le temps qu’il reste avant épuisement du pétrole. Il suppose que la production annuelle P est constante dans le temps, et aussi que la quantité des réserves mondiales est bien connue. Le résultat en 2005 de ce modèle est le suivant : il reste 40,6 années de pétrole.

Ce modèle est violemment critiqué quasiment par tous les acteurs qui le qualifient d’escroquerie scientifique. En effet, la production peut difficilement être considérée comme constante. De plus, l’AIE utilise ce modèle alors qu’elle prévoit une hausse de la demande de plus de 30% d’ici 2030. Les résultats de ce modèle sont aussi très contestables : le rapport R/P devrait diminuer d’une unité chaque année si le modèle approchait la vérité. Or aux Etats-Unis ce rapport vaut 10 ans depuis 80 ans, ce qui signifie que depuis 80 ans, les Etats-Unis n’ont plus que 10 ans de réserves.

Selon le R/P, la production va être constante pendant 40,6 ans et s’arrêter brutalement. Tous les acteurs impliqués dans le monde pétrolier savent qu’un champ ne s’arrête pas de produire du jour au lendemain : il connaît une longue phase de décroissance avant de s’arrêter. Ce modèle pourrait à la rigueur être envisagé pour la production de gaz, qui s’arrête brusquement à la fin de l’exploitation d’un champ, mais il souffre de nombreux maux pour le pétrole.

 

 

Le modèle de Hubbert

M. K. Hubbert a développé un modèle où les profils de production ont la forme d’une courbe en cloche. Il s’est appuyé sur l’observation du profil de production au cours du temps pour des régions épuisées en pétrole. Ce profil présente souvent, en début d’exploitation, une croissance exponentielle avec un taux qui dépend des qualités des gisements et des moyens mis en oeuvre, eux-mêmes liés à la demande. Cette phase est suivie d’un maximum puis d’une décroissance exponentielle jusqu’à 0 pour tenir compte des limites finies des réserves. Le modèle reste simpliste par rapport aux observations mais il est plus réaliste que le modèle R/P.

Dans son article de 1956, M. K. Hubbert ne donne pas de forme analytique pour le profil de production, faisant les tracés probablement à la main sur un graphe. Par la suite il utilise la fonction logistique. La loi logistique a été utilisée pour modéliser la croissance d’une population N(t). Elle vérifie l’équation : la dérivée de N = dN/dt = aN(1-N/No). dN/dt présente un profil en forme de cloche. M. K. Hubbert a fait une analogie physique entre une population N(t) et la production cumulée de pétrole. Ensuite, il a utilisé deux méthodes différentes.

La première méthode consiste à remarquer que les découvertes de pétrole ont connu un pic en 1960 : depuis cette date, on trouve de moins en moins de nouveaux gisements. Or d’après Hubbert, la courbe des découvertes et celle de production ont la même allure, mais sont décalées dans le temps. Il a estimé que ce décalage valait quarante ans au niveau mondial, ce qui donne un pic de production autour de l’an 2000.

La deuxième méthode est plus mathématique : à partir de l’estimation des réserves totales en place, il essaie d’approcher la courbe de production par une courbe logistique définie ci-dessus. Son estimation des réserves mondiales était de 1250 milliards de barils, et il a obtenu un maximum vers 2000 avec 12,5 milliards de barils produits cette année (incertitude d’environ 5 ans et 1 milliard de barils).

Une méthode simplifiée de ces calculs est disponible ici (lien vers les documents les math derrière le pic de Hubbert).

En 2000, la production de pétrole a été de 24 milliards de barils et elle continue à augmenter depuis. Ce modèle est-il mauvais pour autant ? On peut tout d’abord dire que par rapport aux autres prévisions de l’époque, ses chiffres sont meilleurs : par comparaison les prévisions données lors de la conférence mondiale de l’énergie en 1950 situaient la production de l’ensemble pétrole et gaz naturel à 2,4 milliards de barils pour 2000. De plus, la prévision de Hubbert pour la production de pétrole aux Etats-Unis hors Alaska s’est révélée exacte, ce qui explique que le principe fondamental de son modèle (profil de production en cloche) soit conservé dans les modèles récents plus évolués.

Malheureusement, c’est cette hypothèse du modèle qui est critiquée par les compagnies pétrolières, qui aiment à répéter que « le monde n’est pas fait de courbes de Gauss ».

 

Le modèle de Jean Laherrère (lien)

 

Jean Laherrère distingue trois contributions dans la production mondiale, chacune étant ajustée par une courbe logistique (la même que King Hubbert) :

- une courbe pour modéliser le maximum secondaire vers 1975 résultant de la forte croissance avant 1973 et des crises ultérieures. Cela concerne une petite partie du pétrole brut ;

- Une autre courbe pour la production du reste du pétrole brut, décrivant la tendance générale depuis la fin du 19e siècle ;

- la dernière pour la production de tous les autres hydrocarbures liquides (depuis les liquides de gaz naturel jusqu’aux biocarburants en passant par les gains en raffinerie) avec un taux de croissance plus faible que sur les autres courbes.

La courbe globale présente un maximum vers 2015 avec une production de 32 milliards de barils cette année-ci. On remarque que le modèle comporte plus de paramètres que celui de Hubbert, et ainsi que son résultat a l’ordre de grandeur probable de la production en 2015.

Néanmoins, Jean Laherrère n’aime pas présenter ce modèle, ou même simplement avancer une date pour le pic pétrolier. Son cheval de bataille est plutôt la correction des données publiées par toutes les organisations mondiales ou compagnies pétrolières grâce à sa propre base de données impressionnante. Lorsqu’on lui parle de ses méthodes d’approximation par des courbes logistiques, il répond qu’il fait tout « à l’œil, à la pratique ». Il admet que même son modèle est une grossière approximation, il ne croit pas en l’idée d’un pic unique et aigu, mais plutôt en un « plateau ondulé », ce qui est totalement différent de la courbe qu’il présente. Il ne veut pas faire passer de message, il veut juste que ses auditeurs se fassent leur propre idée en regardant ses graphes.

 

Le modèle de Colin Campbell ( lien vers les experts)

Ce modèle est le plus élaboré des trois pour pouvoir faire des prévisions plus fines. Colin Campbell calcule le profil de production pour chaque pays, et en fait ensuite la somme pour obtenir celui pour le monde. En outre il distingue différentes catégories de pétrole suivant leur mode de production. Chaque catégorie est caractérisée par un taux de croissance (ou de décroissance) et une valeur de la quantité ultime de pétrole récupérable. Les différentes catégories sont :

- le pétrole brut dit régulier ;

- le pétrole brut des champs en eaux profondes (profondeur supérieure à 500 m) ;

- le pétrole brut des champs dans le cercle polaire ;

- les pétroles « lourds », « extra-lourds » et bitumes (densité supérieure à 0,952) ;

- les liquides de gaz naturel.

Les limites sont définies de manière parfois arbitraire (valeurs pour la densité du pétrole, profondeur d’eau, latitude géographique) mais séparent à peu près des modes de production assez différents. C. Campbell obtient la production mondiale par catégorie. Le modèle de C. Campbell tient compte de beaucoup plus de facteurs que les autres. Avec ses nombreux paramètres, il est lourd à calculer et des révisions sont fréquentes avec des conséquences sur la date du maximum. Mais sa distinction semble pertinente au vu des différences de profil de production de chacune des catégories.

Profil de production mondiale en milliards de barils équivalent pétrole d’hydrocarbures liquides et gazeux de 1930 à 2050 d’après les données de production et d’après le modèle de C. Campbell. De bas en haut les différentes contributions sont : le pétrole dit régulier, le pétrole bitumeux (noir), le pétrole des gisements en eaux profondes (ondulé), des zones polaires (blanc), les hydrocarbures liquides des champs de GN (incliné), le gaz naturel et le gaz non conventionnel. Le maximum de production aura lieu vers 2010. Source : ASPOnews n°60, décembre 2005.

 

 

Le modèle d’Albert Bartlett

Ce modèle est d’un genre différent car il est totalement mathématique. Le premier changement intervient dans le choix de la courbe : contrairement aux modèles précédents, Albert Bartlett a choisi d’utiliser une courbe de Gauss. La justification physique semble peu évidente. Le théorème central limite sur la distribution de probabilité de variables aléatoires est souvent évoqué. Il revient à assimiler les profils de production à des distributions de probabilité de variables aléatoires de temps, avec la date du pic en guise de temps le plus probable. Le théorème établit que la somme de variables aléatoires indépendantes tend vers une variable de distribution gaussienne, quelque soit la distribution des variables de départ. Le théorème semble difficilement applicable au cas de la production de pétrole. Les temps auxquels démarre la production des champs sont rarement indépendants. Les ajustements de données expérimentales semblent d’ailleurs moins bons. On peut noter aussi un autre fait : alors que la courbe de Gauss est mieux connue que la courbe logistique, M. K. Hubbert a préféré cette dernière.

Mais Albert Bartlett veut utiliser dans son modèle des propriétés connues de la courbe de Gauss. De plus, il justifie son approximation en avançant que la courbe de Gauss est une courbe en cloche, comme la dérivée de la fonction logistique, donc les modifications sont faibles.

Le principe est le suivant : on place sur un graphe les productions annuelles de pétrole au niveau mondial. On cherche ensuite à approcher le mieux possible ce nuage de point par une courbe de Gauss en faisant varier l’écart-type de cette gaussienne, son intégrale sur le domaine des réels (qui correspond à la quantité totale de pétrole récupérable au monde) et la date du pic. Les propriétés des gaussiennes nous assurent qu’il existe une unique courbe dont l’écart au nuage de point en termes de moindres carrés en minimal. En d’autres termes, une seule courbe approche au mieux la courbe de production.

La particularité de ce modèle est que les données géologiques ne sont pas les hypothèses du modèle mais les résultats ! La courbe la plus proche nous donne la date du pic mais aussi la quantité totale de pétrole récupérable. Le premier résultat est le suivant : le pic a eu lieu en 1990, et la quantité totale de pétrole récupérable est 1115 milliards de barils. Etant donné que ces résultats sont loin de la réalité, il convient d’ajuster les paramètres a posteriori : Pour des valeurs de la quantité totale de pétrole récupérable de 2000, 3000 et 4000 milliards de barils, la date du pic passe respectivement à 2004, 2019 et 2030, ce qui semble plus raisonnable.

Ce modèle est intéressant du point de vue mathématique, mais il est justement critiqué pour son manque de fondements sur la réalité : Jean Laherrère et Colin Campbell sont des géologues qui on l’habitude du terrain, ils savent corriger leurs données et ajuster leur modèle lorsqu’il y a un problème, ce que Bartlett ne peut faire.

Conclusion sur les modèles

Un modèle se détache particulièrement du lot : le R/P brille par sa simplicité, et c’est ce qui fait sa faiblesse pour ses détracteurs. Il ne prend pas en compte la réalité physique et économique de l’extraction du pétrole, et donne surtout des résultats incohérents au fil des années.

Les quatre autres modèles plus complexes se ressemblent quand on les compare au R/P : le principe est d’approximer la courbe de production par une courbe en cloche. Même si les méthodes diffèrent sur les hypothèses ou sur les formes des courbes, il existe peu de débat entre ceux qui les ont créés. En effet, toutes ces personnes appartiennent au même groupe d’acteurs dans notre controverse : les pessimistes. Tous ces modèles ne sont que des moyens variés de montrer la même vérité. Le fait de passer d’une courbe logistique à une courbe de Gauss ne fait varier le pic que de quelques années, ceci ne modifie pas radicalement le discours de celui qui présente le modèle…