Une eau vraiment potable ?

Les nitrates sont ils dangereux pour la santé humaine ? C’est une question légitime qui est venue animer le débat scientifique voilà plus de soixante ans. Si on est parfois interpellé par les publicités pour des marques d’eaux minérales “zéro nitrates”, le lien entre les nitrates et notre santé ne serait pas aussi simple qu’on puisse le croire. Sont-ils vraiment néfastes ?

Les nitrates, comment en absorbons-nous ?

D’abord, et même surtout, par notre alimentation. Non seulement ils sont contenus dans l’eau (et c’est bien le coeur du problème que nous étudions), mais en réalité, selon le Centre d’Information sur l’Eau, 60% de ce que nous absorbons provient non pas de l’eau de consommation mais dans nos aliments. L’UNIFA qui présente, sur son site officiel, un article très fourni intitulé “Nitrates et Santé humaine”, avance des chiffres précis.
“Les aliments les plus riches sont les légumes : laitue, épinard, céleri, betterave qui contiennent plus de 1000 mg de nitrate par kilo (parfois jusqu’à 4000 mg par kg). La concentration dans les autres légumes est de l’ordre de 100 à 1000 mg par kg. On peut estimer que les apports en nitrate par l’alimentation se situent entre 30 et 185 mg par jour.”[1]

Mais ce n’est pas tout. L’humain produit aussi lui-même des nitrates. Comment ? Par nos glandes salivaires. Dans la bouche, sous l’action d’enzymes bactériennes présentes sur notre langue, ces nitrates sont réduits en nitrites. Enfin, dans l’estomac, l’acidité gastrique entraine leur réduction en oxydes nitriques (NO).

Ils peuvent aussi réagir avec des amines, pour former des nitrosamines, ou N-nitroso-composés (N.O.C.). Aussi, le tabac constitue une source extérieure majeure de nitrosamines.

Nitrates, danger pour l’homme ?

Aussi connue sous le nom de « maladie bleue du nourrisson », la méthémoglobinémie constitue la genèse de la mauvaise réputation des nitrates. Cette maladie est liée à l’oxydation de l’hémoglobine, qui l’empêche de transporter l’oxygène. Philippe Eveillard résumait : “C’est un cas d’asphixie”. Les nitrites (pas les nitrates) étant des oxydants puissants, dans les années 50, on a soupçonné les nitrates, une fois transformés en nitrites par les bactéries du côlon, d’être responsables de cette maladie. Ce qui n’a pas tardé d’alerter les autorités. Ainsi, en 1962, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a établi une Dose Journalière Acceptable (DJA) pour les nitrates présents dans les aliments : 3,7 mg NO3/kg/j, soit moins de 250 mg de nitrates par jour pour un adulte.

Cette décision entendait répondre aux observations enregistrées, et selon l’UNIFA c’est au tout début lié au constat d’un pédiatre américain, qui, en 1945, avait établi une corrélation entre des cas de méthémoglobinémie et la consommation des eaux de puits dans les biberons des nourrissons : “le pédiatre avait alors limité, de manière arbitraire, le recensement des cas à ceux associés à des puits présentant une teneur en nitrate supérieure à 44 mg/L” [2]. Bientôt des observations contradictoires, toujours sur le territoire américain , allaient émerger. En 1963, l’Agence de l’Eau de Californie a par exemple révélé que nombres d’eaux de puits de l’Etat contenaient plus de 2g/L de nitrates (soit 80 fois la norme française actuelle) et que jamais leur consommation n’avait engendré un seul cas de méthémoglobinémie.

La transformation des nitrates en nitrites nécessitant la présence de bactéries, on n’observerait le développement de la pathologie que dans des cas d’hygiène particulièrement mauvaise.

Philippe Éveillard nous déclarait ainsi : “De fait, cette maladie n’existe plus en Europe, il n’y a plus aucun cas depuis plusieurs dizaines d’années puisqu’on a une hygiène maintenant, pour l’eau des nourrissons, qui fait que même s’il y a un peu de nitrates dans leur peau d’épinards (puisqu’il y en a toujours !), ça ne pose aucun problème !”

Une réglementation française, pourtant

En France, cette norme sanitaire de 50 mg/L est en vigueur depuis longtemps. Bruxelles soumettait ce seuil dès 1980, via la Directive n°80/778/CEE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Elle a ensuite été retranscrite pour la première fois en France neuf ans plus tard, par le décret n°89-03 du 3 janvier 1989.

Un tel seuil est dit de précaution maximale. En pratique, entre 50 mg/L et 100 mg/L, la teneur exceptionnelle de l’eau doit être signalée, et sa consommation est déconseillée aux nourrissons et aux femmes enceintes. Au delà de 100 mg/L, l’eau ne doit pas être bue : elle n’est plus potable.

Les nitrates, seraient-ils bons pour la santé ?

C’est en se renseignant sur l’UNIFA en marge de notre rencontre avec Philippe Éveillard que nous avons pris conscience qu’à l’heure actuelle, des résultats scientifiques des plus entendus étaient, en terme de risque sanitaire, en train de redorer le blason des Nitrates. Nous avions d’abord été surpris, en lisant sur le site officiel de l’UNIFA, l’article “Nitrates et Santé”. Dans cet article, l’Union juge que “Les connaissances scientifiques ont évolué depuis et les recherches les plus récentes mettent en évidence l’innocuité du nitrate dans notre alimentation”. “Nitrates, élement indissociable de la vie”. L’UNIFA attribue en effet aux composés azotés nombre de vertus. Ainsi les dérivés nitrés entrent “depuis longtemps” dans la composition “de nombreux médicaments” pour le traitement de l’hypertension. “Les travaux récents de différentes équipes de chercheurs”, bien que les dites-équipes et les dits-travaux ne soient pas mentionnés, auraient montré qu’une alimentation riche en nitrates diminuerait le risque de maladies cardio-vasculaires”. Enfin, les nitrites auraient une “fonction antiseptique [qui] diminuerait le risque d’infection gastrique”. L’Union se fait l’avocate des nitrates pour la santé, mais reste tout de même légèrement alusive dans sa plaidorie. La dernière avance est cependant corroborée par une étude bien mentionnée :

Benjamin N., McKnight G. Metabolism of nitrate in humans-implications for nitrate intake. Conference organised by the Agriculture sector and Toxicology Group of the Royal Society of Chemistry on Managing Risks of Nitrates to Humans and the Environment at the University of Essex on 1-2 September, 1997.

En poussant un peu plus, il est rapidement offert le constat que l’UNIFA est loin d’être seule à trouver aux nitrates des effets bénéfiques. Et que ce jugement s’appuie sur un véritable fond scientifique.
En 1996, déjà, les docteurs Jean et Jean Louis l’Hirondel écrivaient Les Nitrates et l’Homme, le mythe de leur toxicité, dans lequel ils affimaient effectivement : “[Les nitrates] interviennent aussi favorablement dans la prévention de l’hypertension artérielle et des troubles cardio-vasculaires.” [3]
Quinze ans plus tard, en mars 2011, “Nitrate, nitrite, oxyde nitrique : nouvelles perspectives pour la santé”, un colloque organisé sous le patronage de l’Académie Nationale de Médecine , qui s’est tenu à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris, aboutissait à des conclusions similaires. Le compte-rendu de ce colloque est mis à disposition en ligne par le syndicat agricole Coordination Rurale.[4]
Il est révélateur : lors de ce colloque se sont succédés à la tribune des professeurs venus de l’INSERM (Paris), du Karolinska Institute (Stockholm), ou encore de l’University of Pittsburgh School of Medicine. Ils y ont défendus les effets bénéfiques des nitrates sur rien de moins que, la fonction rénale, le système cardio-vasculaire, la circulation sanguine.

Fort de ces constats, Coordination Agricole suppose en introduction du compte-rendu du colloque : “Les nitrates sont des nutriments tellement utiles qu’il importe d’en informer le public, en attendant l’évolution des normes et recommandations alimentaires.”

Mais aujourd’hui l’information semble bien relayée au public. En octobre 2012, le célèbre magazine Science & Vie publiait un article à la Une accrocheuse : “Nitrates : attention, ils sont bons pour la santé.” Le numéro proposait alors une enquête de six pages résumant les résultats positifs d’études menées par des établissements aussi réputés que le Karolinska Institute (Suède), l’Université d’Exeter (Grande-Bretagne), ou encore le Texas Therapeutic Institute (États-Unis).

Il semblerait désormais que des arguments d’autorité suffisante obligent à présent à admettre l’innocuité des nitrates pour le corps humain. En Europe, la méthémoglobinémie est désormais endiguée et avec elle a disparu le premier apanage de la dangerosité des nitrates. Ceux-ci n’en constituent pas moins, ceci étant, un danger environnemental.

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Références
[1] UNIFA, Blog de l’UNIFA, “Nitrates et Santé” <http://www.unifa.fr/sante-a-alimentation/nitrates-a-sante.html>, consulté le 11 avril 2014.
[2] LECERF, Jean-Michel, “De la physiologie à l’épidémiologie”, Aprifel, <http://www.aprifel.com/articles-sante,detail.php?&a=621>, 2002.
[3] France Nature Environnement, “Qualité de l’eau et pollution aux nitrates : agir sans attendre ! Les impacts sur l’air et la santé”, présentation diaporama, 11 avril 2014, Paris.
[4] France Nature Environnement, “Nitrates”:
<http://www.fne.asso.fr/transfert/eau/6_Nitrates.pdf>, consulté le 25 avril 2014. ‎
[5] Compte-rendu du colloque “Nitrate, nitrite, oxyde nitrique, nouvelles perspectives pour la santé”, sous le patronage de l’Académie Nationale de Médecine, Coordination Agricole, 31 mars 2011, Pitié-Salpétrière. http://www.audace-ass.com/News_database/Nitrate/Fr/ADICARE-Symposium-2011/11_03_31_Coordination-Rurale_cpte_rendu_colloque_nitrates_paris__1_.pdf
[6] L’hirondel, J. et L’hirondel, J.-L. (1996) Les Nitrates et l’Homme. Le mythe de leur toxicité. Editions de l’Institut de l’Environnement, Liffré, France, 142 p