Les débats concernant quel sport choisir ? quels acteurs ? quelle société ? quelle définition du dopage ? se rapportent au sportif. C’est à lui de répondre à la question « to dope or to fulfill my dreams without doping ? » (William Bock)

Il faut reconstruire le sport sur des valeurs plus saines et plus solides. D’après le Professeur Karl-Heinrich Bette « L’abandon de tout esprit de fair-play, la tromperie sont devenus des choix stratégiques, des calculs rationnels faits avec sang-froid par les acteurs sportifs pour s’adapter aux possibilités et aux contraintes de leur milieu. » ¹ Le sport d’aujourd’hui a été perverti. Les sportifs sont soumis à des pressions incroyables, la volonté de réussir d’une part mais également celle de leur entourage, de leurs entraineurs, des sponsors, des médias ou du public.

Le sociologue Vincent Troger affirme « Autrement dit, les conduites de dopage ne peuvent pas uniquement s’expliquer par la contrainte économique qui pèse aujourd’hui sur le sport de compétition. Elles sont aussi le résultat de choix individuels, certes plus ou moins influencés mais décidés pour surmonter une insuffisance, et dont les auteurs mettent consciemment leur santé en danger dans l’espoir d’une récompense narcissique. »²

Renoncer au dopage peut revenir à renoncer à des ambitions datant de plusieurs dizaines d’années. Le sportif est amené à devoir choisir entre le dopage et abandonner son rêve. Comme l’a si bien dit William BOCK, dans sa conférence au comité Olympique Français: “No human being should have to face the choice between doping and fulfilling his dreams.”³

Lorsque Levi Leipheimer, ancien coéquipier de Lance Armstrong, se confesse à l’USADA en octobre 2012, il déclare « Je me suis dopé parce que je voulais réaliser mon rêve de courir le Tour de France. Ce n’était pas choisir entre le bien ou le mal. Je suis désolé d’avoir été obligé de prendre les décisions que j’ai prises. J’avoue que je n’ai pas laissé le dopage me détourner de mon rêve. Le dopage n’était pas l’exception, c’était la règle. »⁴

Pourtant, certaines voix s’élèvent pour dire en substance que le sportif n’est pas seul responsable de ses actes. le sociologue du sport Jean-Pierre Escriva décharge le sportif d’une part de responsabilités : « le voyeurisme des spectateurs est une caution du système ». ⁵ L’USADA l’a montré dans un cas particulier : le dopage est organisé, et le sportif appartient au système du dopage.

 

Comment savoir où commence le dopage si, d’une définition à l’autre, une même pratique est proscrite ou non ?

 Le président de la Commission Nationale de Lutte contre le Dopage, Claude Louis Gallien, dresse ce constat: « Le Comité International Olympique (C.I.O.) lui-même ne propose pas de définition « officielle » de référence, se bornant à publier une liste des produits ou des pratiques interdites »¹

« Au total, les points essentiels paraissent être les suivants :

• il existe des produits [...] susceptibles de modifier artificiellement les capacités d’un sportif.
• Ces produits ou procédés peuvent être utilisés au cours des compétitions [...].
• L’usage de ces produits porte préjudice à l’éthique sportive.
• L’usage de ces produits porte préjudice à l’intégrité de l’athlète. »²

Prenons les exemples suivant pour mieux comprendre :

La frontière de la morale est-elle si bien définie entre un hyper-entraînement – qui serait acceptable – et l’emploi de méthodes physiques artificielles qui relèveraient du dopage? Ou encore entre un suivi médical rigoureux – qui serait recommandé – et un soutien biologique et chimique qui serait prohibé?

Principal accusé dans le procès de l’affaire Puerto, le docteur espagnol Fuentes a défendu lors d’une interview au quotidien Marca l’usage « d’un dopage thérapeutique »⁶ destiné à protéger ses patients, dont la santé était menacée par « les énormes dommages encourus en raison de leur entraînement et de leur calendrier si exigeant ». De tels oxymores montrent la diversité des points de vue.

 

L’entraînement est progressivement devenu le cadre de la plupart des pratiques dopantes

À en croire C.L. Gallien, « Le sport a atteint une telle exigence qu’il faut, pour parvenir au plus haut niveau, user de procédés extra-physiologiques, c’est-à-dire du dopage. Voilà quelques années, on se dopait pour “ faire un coup ”, le jour J.»⁷

À noter qu’il existe une vidéo troublante (https://www.youtube.com/watch?v=RTqk2Bt9H_M) où Fabio Cannavaro (footballeur italien) semble se doper peu de temps avant la finale de la COUPE UEFA 1999, finale qui se terminera par la victoire 3-0 du Parme FC contre l´Olympique de Marseille.
Dans cette archive vidéo, le lauréat du Ballon d’Or 2006 est en pleine séance d’intraveineuse de Neoton, un stimulant cardiaque.

« Je n’ai que 25 ans et ils sont en train de me tuer » dit Cannavaro: le sportif n’est ici que spectateur du dopage dont son corps est l’objet.

Le stimulant cardiaque injecté ne figurait alors pas sur la liste des produits prohibés. Cependant, le pharmacologue Eugenio Muller est formel : «  C’est une substance qui libère de l’énergie, [...] qui permet une augmentation de la performance de l’individu. » Il s’agit donc d’une pratique dopante.

Filmée il y a près de 15 ans, cette pratique est désormais interdite la veille des matchs.

Claude Louis Gallien de conclure «Aujourd’hui, on se dope à jet continu, simplement pour supporter l’entraînement.»⁸

Dans le cadre du sport de très haut niveau, les entraînements ne peuvent plus perfectionner le corps humain. D’après Jean-François Toussaint, directeur de l’IRMES, les entrainements développent des capacités physiologiques dont l’impact a surtout progressé entre 1950 et 1990. Il n’en est plus, et ce malgré l’intégration de facteurs déterminants : l’alimentation, l’hygiène ainsi que les applications technologiques de notre compréhension de la biologie humaine.⁹

Ainsi l’entraînement est en passe de devenir le laboratoire des essais de dopage.

En effet, face à de faibles marges de progression, la tentation d’utiliser des substances dopantes est de plus en plus forte pour les sportifs de haut niveau. Va-t-on pouvoir résister longtemps à cette vague déferlante qui touche toutes les disciplines ?

Patrick Schamasch, ex-directeur médical du CIO confirme que le dopage concerne aujourd’hui autant (sinon plus) l’entraînement que la performance.¹⁰

Il réclame davantage de “tests intelligents” et reproche le manque de contrôles effectués hors compétition.

Ainsi, la fluctuation de la définition du dopage ainsi que du cadre (entraînement, compétition) dans lequel il s’inscrit, conduit à une « Drôle de lutte » qui consiste à affronter l’indéfini.

 

Un exemple de la polysémie du dopage

Ce point de controverse s’est illustré à travers un sujet brûlant dans l’actualité, mêlant experts médicaux, représentants des instances anti-dopage et dirigeants de clubs. « Dopage : le rugby, premier sport touché en France » titrait le Monde le 27/03/13.¹¹

En 2012, le rugby a connu 22 contrôles anormaux sur 588 effectués. 9 de ces 22 contrôles sont liés à une consommation de cannabis.

Bruno Genevois, le président de l’AFLD, relativise la portée de cette déclaration. Selon lui, le ratio entre le nombre de cas positifs et celui des contrôles effectués n’est pas significatif et ne permet pas de tirer des conclusions sur une seule année. De plus, établir une corrélation entre un dopage lourd comme le recours à l’EPO dans le cyclisme et les cas observés au rugby est difficile.¹²

Mais pour Mourad Boudjellal, président du RC Toulon (Rugby), “ceux qui prennent du cannabis savent qu’on ne peut pas ensuite traverser un terrain avec ça. [...] Bien sûr c’est un produit interdit, mais ça ne vous fait pas avancer sur un terrain. Donc oui, le rugby est le sport le plus dopé, juste derrière le reggae…»¹³

Bernard Laporte, ex-secrétaire d’Etat chargé des Sports, actuel entraîneur du RC Toulon, réagit également à la polémique :

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Est-il légitime de se poser la question de relativiser un dopage au cannabis par rapport à un « dopage lourd » ? Certes, le cannabis ne constitue qu’un dopant indirect dans la mesure où il désinhibe, mais n’améliore pas directement la performance. Cependant, il s’agit d’un psychotrope redoutable qui induit une addiction chez celui qui l’utilise. C’est bien là pourtant le 4ème critère cité par Claude Louis Gallien…

Plus encore que se demander quel Sport on veut choisir, on peut se demander quelle Société choisir ?

« A travers le problème du dopage sportif et de la lutte anti-dopage se pose en réalité la question de la conception même du sport. Et cette question renvoie directement à un débat beaucoup plus large et beaucoup plus grave qui est celui d’un choix de société. »¹

Bien loin de se cantonner aux seuls sportifs, le dopage pose de plus en plus de questions morales, sociétales. A l’aide d’outils de quantifications (via la base de données Scopus), nous avons pu constater qu’un véritable élargissement disciplinaire s’était opéré pour le dopage. Les publications scientifiques à ce sujet, essentiellement concentrées sur les sciences médicales jusqu’en 2002, se rattachent désormais à des domaines tels que la psychologie ou les sciences sociales.

Il a été choisi de découper le temps en deux périodes. Tout d’abord, de 1966 (date du premier article scientifique concernant le dopage enregistré sur la base Scopus) à 2002. Puis de 2003 à aujourd’hui car nous allons voir que le débat a pris sa forme actuelle autour de la question de « human enhancement » (amélioration de l’humain) il y a dix ans. 

période 1966-2002 :	102 résultats
période 2003-2013 :	129 résultats

Voici les répartitions disciplinaires respectives des documents scientifiques publiés. L’équation de recherche était « Doping AND Sport AND Ethic » à rechercher dans les titres, les mots clés ou les abstracts des publications.

On constate que la question de l’éthique dans le sport est assez récente. Néanmoins la forme récente de la controverse, « human enhancement », prouve que dans le dopage s’affrontent deux points de vue sociétaux.

Quelles sont les retombées sur la santé du culte du sportif ?

Plusieurs spécialistes s’accordent à dire que le dopage est une drogue. La consommation de produits dopants entraîne une accoutumance psychologique qui laisse croire à l’individu que l’usage de ceux-ci lui est indispensable pour réaliser ses performances. C’est la raison pour laquelle Christophe Brissonneau déclare dans un article du Monde de 2011, qu’il faut rapprocher la lutte contre le dopage de celle contre la cigarette ou l’alcool : « la prévention du dopage dans le milieu sportif ne répond pas à ce qui est fait contre le tabac ou l’alcool. »²

Il faut en effet sensibiliser le grand public au dopage, lui montrer que son comportement pousse les athlètes à une telle pratique. Valérie FOUREYRON, qui est également ministre de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, explique très bien pourquoi il faut communiquer à ce sujet avec l’ensemble de la société :

Aujourd’hui le sport est une véritable institution³ . On l’utilise pour éduquer les enfants et on loue constamment ses bienfaits à la fois sur le plan de la santé que sur le plan des valeurs (esprit d’équipe, courage…). L’homme moderne doit avoir une allure sportive et aspire à ressembler aux athlètes qu’il voit quotidiennement à la télévision. Nombreux sont les enfants qui s’identifie à des stars du sport. On a vu que cela mettait encore plus de pression sur les sportifs. Comment peut-on accepter l’échec quand on est l’idole de tout un peuple? C’est donc une véritable culture du dopage qui gangrène le sport professionnel actuel.

Quel sport choisir pour demain ? Un sport naturel, propre et valeureux ? Ou un entrepreneuriat concurrentiel égocentrique ?

Explication de ce qu’est la ME GENERATION

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Dans cette video, Rob Koehler, membre de l’AMA, explique qu’aujourd’hui sport et société se reflètent l’un l’autre. On est rentrés dans l’ère de la « Me Generation » (ou « génération Moi » ). Les sportifs, comme les hommes, pensent que tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins, y compris la triche, le dopage.

 

Des pressions de plus en plus fortes

Une transformation du sport est aujourd’hui constatée dans les pays d’économie de marché, il représente désormais des enjeux économiques importants. Le sport rapporte de l’argent à plusieurs niveaux. Directement par les gains des spectacles qu’il propose. Indirectement aussi par les surfaces publicitaires offertes, et les consommations générées lorsqu’il impose un style vestimentaire ou lorsqu’une pratique sportive amateur se répand dans la société. Vincent Troger affirme ainsi « Le sport est devenu un marché qui met en jeu de gros intérêts financiers et représente environ 3 % du commerce mondial. »⁴

Dans ce contexte le rôle des sponsors est très important.

Les gros intérêts mis en jeu impliquent une augmentation du nombre de compétition. « Les enjeux économiques sont tels que le nombre des compétitions continue d’augmenter dans bien des disciplines entraînant une lourdeur du calendrier »⁵ .

Marie-Françoise Clergeau, députée de Loire-Atlantique, tire la sonnette d’alarme. « La longueur parfois exagérée des saisons sportives, le développement excessif du sport spectacle et de sa marchandisation est préjudiciable au respect par les sportifs des principes éthiques qui doivent régir chaque discipline. »⁶ . En effet les sportifs sont alors à l’épreuve de leurs limites.

Un ordre d’idée de l’évolution des exigences du sport peut-être donné en prenant des cas particuliers au cours du siècle dernier. Ainsi Henri Pélissier, mort en 1935, a couvert 52 000 kilomètres à 25 km/h de moyenne, et ce en vingt-quatre ans de carrière cycliste. Eddy Merckx, cycliste professionnel dans les années 70, en a parcouru 400 000 en treize ans à 37 de moyenne ; et un coureur moyen contemporain en revendique plus de 30 000 par an à plus de 45 de moyenne⁷ .

Le dopage n’intervient en général qu’après être arrivé au bout de la rentabilité de l’entraînement intensif. Monsieur Troger conclue alors qu’une fois arrivé au bout de ses limites « il n’est plus rentable [pour un athlète] d’intensifier encore l’entraînement et les exigences de l’hygiène de vie. Le dopage devient à ce moment logique, sinon inéluctable. »⁸