Controverse 2007 - L'impact des subventions agricoles - Clefs de compréhension

L'Humanité du Lundi 14 Avril 2008

Jean Ziegler : "un crime contre l'humanité"

Résumé

L’explosion des prix agricoles et les émeutes de la faim ont suscité la prise de conscience des pays riches face à la situation actuelle. J. Ziegler attire l’attention depuis longtemps sur les dégâts des mécanismes de marché dans l’agriculture des pays en développement. Il s’appuie sur les statistiques de la FAO (plus de 845M de personnes victimes de la faim en 2007) pour affirmer la nécessité de reconnaître le droit à l’alimentation comme partie intégrantes des droits fondamentaux de l’homme. Il dénonce et qualifie de « crime contre l’humanité » l’abandon des cultures vivrières au profit des biocarburants. J. Ziegler accuse la BM, le FMI, le gouvernement américain et l’OMC qui ne reconnaissent pas le droit à l’alimentation et privilégient un marché mondial totalement libéralisé et privatisé comme solution pour éliminer la faim et la malnutrition dans le monde. Or la libéralisation et la privatisation ont progressé rapidement au cours des dix dernières années alors que le nombre de victimes de la faim n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.

AUTEUR: Ramine Abadie

Genève (Suisse), correspondance particulière.

 Alors que le gotha économique et financier international, réuni ces jours derniers à Washington, redécouvre, explosion des prix agricoles et multiplication des émeutes de la faim aidant, le problème alimentaire mondial et ses conséquences sociales, un homme tire depuis longtemps la sonnette d'alarme. C'est Jean Ziegler, l'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation. L'universitaire suisse n'a pas manqué une occasion depuis des années pour attirer l'attention des décideurs mondiaux sur la situation des affamés dans le monde ainsi que sur les dégâts des mécanismes de marché dans l'agriculture des pays en développement. Appuyé sur les terribles données de la FAO (organisation mondiale de l'agriculture) mettant en évidence la remontée du nombre des personnes victimes de la faim (plus de 854 millions l'année dernière), il a toujours affirmé avec force sa croyance en la nécessité de reconnaître "le droit à l'alimentation" comme "partie intégrante des droits fondamentaux de l'homme". C'est en ce sens que ce défenseur de la préservation des cultures vivrières a qualifié dernièrement de "crime contre l'humanité" le fait d'affecter aujourd'hui des terres et de la production céréalière aux biocarburants... Dans le dernier rapport de son mandat, il y a quelques semaines devant le Conseil des droits de l'homme, il expliquait : "Un certain nombre de gouvernements et d'organisations intergouvernementales appuient la théorie néolibérale qui ne reconnaît pas l'existence des droits économiques, sociaux et culturels et limite les droits de l'homme aux seuls droits politiques et civils.

Selon les tenants de cette théorie, seul un marché mondial totalement libéralisé et privatisé peut éliminer la faim et la malnutrition dans le monde. Les faits prouvent le contraire. La libéralisation et la privatisation ont progressé rapidement dans la plupart des pays au cours des dix dernières années. Dans le même temps, ceux qui souffrent de malnutrition grave et chronique n'ont jamais été aussi nombreux dans le monde."

Pas tendre avec le système financier multilatéral, Jean Ziegler accuse : "Les institutions de Bretton Woods (la Banque mondiale et le FMI - NDLR), avec le gouvernement des États-Unis et l'Organisation mondiale du commerce refusent de reconnaître l'existence même d'un droit de l'homme à l'alimentation et imposent aux États les plus vulnérables le Consensus de Washington qui privilégie la libéralisation, la déréglementation, la privatisation et la compression des budgets nationaux des États. Ce modèle, qui génère encore plus d'inégalités, (...) a des conséquences particulièrement catastrophiques pour le droit à l'alimentation par trois de ses aspects : la privatisation des institutions et des services publics, la libéralisation du commerce agricole et le modèle de réforme foncière fondé sur le marché." Pour l'ancien rapporteur spécial, ces politiques vont clairement "à l'encontre de la résolution sur le droit à l'alimentation adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2007 par laquelle l'assemblée demande à la Banque mondiale et au FMI d'éviter toute action susceptible d'avoir des effets néfastes sur la réalisation du droit à l'alimentation". On va voir ces jours à Washington si l'appel a été entendu...

 

DATE-CHARGEMENT: 13 Avril 2008

LANGUE: FRENCH; FRANÇAIS

TYPE-PUBLICATION: Journal

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