Dans un souci de garantir l'anonymat de notre interlocuteur, son nom a été modifié.
Pour quelle raison la construction d’une usine de dessalement permanente a finalement été annulée?
D’après une loi électorale en vigueur à Belle-Île-en-Mer, la construction de bâtiments à proximité des côtes de l’île est interdite. Dite aussi loi dépôt, elle impose des règles strictes en matière de construction. Les enjeux de cette loi sont essentiellement financiers. La situation de Belle-Île-en-Mer est typique des littoraux attractifs. Des groupes cherchent à construire sur ces littoraux de nouveaux hôtels qui seront en mesure d’accueillir davantage de touristes. La construction de nouveaux bâtiments en bord de mer a pour effet d’augmenter les prix de construction sur la côte au détriment des populations locales. C’est essentiellement pour cette raison que la CCBI a fait le choix de la loi dépôt.
A quels niveaux a lieu le débat?
Les habitants de Belle-Île-en-Mer ont été très impliqués dans la controverse. Près d’un quart de la population totale de l’île a signé les pétitions papiers et sur internet lancées par l’association contre le projet d’installation d’une usine de dessalement. L’association a également beaucoup travaillé avec d’autres collectivités, extérieures à l’île, dont notamment des collectivités et associations d’autres îles.
Pour quelles raisons étiez-vous contre le projet?
Il y avait trois raisons essentielles d’être contre ce projet : raisons économiques, écologiques et sociales.
Le cout d’un tel projet est prohibitif par rapport aux besoins réels de la population de l’île. Les sources d’eau déjà présentes sur l’île fournissent suffisamment d’eau la grande majorité du temps. L’usine de dessalement ne servirait que ponctuellement lorsque les conditions météorologiques seraient défavorables. Or, il n’est pas envisageable de faire fonctionner l’usine de dessalement que ponctuellement. Au contraire, l’usine doit fonctionner en permanence. D’où beaucoup d’argent perdu inutilement, ce qui aurait eu immédiatement un impact sur les populations de l’île. L’association craignait en effet que le cout de l’usine se reporte sur les habitants avec des hausses d’impôts. Cela aurait été d’autant plus problématique que certaines personnes sur l’île aujourd’hui à la retraite ont travaillé en régime saisonnier et par conséquent bénéficient de petites retraites aujourd’hui.
L’usine de dessalement aurait renchérit le cout de l’eau mais l’eau est déjà chère dans le Morbihan. Voilà pour les raisons économiques.
Enfin, l’argument qui a convaincu la quasi-unanimité des habitants de l’île : pourquoi traiter l’eau de la mer alors que qu’il suffit de récupérer celle qui nous tombe dessus ? Belle-Île-en-Mer est en effet un des endroits les plus pluvieux en France. La question est donc pertinente.
Reprenons l’histoire de ce projet de dessalement.
En 2005, une pénurie d’eau frappe l’île qui n’a en fait rien à voir avec de quelconques conditions climatiques exceptionnelles. C’est la preuve flagrante de la mauvaise gestion des infrastructures à Belle-Île-en-Mer. Le remplissage des barrages se fait entre novembre et mars, quand la pluie tombe le plus. Ensuite l’eau accumulée est réutilisée l’été. Cependant, durant l’hiver précédant l’été 2005, les barrages de l’île n’ont pas été rechargés suffisamment à cause du fait que les pompes qui remplissent le barrage, n’avaient pas été suffisamment entretenues ces dernières années.
Or l’île possède au total 3 barrages et 6 captages dans les vallons pour s’approvisionner en eau. Et cette année un barrage avait du être complètement vidé pour des raisons d’entretien. Seuls 2 barrages avaient été donc partiellement rechargés. L’île n’avait donc pas mis de côté assez d’eau durant la période pluvieuse de l’année. L’île a donc naturellement manqué d’eau durant l’été qui a suivi, d’où la crise qui a eu lieu. Les autorités ont été obligées de distribuer des bouteilles d’eau importées depuis le continent. Cette crise de l’eau a couté 3 millions d’euros à l’île!
Après la crise, la CCBI a commandé au bureau Sogréa une étude sur l’approvisionnement en eau à Belle-Île-en-Mer. Comment éviter cette situation exceptionnelle à l’avenir ? Le bureau d’études a proposé à la CCBI plusieurs solutions. La principale et la plus crédible, selon le bureau d’étude, reposait sur le dessalement de l’eau de mer.
A cette époque, mon interlocutrice Mme LANE siégeait à la CCBI en tant qu’élue donc était au courant de cette étude commandée par la CCBI et de ses conclusions. Elle avait alors estimée l’étude peu réaliste. Au vu du cout de la solution du dessalement, celle-ci aurait du être décrédibilisée instantanément et pourtant c’est la solution qui a été retenue par le bureau. Mme LANE avait noté que certains chiffres mentionnés dans l’étude ne collaient pas à la réalité, d’où des conclusions erronées, notamment sur les capacités en eau de l’île largement sous-estimées.
Mme LANE m’a fait une analogie très intéressante : avec la solution du dessalement, c’est comme si on décidait à Paris « 2 périphériques au lieu d’1».
Evidemment, elle a voulu avoir des explications sur cette étude auprès du bureau. Mais les explications ne lui sont jamais parvenues. C’est alors qu’elle a décidé de quitter son poste d’élue.
Ainsi, de l’été 2005 jusqu’au début de l’année 2006, un approvisionnement en eau potable par bateau a été nécessaire. La saisonnalité de l’eau est particulière à Belle-Île-en-Mer. L’année pluviométrique est comptée du 1er novembre jusqu’au 31 octobre de l’année suivante. Comme il pleut essentiellement entre novembre et mars, de bonnes réserves en eau sont nécessaires avant qu’arrive l’été.
Que s'est-il passé ensuite?
Belle-Île-en-Mer a été choisie par le gouvernement Villepin comme l’un des 10 sites de France pour une eau gérée de façon alternative.
En aout 2010, c’est la création de l’association Eaux Douces : le dessalement en question. Il circulait alors dans les couloirs le projet d’une usine de dessalement mais rien n’avait été officialisé.
Quels étaient les moyens d’action de l’association?
L’association a monté des pétitions papiers et sur internet qui ont recueilli énormément de signatures. L’argument « pourquoi boire l’eau de la mer, quand il y a déjà l’eau de la pluie » a été imparable et a convaincu beaucoup d’habitants. L’association a mis à contribution un site pour centraliser les signatures.
Les membres de l’association sont également allés rencontrer le conseiller régional de l’eau et celui de l’environnement. Est ce qu’on peut parler de lobbying?
De nombreuses conférences ont également été organisées avec notamment, la diffusion d’un film sorti à l’époque, Water Makes Money, vaste critique de la financiarisation de l’eau par quelques entreprises privées. On y apprend que des villes françaises importantes ont fait le choix de la rupture et se détachent de Veolia pour la gestion des ressources en eau.
Enfin l’association, m’a raconté Mme LANE, a beaucoup étudié les cas des pays étrangers pour construire son argumentation contre le projet du dessalement.
Comment a émergé l’association?
Avant que l’association ne devienne réellement très active, le débat sur le dessalement a d’abord été en dormance. Il y avait alors bien un syndicat départemental de l’eau. Paradoxalement, ce syndicat est en fait une émanation du conseil régional, dont les membres sont élus par des élus régionaux. Mme LANE a mis plus qu’en doute l’utilité de cette structure : ses membres ne se réunissait quasiment jamais et ne possédait aucun site internet et il y avait un manque d’informations flagrant sur les réunions d’étude du syndicat. Ce que Mme LANE craignait, c’était que le syndicat ne se réveille trop tard, une fois l’usine de dessalement mise en place. Ce syndicat ne se contentait de plus que d’un rapport par an aux villes qui avaient délégué leur gestion de l’eau. L’inefficacité de cet organisme a été notamment l’une des raisons qui ont poussé à la fondation de l’association.
On dirait que le manque d’informations est un problème récurrent...
C’est voulu par les administrations qui veulent démotiver les gens de fouiner. Cependant on peut trouver également des administrateurs, qui au contraire, sont très transparents. Chaque administrateur a sa propre façon de faire par rapport à la documentation.
Quand des administrations protègent des informations, cela ne peut éveiller que les soupçons des citoyens et c’est ce qui s’est passé à Belle-Île-en-Mer. Dans une telle situation, les gens se mettent à essayer de trouver les informations par eux-mêmes et comprendre ces informations sont restées entre administrateurs. « Les citoyens sont des gens adultes et pas des sujets » m’a dit à juste titre Mme LANE. On ne devrait pas cacher des informations ou des projets quand les citoyens sont concernés.
Ces méthodes de faire sont scandaleuses...
Il y a un autre problème. Les élus ont à prendre beaucoup de décisions. Du fait de leur culture et de leurs connaissances souvent partielles, ils lisent d’une façon partielle les documents qu’ils ont entre leurs mains. Et beaucoup d’élus n’ont pas relevé les incohérences du projet de dessalement.
La CCBI a voulu rechercher la sécurité à tout prix en choisissant la solution du dessalement. C’est un choix très contestable quand on a en tête qu’il y a déjà suffisamment de précipitations sur l’île. Pour reprendre les termes de Mme LANE : « Quand on se promène l’hiver, on patauge dans l’eau ».
Qu’est ce que vous avez craint ?
Le rejet d’eaux salées dans la mer à des concentrations élevées, à remettre en perspective avec la qualité du littoral de l’île.
Vous-êtes vous appuyé sur des documents scientifiques?
Non pas vraiment. Il n’y a pas eu d’étude générale sur les impacts environnementaux d’une usine de dessalement. Cette question s’étudie davantage au cas par cas. Ce qui est certain, c’est que « le milieu ne doit pas beaucoup aimer » et certains types de poissons et d’algues ne doivent pas très bien résister.
Avez-vous craint un problème économique?
Le projet de dessalement de l’eau de mer est très couteux pour l’île par rapport à l’apport réel d’une telle solution. Il faudrait se concentrer à la place sur la récupération de l’eau. Et ainsi, promouvoir une autre logique d’acheminement de l’eau.
La solution du dessalement est une fuite en avant technologique. Les élus n’ont pas voulu prendre de risque avec la solution proposée du bureau d’études. Cette décision est absurde, car s’ils s’étaient plutôt concentrés sur la réparation du réseau, tous les habitants auraient été satisfaits et personne n’aurait eu de raison de se plaindre. Pourquoi opter pour le dessalement quand il y a déjà tant d’eau qui tombe sur l’île?
Le choix du dessalement est-il lié à des problématiques touristiques?
Mme LANE estime que la fréquentation à Belle-Île-en-Mer a atteint son niveau maximal. Par conséquent, le dessalement n’apporte rien sur ce plan là. Au contraire, les rues à Belle-Île-en-Mer sont déjà embouteillées et certains habitants estiment que le lieu devient parfois invivable quand les touristes affluent.
Quelle est la situation dans les autres îles?
La situation est radicalement différente sur l’île de Sein, où il y a moins de 100 habitants. Le dessalement de l’eau de mer est l’unique solution pour l’île de s’approvisionner en eau.
A Belle-Île-en-Mer, par contre, on peut envisager des solutions alternatives telles que la mise en place de citernes à côté des habitations. La caserne de pompier a du être reconstruite récemment. La surface de son toit est passée de 6 m3 à 20m3. Vu la nouvelle surface du toit, il aurait été envisageable de placer des systèmes de récupération de l’eau de pluie. Cela n’a pas été le cas.
Quelle votre opinion sur le dessalement en général?
Dans certaines situations le dessalement est nécessaire. Il faut s’intéresser à la finalité du dessalement afin de trancher au cas par cas. Beaucoup de pays différents de la planète sont concernés par le dessalement, comme les pays du Golfe.
A Belle-Île cependant, le recours à l’usine de dessalement aurait seulement été ponctuel, donc couteux pour l’île. Il faut mieux gérer la circulation de l’eau. L’eau accumulée pendant le rechargement des barrages en l’hiver suffit à assurer l’approvisionnement en eau pour toute l’année. Mme LANE estime qu’avec un meilleur réseau, l’approvisionnement serait même assuré pour 2 ans. Les barrages sont apparemment récents et ont doublé la production en eau de l’île.
En Australie, des projets pharaoniques ont été lancés, mais on a du revenir en arrière après avoir estimé que le dessalement à cette échelle n’était peut-être pas la solution la plus adéquate. Si Mme LANE m’a semblé être très informé des situations dans les autres pays du monde, c’est qu’il y a eu un gros travail de documentation lorsque l’association a cherché à rassembler des arguments. Ainsi Mme LANE s’est notamment appuyé sur un rapport sur le dessalement par l’ONU. Il était très important pour elle d’aller voir du côté des autres pays.
Néanmoins on a fait beaucoup de progrès sur le cout du dessalement...
Certes le prix a baissé mais il reste encore 2 à 3 fois trop cher. De plus, le prix à payer pour dessaler l’eau dépend beaucoup de sa qualité, de sa turbidité et de sa salinité. A Belle-Île des particules en suspension nous auraient obligés à intégrer un prétraitement à processus de dessalement, ce qui est très couteux.
Il n’y a pas eu réellement d’étude financière de la solution du dessalement à Belle-Île. Evidemment, il était d’autant plus facile de convaincre les habitants que le dessalement était une fausse solution.
Pour Mme LANE, certains élus ne travaillent pas assez et sont mal informés. Ceci explique que les élus ne soient pas opposés au projet de l’usine de dessalement défendu par le maire de la CCBI. D’un autre côté, la mentalité des habitants de l’île est différente des gens du continent et il faut avoir cela en tête. Les habitants refusent notamment d’être dépendants du continent, ce qui est arrivé quand la CCBI a été obligé de faire acheminer des bouteilles d’eau potable par bateaux. Ceci peut expliquer en partie que la solution du dessalement ait été retenue dans un premier temps.
Y a-t-il un manque de courage politique chez les élus?
En voulant installer cette usine de dessalement, le maire a fait un choix qui montre son manque de courage. La solution du dessalement est une solution de facilité. C’est d’autant plus absurde que la plupart d’habitants étaient contre cette solution. En voulant éviter les risques de toutes sortes, le maire s’est grillé électoralement. Etrangement il s’est fait élire sous une étiquette de gauche à visée écologiste.
Mme LANE a participé à la rédaction de la profession de foi aux moments des élections ; elle fut une élue. Bien qu’annoncé comme de gauche, il n’en était rien dans les faits. Il a manqué d’une consultation avec les citoyens pour déterminer la meilleure solution. Au contraire, les gens sont dépossédés de leur droit de regard.