Compte-rendu de l'interview de Yann Ménière
(chercheur au CERNA, centre de recherche d’économie des mines de Paris)
Quel est votre avis sur la loi Hadopi ?
C’est une loi relativement équilibrée, ce qui n’est pas évident. Du point de vue de l’économiste, il faut trouver un moyen d’inciter à la création. Il faut un mécanisme permettant aux créateurs de rentrer dans leurs frais. Dans le cas de la musique, l’industrie réagit très tard et très mal. Le législateur a donc du inventer un business model à la place de l’industrie musicale qui en fut incapable. Le moyen du législateur est la sanction pour limiter les comportements pirates. Le problèmes c’est que les pirates ne sont pas des criminels, mais des particuliers qui n’ont pas l’impression de faire quelque chose de mal. Sachant qu’en terme de crime, un comportement répréhensible se développe en fonction de la probabilité d’être attrapé et del'amende qui s'ensuit. Or, dans ce cas, la probabilité est très faible. Cela paraît irréaliste sur le plan pratique d’attraper tout le monde. La dissuasion est donc mise en place pour éviter d’exercer la sanction. De plus, il faut distinguer l’industrie du contenu (major…), et l’industrie des tuyaux (FAI…). Or, il y a un intérêt au piratage pour les FAI. La loi Hadopi a un vrai intérêt pour l’économie et l’industrie, mais il n’est pas dit qu’elle soit efficace.
Les FAI refusent ?
Ils ont de bonnes raisons de dire que c’est difficile. Ils vivent des contenus, mais ils les détruisent en les diffusant à outrance. Il y a au fur et à mesure une intégration verticale entre les tuyaux et les contenus, pour assurer aux industries, comme Vivendi, la présence de contenus malgré le piratage. (ex : offre Triple-play).
Que pensez-vous de la licence globale ? Serait-elle bénéfique pour les auteurs ?
Je suis économiste, et même si certains d’entre nous sont pour, je suis totalement opposé à la licence globale. En effet, celle-ci devient vite monstrueuse car cela détruit le signal prix. Celui-ci permettait d’accorder offre et demande. Cependant, avec la licence globale, cela va demander au législateur de récupérer lui-même toutes ces informations, et de rémunérer les offres en fonction de ce qu’il pense de la demande. Il est difficile de répartir les revenus. Deux problèmes se posent : Comment on fait payer ? De manière uniforme ? et ceux qui n’en tirent rien ? Enfin, comment répartir cette manne entre les auteurs ? Comment récompenser les bons auteurs ? Un troisième problème intermédiaire : comment gérer tout cela ? Cela crée en effet un monopole. Or, on estime de 20 à 30 % le cout d’une administration publique. Dans ce cas, avec la SACEM, il y a un monopole qui gère des rentes. Ce n’est pas une incitation à l’efficacité. La limite de l’économiste : il faut un prix. Mais comment évaluer de la bonne musique ?
De plus, il est faux de croire que les maisons de disques sont des parasites. Exemple du romancier : c’est une chose d’écrire un roman, c’est autre chose de l’éditer, de le produire, de faire la communication… et aussi de porter les risques en donnant des avances. Les maisons de disques prennent en charge une partie du travail que ne pourrait faire l’auteur. Ces métiers sont remis en question par le peer-to-peer : la pochette de disque est remise en question… Mais ce rôle n’est pas détruit. Il faut toujours produire la musique. Et les auteurs cèdent une partie des droits, font des contrats avec des professionnels qui vont faire les montages, l’enregistrement, la communication et ce, malgré une licence globale. Ces sociétés prennent des risques et cela explique leurs bonnes rémunérations. Dans ce sens, il n’est pas sûr que la licence globale permette une évolution de cette industrie. Tout au plus, cela modifiera les contrats.
Le système de licence globale existe-t-il dans l’industrie ?
Oui, de manière locale sur un ensemble de brevets (l’avion, la machine à laver, les TIC sur les normes techniques). Cela s’appelle les patents pool. C’est utilisé lorsqu’il est trop compliqué pour aller négocier avec chacune des sociétés, car il y a trop de brevets. Il est intéressant de remarquer que les patents pool ne se font pas simplement. En effet, il est difficile de bien répartir les revenus sur les propriétaires de brevet. Cela se fait généralement au prorata du nombre de brevets, mais certains brevets sont plus importants que d’autres. On retourne sur ce problème de partage. C’est généralement une société qui gère les patents pool. Certaines sociétés se spécialisent dans la gestion de patents pool, par exemple : MPEG LA qui gère le standard MPEG.
Comment justifier l’existence de la SACEM ?
Le droit d’auteur est fait de telle sorte qu’il faut une licence pour toute utilisation du contenu. Que ce soit à la radio ou sur une chaîne ou autre. S’il faut à chaque fois négocier une licence, cela crée d’énormes couts de transactions, car il y a plein de transactions. Il y a donc beaucoup de sens d’avoir un guichet unique pour tous les morceaux, sous toutes les formes. De plus, chaque titre est unique et est donc un mini-monopole. Donc chaque auteur va fixer son prix. La théorie prédit alors que chacun va avoir tendance à fixer un prix trop haut. Et cela désavantage tout le monde par effet boule de neige. Ainsi, un organisme unique qui fixe les prix va pouvoir résoudre ce problème, en fixant un prix plus bas.
Quel système le plus efficace permettrait l’incitation de la création ?
Pour moi, le système le plus efficace c’est celui de la fusion de l’industrie des tuyaux et des contenus. L’industrie des tuyaux ayant détruit l’industrie des contenus avec le piratage, il devient nécessaire, pour les FAI, de financer le contenu pour assurer la présence de ce contenu dans les tuyaux. C’est ce qui semble se profiler. Mais il y a un problème d’incompatibilité entre les différents FAI, et cela peut aussi poser des problèmes de neutralité du réseau internet. Un internet pourrait ainsi avoir un modèle broadcast d’internet, ou le flux n’irait plus que dans un seul sens.
Que pensez vous du business model de la musique ou les concerts seraient la principale source de revenu ?
C’est un autre business model, et s’il ne semble pas utopique, il faut voir s’il est rentable. C’est cependant restreint à la musique. C’est un des outils dans la boite à outils, et il y a plein de modèles d’accès. Par exemple avec l’iphone, il est moins cher d’acheter car il y a moins d’intermédiaires. Il faut cependant prendre en compte un effet générationnel : l’étudiant télécharge l’album, car c’est intéressant, mais à partir d’un moment, il vaut la personne trouve plus intéressant d’acheter un album à 8 euros plutôt que de chercher à comprendre comment marche le logiciel de peer to peer du moment, de télécharger les chansons une à une… C’est plus simple d’aller acheter si le prix n’est plus trop élevé. Il y a de la place pour ce genre de business model.
A propos de génération, je ne sais pas si mon raisonnement tient, car une génération risque d’être trop habituée au tout gratuit.
Combien ont perdu les créateurs, que ce soit dans le monde de la musique, du cinéma, ou du livre, à cause du téléchagement ?
Je ne sais pas trop, mais dans la musique, ils ont vraiment beaucoup perdu. Cependant, pour le cinéma, la perte a été moindre car il est plus compliqué de télécharger un film, qui est plus lourd en espace, qui est beaucoup plus long à télécharger. Cependant, il faut voir que la qualité des liaisons internet s’améliore, donc le cinéma n’est plus à l’abri.
Quels sont les textes importants sur la recherche dans le domaine de la propriété intellectuelle ?
Il y a la plupart des documents du CERNA, ceux de Leveque, de Bomsel. Il faut voir la page de Mark Lemley, un juriste de Stanford. Enfin, Pamela Samuelson, spécialiste du Copyright.