La réaction de l’URSS face à la catastrophe de Tchernobyl a été critiquée par plusieurs. Quelques jours après la catastrophe, le 29 avril 1986, une réunion secrète a eu lieu entre les hauts dirigeants soviétiques. Les propos échangés lors de cette réunion ont été rendus publiques cette année, en 2006. On y remarque un certain affolement des dirigeants et la volonté de cacher au grand public la catastrophe. En effet, quelques jours après l’accident, les autorités ont affirmé qu’une « fuite nucléaire » était survenue lors d’un essai plutôt qu’une « explosion nucléaire ».

Le 14 mai 1986, le Secrétaire général du comité central du parti communiste de l’Union Soviétique, M. Gorbatchev, a adressé une lettre à l’intention du Secrétaire général des Nations Unies. Dans cette lettre, l’URSS affirme la gravité de la situation ainsi que sa détermination à en minimiser les conséquences. M. Gorbatchev fait état des actions ayant été faites dans cette optique. Le problème de la désinformation soulevé par la communauté internationale est abordé. La lettre se termine dans un ton plutôt accusateur, ciblant principalement les Etats-Unis. Rappelons qu’à cette époque, la Guerre Froide n’était pas terminée.

Puis, dans les semaines suivantes, deux documents importants sont parus sous l’étiquette « absolument confidentiel » : un premier rapport donnant les premières informations sur les conséquences sur la santé de la population et un second portant sur le niveau de radiation reçu.

29 avril 1986 : Réunion secrète

Stratégies de diffusion d’information

Trois jours après la catastrophe, les dirigeants soviétiques se sont réunis à Moscou. Publiés pour la première fois en 2006, les termes de cette réunion suggèrent la désinformation comme stratégie adoptée à court terme. En effet, les dirigeants y affirmèrent leur désir de faire passer l’accident comme une fuite radioactive. Les soviétiques souhaitaient ne pas perdre leur réputation dans le domaine du nucléaire. Ainsi, le chef d’Etat à l’époque, Mikhaïl Gorbatchev, aurait affirmé :

Quand on donnera une information, il faudra dire que la station était en travaux, pour ne pas porter ombrage à notre équipement.

Ensuite, les dirigeants discutèrent des informations qui seront diffusées. Ils en conclurent que les informations seraient adaptées aux destinataires. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, Andreï Gromyko, proposa :

Il faut donner plus d'informations à nos pays frères, et une information (différente) à Washington et à Londres.

Dans le même ordre d’idée, le Premier ministre, Nikolaï Ryjkov, aurait déclaré :

Rédigeons trois messages: le premier pour les nôtres, un autre pour les pays socialistes, et un troisième pour l'Europe, les Etats-Unis et le Canada.

Ainsi, le 29 avril, le Comité Central du Parti Communiste adressa une résolution à toutes les capitales d'Europe de l'Est stipulant que «d'après les données des organismes soviétiques compétents, le niveau de radiation dépasse quelque peu les normes admises, mais pas suffisamment pour justifier l'adoption de mesures spéciales de protection pour la population».

Lettre du 14 mai 1986 adressée aux Nations Unies

Dans cette lettre, le Secrétaire général du comité central du parti communiste de l’Union Soviétique, M. Gorbatchev, informe la communauté internationale de l’objectif de l’URSS d’atténuer les conséquences de l’accident. À cet effet, il est dit qu’une commission a été formée. Cet accident représente la première urgence si importante à laquelle fait face l’URSS. M. Gorbatchev avance prudemment qu’il est encore trop tôt pour affirmer quelles sont les causes de l’accident. De plus, contrairement à ce qu’a affirmé la communauté internationale, le Secrétaire général affirme que la population a été suffisamment informée :

The seriousness of the situation was obvious. There was a need to evaluate it urgently and competently. And as soon as we received reliable preliminary information it was made available to the Soviet people and sent through the diplomatic channel to the Governments of foreign countries.

Dans la lettre, il est ensuite dit que la priorité des autorités soviétiques est d’assurer la santé de la population et d’apporter des mesures d’aide appropriées. Le Secrétaire général en profite ensuite pour offrir ses condoléances aux familles des 9 employés du site décédés jusqu’à alors. (2 au moment de l’explosion et 7 dans les jours qui suivirent)

Assistance to the people, I repeat, remains our top-priority task.

Selon les autorités soviétiques, malgré la gravité de la situation, la situation ne peut évoluer qu’en s’améliorant.

Thanks to the effective measures taken, we may say that the worst is behind us.

Bien que le niveau de radiation enregistré dans les régions avoisinantes de Tchernobyl ait été considéré dangereux pour la santé, les dégâts causés ont été évalués comme étant limités en général. L’équipe de scientifiques qui a été déployée pour étudier et prévoir les conséquences semble compétente selon les autorités.

I have every reason to say that, despite the gravity of what happened, the damade turned out to be limited, largely because of the courage and skill of our people; their loyalty to duty and the well co-coordinated action being taken by everybody in dealing with the aftermath of the accident.

Enfin, la contribution de l’AIEA est souhaitée. Le Secrétaire général remercie le soutien de l’organisme dans la situation.

Un contexte de Guerre Froide

Il est intéressant de remarquer que l’accident de Tchernobyl est survenu vers la fin de la Guerre Froide. Ainsi, il existait des tensions importantes entre les socialistes et les capitalistes. La citation suivante illustre d’abord la division dans les relations de politique internationale.

We are deeply grateful to our friends from socialist countries for showing solidarity with the Soviet people at a difficult moment. Our acknowledgements go also to politicians and public figures in other States for their genuine sympathy and support.

Ensuite, le Secrétaire général accuse la communauté capitaliste de pointer du doigt la désinformation des autorités soviétiques simplement pour détourner l’attention d’autres problèmes du moment. Parmi ceux-ci figurent l’accusation de la Libye pour cause de terrorisme.

One is reluctantly forced to the conclusion that the leaders of the capitalist Powers meeting in Tokyo wanted to use Chernobyl to distract world attention from these matters, (…)

Enfin, le Secrétaire général se permet de faire allusion aux événements d’Hiroshima et de Nagasaki en accusant les Etats-Unis d’un manque de responsabilités. Le même ton accusatif se poursuit en rappelant que lors de la tragédie nucléaire au site Three-Mile Island en 1979, les Etats-Unis auraient attendu 10 jours avant d’en informer la population.