Le principe de base est le suivant : on considère qu’une quantité donnée de CO2 est injectée continuellement dans l’océan à une profondeur donnée pendant une durée déterminée. En faisant un suivi de particules –entraînées par les courants marins - par simulation numérique, on a accès à la quantité de CO2 libérée dans l’atmosphère en fonction du temps, et donc à l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. On compare ensuite ces résultats avec le cas où le CO2 aurait été relâché en même quantité, pendant une même durée directement dans l’atmosphère ou avec des profondeurs d’injection différentes.
I) Les débuts
Mais ce n’est pas si simple que ça. Par exemple, pour la première étude sur le sujet, publiée par Bacastow (un océanographe américain) et Stegen, ils prennent prendre en compte les espèces chimiques présentes dans l’océans: il y a le carbone inorganique et organique dissout, les isotopes 13C et 14C du carbone, l’alcalinité, les nutriment et l’oxygène dissout. Leurs variations dépendent de l’interaction suite à la circulation de l’océan et de la photosynthèse qui introduit une nouvelle production. Celle-ci dépend elle-même de la concentration de nutriments, de la luminosité qui varie en fonction de la latitude. Une partie de la production, sous forme de particules, se minéralise tout de suite, l’autre se dissout en 4 ans. A cela il faut ajouter le flux de carbonate de calcium, les coquilles des petits organismes vivant à la surface. De plus, il y a les échanges avec l’atmosphère dont les coefficients d’échange dépendent entre autre de la force du vent. Et la différence de pression partielle entre l’atmosphère et l’eau entre en compte, tout en sachant que la pression partielle de l’eau dépend de la concentration local en carbone inorganique dissout, de l’alcalinité, et le température et de la salinité. Ce n’est pas tout, le but est de séquestrer du CO2, il faut donc le prendre en considération: il est assimilé à du carbone inorganique dissout.
Après avoir vu ce qu’il se passe d’un point de vue chimique, ils utilisent ce qu’il se passe au niveau de la circulation des océans: cette circulation thermo haline (due à une variation de température et de salinité) est souvent assimilée à une ceinture : elle commence dans l’Atlantique nord, où l’eau salée et froide coule en direction de l’Atlantique sud, rejoint les eaux profondes de la région Antarctique, puis repart au nord dans les océans Indien et Pacifiques. Le courant revient au point de départ en étant près de la surface. Le cycle se fait en environ 1000 ans. Mais le CO2 ne suit pas totalement la totalité du cycle : la majorité du CO2 dissout descendra avec les courants, puis restera au fond pour des questions de densité.
Résultats obtenus par Bacastow et Stegen en 1991. On voit sur la courbe ce qu’il se passe si le CO2 est libéré dans l’atmosphère : au départ il augmente puis il est progressivement absorbé par l’océan. Et puis on observe que plus on injecte profond, moins le CO2 retourne dans l’atmosphère.
Néanmoins, Wilson reproche à cette étude l’absence de la prise en considération de la dissolution des carbonates de calcium. En effet, ce dernier montre en 1992 qu’en injectant le CO2, celui-ci se dissoudra et ainsi le pH augmentera, ce qui engendrera la dissolution des carbonates de calcium. Les vitesses de formation et de dissolution sont encore mal connues, ce qui fait que Wilson est conscient que la dissolution ne peut pas être quantifiée clairement. Toutefois, il est sûr d’une chose : cela va avoir des effets significatifs sur la réduction de la concentration finale en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Autrement dit, les océans permettraient de retenir davantage le dioxyde de carbone que ce qui était pensé jusque là.
A est en cas de rejet direct du CO2 dans l’atmosphère. B1, B2, B3 correspondent à des injections à petite, moyenne et grande profondeur. C correspond au cas où la dissolution des carbonates de calcium avec le CO2 est prise en compte.
II) Influence du site d'injection
Bacastow, Stegen avec Cole en plus poursuivent sur leur lancée en publiant l’année suivante (1993) une étude en tenant compte du lieu d’injection. Mais pour faire face à la remarque de Wilson, ils précisent clairement dans leur étude qu’ils ne tiennent pas compte de la dissolution des carbonates de calcium. Les quatre sites comparés sont Tokyo, San Francisco, New York et Miami. Ils obtiennent deux conclusions : il y a des sites où cela n’apporte rien d’injecter à plus de 800m, et des sites sont clairement meilleurs que d’autres en terme de durée de stockage. Ces deux conclusions sont justifiées par les différents courants passant aux points d’injection.
Et ils la recommencent à nouveau en 1995, en utilisant une division plus précise du nombre de boîtes : l’océan était divisé en 10 couches pour la profondeur, et en tout était représenté par 27443 « boîtes », tandis que pour cette étude, il est divisé en 15 couches, pour un ensemble de 44600 boîtes, avec un nouveau modèle de circulation des océans, auquel Bacastow a contribué , modèle qui a pu être validé grâce au carbone radioactif 14C, contrairement à l’ancien modèle qui avait des différences importantes avec la réalité mesurée.
Une étude similaire a lieu au Japon en même temps, et obtient les mêmes résultats : pour être efficace, l’injection doit se faire à plus de 1000m de profondeur, et les courants sont déterminants pour connaître le temps de rétention.
Pour une injection de CO2 à 700-900m de profondeur
III) Derèglement de l'environnement
Enfin, la dernière évolution notable est la prise en compte des variations possibles de l’environnement pour le modèle : En 1996, Bacastow et al recommencent encore une étude où cette fois-ci ils prennent en compte l’évolution de la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère suite à l’activité humaine. Dans les études précédentes, cette quantité était fixe, et ils considéraient seulement l’augmentation due aux émissions d’une centrale électrique. Ils constatent qu’il y aura plus de CO2 qui retournera dans l’atmosphère dans ce cas-là. Ils associent cette augmentation à la diminution de l’ion carbonate qui réagit avec le CO2 pour former du bicarbonate, et donc il y en a moins de disponible pour le CO2 injecté. Par ailleurs, cette fois-ci, ils limitent la validité de leur étude à 200 ans, car sur le long terme, la réaction avec les sédiments devient prépondérante.
Une étude similaire se développe en même temps à Hawaï: alors que Bacastow améliore le modèle en tenant compte des émissions anthropogéniques qui auront lieu, Masutani et al tiennent compte d’une modification éventuelle de la vitesse des courants marins.
Des nouvelles études sur les courants océaniques montrent que ceux-ci ne sont pas tels qu’on les croyait : près du Japon, les eaux profondes se recyclent en 100 ans, contrairement aux 1000 ans pensés avant. La diffusivité dans l’océan à moyenne profondeur est entre 4 et 10 fois plus petite que prévue, la conveyor belt n’a pas la même trajectoire, ni les mêmes temps. En prenant en compte toutes ces modifications, Wong et Matear arrivent à la conclusion que le CO2 pourrait être séquestré pendant 500 ans, alors que les estimations précédentes étaient plus petites.
Comparaison de la conveyor belt, telle qu’on la pensait en 1985 et en 1995.
Bilan de la partie :le temps de rétention des océans est déterminé réellement par :
Derrière ces deux critères se cachent en réalité la circulation des océans, et donc l’évaluation du temps de rétention dépend du modèle choisi.
Influence de la profondeur d’injection (respectivement 800, 1500 et 3000 m de profondeur), et du modèle de circulation des océans (Orr, 2004)
Influence du site d’injection (San Francisco, la baie de Biscay, et Jakarta) et du modèle de circulation des océans, pour une même profondeur d’injection (Orr, 2004)