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La gestion des ressources halieutiques: De l'émergence des problèmes à la recherche de solutions



Pour avoir une vision synthétique de l'historique


Références

(1) FAO, Rapport du Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO (ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE), Rome, 2010


Les quotas sont-ils adaptés à la sauvegarde des stocks halieutiques?

La pêche: de l'abondance supposée…

La pêche a longtemps été considérée comme une activité de cueillette dans des océans illimités et aux capacités infinies de régénération. Ainsi, Grotius affirmait en 1609 dans son Mare Liberum: « La pêche en mer est libre, car il est impossible d’en épuiser les richesses »

La pêche est un processus de cueillette particulier car certains aspects la rapprochent de la culture, en ce sens où on peut exploiter la capacité de la population à retrouver sa biomasse après une réduction temporaire. Ainsi, la pêche provoque une réaction du milieu: le taux de survie des individus augmente, leur croissance et leur développement sont favorisés car il y a « plus de place » et donc plus de nourriture disponible. Ce processus permet de maintenir des stocks de productivité élevée dans le cas d'une pêche artisanale, précisément celle en vigueur il y a plusieurs siècles. D'où l'illusion que les ressources sont infinies.


...à l'émergence de la notion de gestion

Cependant, dès la fin du XIX° siècle, des cas locaux de surcapacité ayant entraîné la pénurie de certains poissons comme la morue dans certaines régions de la mer du Nord, amènent les scientifiques à concevoir de premiers modèles de gestion des ressources. L'idée s'impose que les ressources sont finies et que la mortalité par pêche, s'ajoutant à la mortalité naturelle, dépend de l’effort de pêche déployé. Très vite émerge l'idée parmi les scientifiques de trouver un rendement maximal d'exploitation qui serait la valeur maximale des captures permettant aux stocks de « réagir » convenablement pour se reconstituer. Certains scientifiques montrent que l'augmentation de l’effort de pêche et l'amélioration des techniques permettent d'augmenter les captures mais entraînent des pénuries à moyen terme (la pêche étant plus locale qu’aujourd’hui, elles se manifestaient plus vite). La gestion de la pêche était donc un élément clef pour assurer un rendement maximal.

Dans les années 50 émerge la notion de RMD et de TAC monospécifiques. Les TAC recommandés sont très peu restrictifs puisque la seule condition est qu'ils se situent en deça du RMD. A une époque où les pêcheries mondiales se développent rapidement, les États refusent d'être entravés par ces recommandations et de limiter leur liberté d'accès aux zones de pêche, d'autant plus qu'il n'existe aucun contrôle ni aucune sanction. Les principes qui président à la gestion des pêcheries négligent les travaux scientifiques qui fleurissent sur la structure des populations de poissons, les dynamiques biologiques ou les interactions avec les pêcheurs.


La gestion calamiteuse des stocks n'a pas pu enrayer les premiers effondrements (1950-1980)

Dès la fin des années 50 pourtant, des stocks sont sérieusement menacés. Une première réponse, insuffisante, est la création des ZEE avec l'idée que les États gèrent leur propres stocks. Outre les conflits territoriaux sur l'extension de ces zones (conflits entre le Canada et la France au sujet de la zone de pêche au large de Terre-Neuve et à proximité de Saint-Pierre et Miquelon, graves tensions entre le Royaume-Uni et l'Islande nécessitant l'intervention de l'OTAN...), les ZEE provoquent l'augmentation des investissements, des emplois et de la taille des flottes dans le secteur de la pêche. En résulte une pression accrue sur les stocks et le véritable développement d'une pêche industrielle.

Les grandes extinctions des années 70-80 (sardine de Californie, hareng de mer du Nord et surtout morue du Canada) condamnent ce système de gestion, peu viable aussi bien au niveau environnemental qu'au niveau économique (des pêcheries de morue sont fermées au Canada et plusieurs milliers d'emplois sont supprimés...). Ces effondrements de stocks commencent aussi à accréditer l'idée de l'existence d'un seuil de non-retour à partir duquel l'extinction est inéluctable. Ainsi, l'instauration d'un moratoire sur la morue n'a en rien permis le recouvrement du stock.


En Europe, des intentions mais une Politique Commune de la pêche (PCP) incomplète

En Europe, ces événements éclairent la nécessité d'une gestion de la pêche au niveau européen. La première PCP est adoptée en 1983 et se donne pour but d'accroître les capacités de pêche et d'augmenter la production pour équilibrer la balance commerciale. Il faut attendre le tournant des années 90, marqué par les surcapacités et les difficultés reconnues du secteur de la pêche à être rentable (notamment sa dépendance vis-à-vis des subventions) pour que la Commission européenne commence à parler de pêche durable et de réglementations.

Les puissants lobbies et la résistance des États freinent l'évolution de la politique commune qui ne connaîtra pas de changement majeur avant 2002. Dans son livre vert, en 2001, la Commission déclare qu'il faut agir rapidement car des populations comme le merlu et le cabillaud montrent des signes persistants d'effondrements. Elle y évoque les problèmes majeurs de la filière : surinvestissement et surcapacités, manque de contrôles ouvrant la voie au développement préoccupant de la pêche illégale, manque d'implication des pêcheurs, mauvaise santé économique chronique du secteur,...Par ailleurs, elle considère que la politique de fixation de plafonds de captures n'a pas fait ses preuves, et que le caractère monospécifique doit être abandonné.

La réforme de la PCP qui a suivi, en 2002, inclut de nouveaux aspects et apporte quelques solutions. Elle fixe notamment une procédure de fixation des quotas, précise et hiérarchique. Mais elle est jugée inaboutie et incomplète et ne règle pas des problèmes aussi aigus que les rejets ou les surcapacités.


Une situation mondiale qui reste alarmante

Depuis, la surexploitation se poursuit, l'effort de pêche reste trop élevé, le secteur économique de la pêche est exsangue.

Les chiffres sont éloquents. La FAO estime dans son rapport(1) que près de 30 % des stocks halieutiques sont surexploités, tandis que la part des stocks sous-exploités est passé de 40% à 15% en 30 ans. En Europe, ce serait 50 à 60% des stocks qui seraient surexploités. Pour bien comprendre l'étendue du problème, on peut citer la situation dans l'upwelling du Nord Benguela en Namibie: là où on pêchait 1,5 millions de tonnes de sardines il y a 40 ans, la dernière campagne scientifique d'évaluation n'a pu pêcher que 2 sardines dans tout l'écosystème.

D'autres chiffres sont clairs: après une hausse spectaculaire des prises entre 1950 et 1980, celles-ci n'augmentent plus depuis les années 80, alors même que le nombre de pêcheurs et l'effort de pêche au niveau mondial n'ont jamais été aussi haut. Ce qui signifie que l'on pêche toujours plus loin et toujours plus profond.
Au niveau économique aussi le système est inefficace. Dans un rapport publié en 2008 , la Banque mondiale montre que les pêcheries sont mal exploitées. La différence entre les bénéfices nets potentiels et réels des pêcheries mondiales est ainsi de l'ordre de 50 milliards de dollars par an.

Il s'agit donc de trouver des perspectives concrètes pour assurer la pérennité de la filière pêche qui doit s'articuler autour des deux nécessités de viabilité économique et de durabilité des stocks halieutiques. Il y a urgence pour une réforme d'envergure et de structure qui doit permettre d'aller vers une pêche durable. La Commission européenne elle-même « estime [...] qu’une réforme globale et en profondeur de la politique commune de la pêche (PCP), associée à une remobilisation du secteur de la pêche, peut susciter le changement radical nécessaire pour inverser le cours des choses. Il ne doit pas s’agir d’une nouvelle réforme fragmentaire par petites touches, mais d’une véritable mutation permettant de venir à bout des raisons profondes qui sont à l’origine du cercle vicieux dans lequel la pêche européenne est emprisonnée depuis ces dernières décennies. » Une nouvelle réforme de la PCP est prévue pour 2012.


Une controverse vivace: choisir entre pêcheurs et poissons?

Cette controverse, récente et vivace, implique de nombreux acteurs, et leurs intérêts sont contradictoires.

Les pêcheurs, artisanaux ou industriels, souhaitent augmenter leurs profits et leur productivité, ou tout simplement vivre décemment. Ils exigent donc régulièrement l'augmentation des quotas et l’allègement des mesures de contrôles et de sanctions. Cependant, des oppositions existent au sein même de ce groupe, les pêcheurs artisanaux voyant d'un mauvais œil l'arrivée de flottilles industrielles dans leur zone de pêche.
Les politiques ont un devoir de responsabilité: ils doivent assurer la durabilité du secteur. Mais cette volonté implique des mesures impopulaires, et les lobbies de la filière pêche, particulièrement puissants, entravent les avancées à l'échelle européenne.
Pourtant, avec l'apport des scientifiques, et sous la pression des ONG, Bruxelles tend à fléchir sa position et recommande maintenant ouvertement un changement de cap dans la politique de l'Union. Mais c'est au Conseil Européen, unique organe de l'exécutif, que se cristallisent toutes les oppositions.
Par ailleurs, le consommateur, et l'électeur, a aussi son mot à dire ! Il doit prendre sa pleine part dans le débat et peut constituer un moteur pour le changement.


Effort de pêche: Ensemble des moyens de capture mis en œuvre par la flotte engagée dans la pêche d'une espèce particulière pendant une période donnée et dans une zone déterminée. Cet effort dépend du volume de la flotte, des caractéristiques des navires qui la constituent, des méthodes de pêche qu'ils pratiquent...

Ocean 2012 est une coalition d’associations dont le but est d'«assurer que la réforme de la Politique Commune de la Pêche de 2012 mette fin à la surpêche, aux pratiques de pêche destructrices et permette une utilisation juste et équitable de ressources halieutiques durables.»(1)

Rendement Maximum Durable (RMD): En anglais MSY (Maximum Sustainable Yield) ; c’est la plus grande quantité de biomasse que l’on peut extraire en moyenne et à long terme d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction.
Si la mortalité par pêche est trop importante, le stock décline, et ne peut donc pas être exploité durablement. Si au contraire l’effort de pêche est faible, l’exploitation du stock n’est pas rentable. L’objectif de la gestion des ressources halieutiques est donc d’atteindre le RMD, qui permet un effort de pêche minimum pour un maximum de captures. Deux facteurs permettent d’obtenir ce résultat: la réduction de l’effort de pêche et l’augmentation de la sélectivité.

Zone Economique Exclusive (ZEE): Espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la limite extérieure de la mer territoriale de l'État jusqu'à 200 milles marins de ses côtes au maximum.

TAC: Total Autorisé de Capture. C'est la quantité de poissons qu'il est autorisé de pêcher. Elle concerne une espèce et une zone particulières. Un TAC s'exprime en tonnes par an.

PCP: Politique Commune de la Pêche. Politique commune aux états membres de l'Union Européenne visant à gérer l'ensemble de l'effort de pêche communautaire.

PCP: Politique Commune de la Pêche. Politique commune aux états membres de l'Union Européenne visant à gérer l'ensemble de l'effort de pêche communautaire.

Upwelling: Terme désignant la remontée des eaux froides profondes, riches en nutriments, vers la surface de l'océan. Cela se traduit par une eau particulièrement poissonneuse.