Claude Fugain appartient au service ORL de l'hôpital Saint-Antoine, le service pionnier français dans l'implantation des sourds adultes et enfants.
Le Docteur Fugain a rejoint l'équipe du Professeur Chouard au début des années soixante-dix, en même temps que le Professeur Meyer (à l'époque interne en chirurgie, il dirige aujourd'hui le service ORL de Saint-Antoine). L'idée du premier implant aurait jailli dans l'esprit du Docteur Chouard (chirurgien) et du biologiste sensoriel Patrick Mac Leod sur un coin de table au café Florian : en stimulant la cochlée grâce à plusieurs électrodes implantées dans le cerveau, il serait possible d'obtenir un signal auditif.
Dès 1972, l'équipe du Dr. Chouard commence à expérimenter ses premiers implants. La fabrication des implants était alors assurée par une équipe d'ingénieurs (entreprise Bertin), qui travaillaient en étroite collaboration avec l'équipe du docteur Chouard. En 1976, le premier appareil portable est proposé (avec un boîtier extérieur de 2,5 kg). Au départ, les premiers à bénéficier d'implants étaient des sourds adultes congénitaux.
La controverse est lancée lorsque l'équipe du Dr. Chouard déclare publiquement qu' « implanter les enfants est une urgence thérapeutique ». Dès lors, un groupe de médecins regroupé autour du Dr Portman (Chirurgien à Bordeaux et dont la femme est médecin "traditionnelle" pour les enfants sourds) s'oppose à cette idée : pour eux, il faut utiliser au maximum les possibilités des prothèses classiques (amplificateurs, ...) et développer des méthodes plus "anciennes" (comme le Parler Compléter, la LSF, la lecture labiale...) avant de considérer les implants cochléaires. Cet avis est soutenu et relayé par des linguistes, des psychologues (comme le docteur Virole), des professeurs de LSF ou des directeurs de centres dédiés aux enfants sourds. Ils sont rejoints par le mouvement des Sourds en colère qui participent au débat général en organisant des manifestations "bruyantes" (sifflements, tapements de pieds, cris... car ils étaient incapables de parler) dans divers hôpitaux.
Le Dr. Fugain se retrouve alors en première ligne et exposée à toutes sortes d'attaques dans des émissions télévisées ou dans des journaux. Les implanteurs y sont décrits comme des « épurateurs ethniques ou raciaux » et accusés de se servir des sourds comme « cobayes », n’hésitant pas à rendre fous les sourds en les « assommant » par le bruit. Pour le docteur Fugain, ces médecins et professeurs de LSF ont manipulés les sourds en déformant la réalité : les médecins n'interviennent pas "dans le cerveau", ils se contentent de placer une électrode "SOUS la peau du crâne. De même, il ne s’agissait pas de la dernière victoire de la méthode oraliste après les débordements des Congrès de Milan. Elle récuse aussi l'accusation faite d'avoir mis au point les implants dans "une arrière-cuisine" : dès le départ, les crédits de recherche ont été alloués par les différents organismes d'Etat.
Elle qualifie cette controverse de « guerre d’un autre siècle » et de lutte contre « l’obscurantisme ».
Aujourd'hui, la majorité des médecins s'est désormais rangée du côté de l'équipe du Dr. Chouard. Le Dr. Portman pratique, par exemple, désormais de nombreuses poses d'implants cochléaires à Bordeaux. La plupart ont même fait des excuses publiques dans les colloques pour avoir fait perdre du temps à la recherche française. En effet, pendant ce temps, les Australiens, les Américains, les Belges ont développé en s'inspirant du modèle français (en modifiant juste la bande passante pour contourner le brevet déposé) leurs propres implants cochléaires et les ont massivement implantés aux jeunes enfants sourds (en Belgique, aujourd'hui on implante les enfants dès 6 mois, alors qu'en France l'âge moyen est de deux ans). Aujourd'hui, le brevet est tombé dans le domaine public et les différentes équipes françaises travaillent sur les implants pour améliorer leurs fonctionnalités (écouter de la musique, utilisation dans un environnement bruyant,...) et de plus en plus de fabricants proposent de nouveaux modèles.
Les directeurs et professeurs des centres dédiés aux sourds ont dû de même s'adapter à la situation : si auparavant, ils avaient un certain contrôle sur les parents en imposant l'envoi des enfants dans tel ou tel école où l’enseignement était imposé, ils doivent désormais accepter des enfants qui arrivent dans l'école à trois-quatre ans avec un implant cochléaire.
Seuls les Sourds en Colère continuent à manifester leur opposition. Mais le Dr. Fugain refuse désormais toute confrontation car ceux-ci sont en effet dans la plus grande majorité incapable de communiquer avec elle oralement ou par écrit.
Le Dr. Fugain reconnaît que la technique des implants a été considérablement améliorée au cours des 30 dernières années grâce aux divers retours d'expérience, qui constituent le seul moyen d'améliorer la technique. Au départ, les médecins ne savaient par exemple pas que les métaux (qui constituent l'électrodes) n'étaient pas étanches : en réopérant 15 ans après, ils ont découvert que les électrodes étaient complètement rouillées. Depuis, ce problème a pu être résolu.
Les réglages de l'implant ont aussi été affinés au cours du temps : au départ, ils étaient réglés un peu trop fort (ce qui pouvait assommer certaines personnes). Au contraire aujourd'hui, ils ont constaté que même en envoyant un signal avec une énergie moindre, la compréhension des mots restait possible avec un meilleur confort de vie. Pour elle, il est naturel que la technologie progresse ainsi (par retour d’expériences).
Elle aborde aussi le problème des méningites apparues après l'utilisation de l'implant américain Ineraid (méningites qui ont provoqué 3 décès aux USA et un en Espagne) : ces méningites n'étaient le résultat que du fonctionnement particulier de cette électrode et depuis, la FDA a interdit leur commercialisation.
Elle rappelle que seule l’expérience permet de vérifier des « idées ou théories », le Dr. Chouard était, par exemple, au départ persuadé que seuls les sourds congénitaux (qui n’ont donc jamais entendus) pourraient bénéficier des implants car il pensait que la place dans le cerveau était déjà prise. Aujourd’hui, les médecins savent que cette idée était fausse : les centres auditifs dans le cerveau ne sont pas limités et les IRM montrent que la stimulation des électrodes activent presque toutes les zones du cerveau.
De même, au départ, les scientifiques ne savaient pas qu'une implantation effectuée sur des sourds adultes congénitaux jamais exposés au langage orale n'avait aucune chance de réussir. Les connaissances sur le cerveau montre aujourd'hui que celui-ci doit avoir été exposé au langage le plus tôt possible pour pouvoir utiliser l'information apportée par les électrodes. C’est pourquoi elle a participé au sein de la HAS (Haute Autorité de la Santé) à la rédaction des textes qui vont garantir à tous les enfants sourds désireux la pose d’un implant dès le plus jeune âge (une dizaine de mois), ainsi qu’un changement des électrodes au fur et à mesure des progrès scientifiques. Les médecins ont en effet constaté qu’il était tout à fait possible de changer les électrodes avec une intervention bénigne (l’électrode s’est « fait sa place dans le cerveau ».). De même, si par exemple sur les 15 électrodes, 9 sont cassées, cela n’a pas d’importance car en remettant une nouvelle multi électrode complète : tous les axones seront stimulés.
Au départ, l’équipe du Dr. Chouard n’avait qu’une idée : « permettre aux sourds d’entendre ». Les signaux électriques envoyés par les électrodes ne constituent certes pas du tout ce que nous (entendants) percevons, mais les premiers mots du premier patient dont la cochlée fut stimulée électriquement furent : « J’entends ! ». Depuis lors, ils n’ont eu de cesse d’améliorer ce signal perçu mais surtout de mettre au point des processeurs capables de fournir toute l’énergie possible tout en diminuant la taille des boîtiers.
Elle veut bien croire que certains enfants implantés parmi les premiers aient eu des troubles psychologiques, mais d’après elle, cela proviendrait plus de l’accueil reçu dans les structures d’accueil où les encadrants et les autres enfants n’hésitaient pas à manifester leur haine à l’égard de l’enfant implanté.
Le chiffre de 25 % d’échec, avancé par certains sourds pour justifier leur opposition aux implants, ne lui parait pas choquant, dans la mesure où il ne s’agit qu’un d’un jugement « subjectif » des sourds émis sur leur implant. Avant l’opération, les sourds sont prévenus qu’ils ne peuvent espérer une réparation de l’audition comprise entre 30 et 90 % d’une audition normale (il s’agit ici de l’échelle pour les adolescents ou adultes implantés). Au départ, ils affirment tous que même 20% leur suffirait, mais après l’opération et 80 % de récupération, ils se plaignent de ne pas pouvoir regarder la télévision ou de ne pas utiliser le téléphone. D’après elle, il n’existe presque aucune corrélation entre les résultats objectifs (vus sur les audiogrammes) et ceux exprimés par les sourds eux-mêmes dans les questionnaires qu’ils doivent remplir après les opérations. Elle rappelle tout de même que jusqu’à présent, elle n’a croisé aucun sourd implanté qui serait prêt à lui rendre son implant ou qui regretterait son opération.
Elle ajoute qu’aujourd’hui tous les médecins et les neurobiologistes sont d’accord sur le fait que nous n’entendons pas grâce à nos oreilles, mais grâce à notre cerveau (qui est capable de gérer et de comprendre l’information auditive (apportée par l’oreille ou par une électrode). De là, découle le fait que certains patients, un peu moins «intelligents ou doués », obtiennent des résultats bien inférieurs à d’autres personnes, qui elles se révèlent capables de comprendre des mots très facilement.
Dès qu’un sourd retire son boîtier extérieur ou si celui-ci tombe en panne, il n’entend plus rien du tout. En effet, la pose d’électrodes dans le crâne est irrémédiable : l’oreille ne pourra plus fournir aucun signal. C’est pourquoi les différents services ORL de France capables de pratiquer la pose d’implants cochléaires sont maintenant regroupés dans une association unique en son genre : l’IFIC. Ils travaillent tous ensemble afin de pouvoir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 répondre aux besoins de leurs patients.
Par contre, elle s’oppose à la pose d’implants dans le privé car d’après elle, les services privés ne sont pas capables d’être disponibles à tout instant. D’autre part, la pose d’un implant n’ayant aucune garantie de fonctionner parfaitement ne devrait pas être prise en charge financièrement (même partiellement) par le patient et sa famille. Dans les hôpitaux publics, tout est pris en charge par l’Etat (elle estime à environ 30 000 euros le coût total d’une opération).
Elle insiste aussi sur l’importance du travail du réglage des implants, qui doit être fait le mieux possible. En effet, le pire est que même avec un très mauvais réglage de l’implant, le cerveau sera capable de se servir du signal et si l’on attend trop, il sera impossible de changer le réglage, et donc d’améliorer considérablement la qualité de l’audition et de la compréhension. Ce réglage essentiel doit donc, à son avis, être fait par des équipes performantes et prêtent à y passer de nombreuses heures (ce qui n’est pas forcément le cas à son avis des équipes privées).
Pour elle, la culture sourde n'existe pas vraiment : les comportements particuliers, les règles de vie, le langage,... que les sourds affirment partager ne résultent que d'une adaptation à leur situation. Pour elle, la communauté sourde est de toute manière appelée à disparaître car le nombre de sourds congénitaux va continuer à fortement diminuer et les sourds demandent de plus en plus à se faire implanter. Aujourd'hui très peu de parents ne sont pas sensibles à l'idée de pouvoir entendre leur enfant parler grâce à un implant. La société sourde va donc disparaître d'elle-même.
Elle a même vu des parents sourds demander à ce qu'on pose un implant à leur enfant. Ces parents ont compris, d’après elle, que dans le monde actuel, pour s'intégrer il faut pouvoir entendre. De même, elles considèrent que les sourds, qui refusent le développement des implants, devraient alors logiquement accepter de "rendre leur carte d'handicapés". Les sourds coûtent extrêmement cher à la société : le coût d'une journée dans un centre spécialisé ou dans un atelier spécial de travail est exorbitant. Les sourds bénéficient aussi de nombreuses réductions fiscales et autres avantages auxquels ils devraient théoriquement renoncer s’ils refusent les moyens qui permettent leur intégration et s’ils affirment constituer une société à part entière.
Elle dénonce aussi le "fantasme" d'une société sourde magnifiée à outrance et dépeinte par des écrivains entendants ou par des Sourds (comme E. Laborie) qui disposent d'un langage oral excellent et qui s’expriment au nom de personnes qui ne disposent même pas d’un langage.
Pour elle, la LSF, en elle-même n'est pas mauvaise : le problème est que la plupart des centres dédiés aux enfants sourds se contentent d'apprendre un langage sommaire aux enfants (manger, parler, boire) en LSF, qui les privent de toute communication possible. Les enfants seraient donc plus à même de bénéficier d’une bonne éducation s’ils pouvaient aller en cours avec les entendants.
Le Dr. Fugain n'est pas contre l'idée d'apprendre aussi la LSF aux enfants, car le cerveau est "avide" d'apprendre tout ce qu'on lui offre. Par contre, l'idée que l'enfant fera par la suite naturellement son "choix" en s'orientant vers la LSF ou vers une méthode oraliste, lui parait être surtout "une belle théorie", qui dans la pratique n'existe pas. L'enfant ne fait pas le choix : il utilisera forcément l'information auditive obtenue. Ses patients adolescents implantés et parlant la LSF, avouent n'utiliser que très rarement la LSF car dans leurs lycées, tout le monde est entendant et que parler la LSF même avec un sourd est "trop lent".
En outre, les résultats obtenus en comparant les capacités de compréhension et d’expression des enfants sourd et des enfants entendants soulignent que les enfants sourds implantés suffisamment tôt rattrapent presque totalement les possibilités des enfants normaux. Pour elle, entendre est bien plus efficace et intéressante dans le monde actuel que le fait de s’exprimer par signes. Elle rajoute aussi que la LSF n’est parlée que presque exclusivement par des sourds : les entendants n’apprenant en général que le français signé.
Actuellement l’hôpital Saint-Antoine se charge de former une nouvelle équipe qui devra poursuivre les progrès dans le domaine des implants, comme par exemple la possibilité de réduire la demande énergétique des appareils (on peut diminuer l’énergie nécessaire en remplaçant la transmission des coefficients de Fourier par la transmission de l’enveloppe seule). Les tests prouvent aussi que le cerveau est capable de gérer et d’utiliser conjointement une information apportée par un implant cochléaire avec un signal auditif normal (apporté par la deuxième oreille). Il faut aussi améliorer les implants car les sourds deviennent de plus en plus exigeants : ils veulent maintenant pouvoir écouter de la musique, regarder la télévision et répondre au téléphone.
Elle insiste aussi sur le fait que «nous n’entendons pas avec nos oreilles, mais avec notre cerveau». Il faut donc habituer dès le plus jeune âge un enfant sourd à son implant pour qu’il puisse s’en servir.
Pour elle, la preuve de l’efficacité des implants se voit dans l’évolution des seuils d’implantations : dans les années 70, ils n’implantaient que les sourds atteints de cophose (surdité totale), puis dans les années 80-90 que les sourds profonds, alors qu’aujourd’hui dès que les sourds ont une compréhension résiduelle inférieure à 50%, ils relèvent de l’implantation. Et elle continuera à se battre pour tous les enfants et adultes puissent bénéficier de l’implant.
Avec la probable augmentation du nombre d’implantés par an, de plus en plus d’hôpitaux et de cliniques privées veulent se spécialiser dans l’implantation (qui rapportera de l’argent au service). L’hôpital Américaine (clinique privée du sport) veut par exemple ouvrir un service d’implantation, mais l’IFIC va chercher à s’y opposer par tous les moyens arguant toujours le fait que l’implant nécessite un accompagnement permanent et qu’il ne doit pas être payant car le résultat n’est pas garanti.