Controverse 2007 - L'impact des subventions agricoles - Clefs de compréhension

Libération du 11 avril 2008 vendredi

Faisons face aux émeutes de la faim

Résumé

Le texte est co-écrit par B. Kouchner, J-P. Jouyet, Rama Yade et Alain Joyandet (Etat français). Les causes de la crise qui constitue des enjeux de sécurité majeure sont le réchauffement climatique qui entraîne à une baisse des stocks associé à une hausse de la demande et des prix du pétrole, ainsi qu’à l’effet biocarburant. De plus la libéralisation du commerce soumet les petits producteurs à « une concurrence impitoyable des importations à bas prix ». Il faut privilégié les aides ciblées, encourager la production et soutenir la reconstitution des stocks. L’UE doit dégager des financements. « Depuis des années les grandes puissances et les organisations internationales ont déserté le secteur […] du développement agricole ». L’Europe avec son agriculture performante et la PAC doit pouvoir réguler les marchés mondiaux. La situation constitue une opportunité pour investir et aider par la même les pays pauvres à se développer.

AUTEUR: Bernard Kouchner Jean-Pierre Jouyet Rama Yade Alain Joyandet secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie.

 

La sécurité alimentaire est aujourd'hui un défi mondial qui relève de l'urgence dans les pays les plus pauvres. Pour les 400 millions de personnes dont les revenus permettent à peine de survivre, la flambée des prix a la puissance d'une catastrophe naturelle. Après plusieurs capitales africaines et Port-au-Prince, où les prix des denrées de base ont augmenté de près de 100 % en dix-huit mois, les émeutes de la faim pourraient rapidement toucher une trentaine de pays. Réunis fin mars, les ministres de l'Economie et des Finances des pays africains ont tiré la sonnette d'alarme en pointant"une menace significative pour la croissance, la paix et la sécurité en Afrique".Avec Michel Barnier, nous en avons pris toute la mesure et nous sommes décidés à agir face à ces crises que nous voyons venir et qui ne seront pas seulement humanitaires. Frappant des populations urbaines, dans des pays où la jeunesse n'a plus d'espoir et où la corruption règne souvent, ces crises seront aussi sociales et politiques et constituent des enjeux de sécurité majeurs.

Nous en connaissons les causes : le réchauffement climatique, tout d'abord, qui entraîne désertification et appauvrissement des sols. Des stocks alimentaires au plus bas ; une demande en hausse dans les pays où la croissance est rapide, notamment en Chine ; une pression accrue sur les terres ; un "effet biocarburant" consommant des surfaces de plus en plus étendues. Et puis, comme souvent, les mauvaises récoltes, les prix des céréales entraînant ceux de la viande et du lait. Enfin, une certaine libéralisation du commerce menant à la misère les petits producteurs soumis à la concurrence impitoyable des importations à bas prix... sans oublier bien sûr l'ascension des prix du pétrole. Au nom de sa vocation universelle, au nom de la préservation d'équilibres politiques et migratoires précaires, en tant que principal producteur européen, la France ne peut pas accepter que l'on meure de faim au XXIe siècle. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, nous subirons demain. L'urgence est d'abord de répondre à l'appel du Programme alimentaire mondial (PAM), qui sollicite 500 millions d'euros supplémentaires. Souvenons-nous que l'ensemble de notre aide alimentaire, dont notre contribution au PAM, s'élève aujourd'hui à 32 millions... Au-delà des sommes à dégager, nous devons privilégier les aides ciblées, encourager la production et soutenir la reconstitution des stocks alimentaires. Nous devons pour cela soutenir les ONG, leur expertise, leur connaissance du terrain. Nous devons aussi mieux coordonner l'action de la France. Nous avons décidé la mise en place immédiate d'un groupe de travail de haut niveau associant les ministères de l'Agriculture et des Affaires étrangères. S'y joignent les ministères chargés de l'écologie et de l'économie ainsi que des instituts de recherche. Et nous devons prendre l'initiative d'une réponse européenne mobilisant les financements d'urgence de l'Union. Au-delà de l'urgence, il nous faut encourager des réformes structurelles de trois ordres. D'abord, une meilleure coordination sur le terrain entre les principales agences ou fonds internationaux compétents. Ensuite, une conférence mondiale sur la sécurité alimentaire des pays fragiles, préparée sur la base d'un diagnostic partagé, établi avec les meilleurs spécialistes du Sud et du Nord. Enfin, à titre national, une stratégie d'aide publique au développement qui replace l'objectif de sécurité alimentaire au cœur de son action. Car derrière ces crises, il y a un choix politique. Depuis des années, les grandes puissances et les organisations internationales  ont déserté le secteur pourtant vital du développement agricole. Il est plus que temps de réparer ces lacunes. Faut-il rappeler qu'en Afrique subsaharienne, l'agriculture continue d'occuper les deux tiers de la population active ?

 

La "révolution verte" suppose aujourd'hui de changer d'échelle. La mobilisation doit être totale, sur tous les fronts : recherche agronomique, formation professionnelle, maîtrise de l'eau, subventions à l'achat des semences... L'objectif doit être à terme de voir ces Etats se doter de véritables politiques publiques agricoles. L'expertise française en la matière, reconnue dans le monde entier, doit nous permettre d'être à la pointe du combat pour la sécurité alimentaire. Et l'Europe, avec son agriculture performante et sa politique commune doit pleinement jouer son rôle de fournisseur et de régulateur des marchés alimentaires mondiaux, sujet qui sera à l'ordre du jour de la présidence française de l'Union européenne. Le renchérissement des denrées constitue paradoxalement une opportunité pour relancer les investissements dans le domaine agricole. La communauté

internationale doit saisir cette opportunité et tenter, pour une fois, de remettre la mondialisation à l'endroit...

 

DATE-CHARGEMENT: 11 avril 2008

LANGUE: FRENCH; FRANÇAIS

TYPE-PUBLICATION: Journal

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