Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26 Mon, 01 Jun 2015 05:11:41 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=4.1.8 La controverse http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=1219 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=1219#comments Sun, 31 May 2015 19:24:11 +0000 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=1219 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?feed=rss2&p=1219 0 Introduction http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=361 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=361#comments Mon, 04 May 2015 09:45:29 +0000 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=361 Continue Reading

]]>
Le 28 décembre 2012, Vincent Maraval, producteur et distributeur au sein de la société Wild Bunch dont il est le patron, sortait une tribune dans Le Monde intitulée « Les acteurs français sont trop payés ! ». Cette tribune dénonçait les cachets élevés de certains acteurs français, par rapport à la rentabilité des films.

Vincent Maraval critique ici une facette d’ores déjà controversée du financement du cinéma français. Dans notre étude tout nous mena à qualifier ce système « d’inflationniste », cela pour de multiples raisons dont fait parti le salaire des acteurs. C’est au sens étymologique et non pas économique de ce terme que nous faisons référence, du latin inflatio signifiant « gonfler ». Car en effet, le système de financement du cinéma français semble être de nos jours dans une mécanique d’agrandissement, d’accroissement perpétuel s’étendant à plusieurs niveaux : quant au nombre de protagonistes, quant au nombre de films, quant à la règlementation, quant à la multiplicité des supports.

Après la publication de cette tribune ont eu lieu les premières « Assises pour la diversité du cinéma » le 23 janvier 2013, organisées à la demande de l’ancienne Ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti pour débattre de l’amélioration du système de financement du cinéma français. Suite à cela a été mis en place un groupe de suivi des Assises, dont le président du CNC de l’époque, Eric Garandeau, a confié à René Bonnell, auteur et producteur, la mission d’en  mener et rapporter les travaux. Ainsi, en décembre 2013 fut publié le rapport Bonnell, autrement appelé « Le financement de la production et de la distribution  cinématographiques à l’heure du numérique ».

Frise chronologique des évènements 

Finalement, il existe deux sujets sur lesquels les acteurs s’accordent : le cinéma français se porte bien, et il existe une sur-production des films aujourd’hui. Les acteurs débattent donc pour que le système du cinéma français conserve son statut au niveau international, dans un contexte de multiplication des supports et de développement du numérique.

Sous quelles conditions le cinéma français, que nous considérons comme un système inflationniste conjuguant forte régulation et liberté du marché, s’équilibre-t-il ?

Cette question doit cependant être précisée : les acteurs ne s’accordent pas sur la même définition de l’inflation. C’est pourquoi nous avons choisi de préciser trois aspects de cette logique. Dans un premier temps, nous avons traité l’inflation du point de vue du salaire des acteurs. Puis, nous avons détaillé l’influence de la surproduction sur le financement du cinéma. Enfin, nous nous sommes intéressées à la multiplication des supports et la diversification de l’offre et leur influence sur les goûts du public, imprévisible.

]]>
http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?feed=rss2&p=361 0
Le salaire des acteurs http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=180 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=180#comments Sun, 03 May 2015 14:19:29 +0000 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=180 Continue Reading

]]>
Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde en décembre 2012 dénonçait des abus concernant le cachet de certains acteurs. Cette tribune a lancé une réflexion sur la possible nécessaire réforme du cinéma français. Une réflexion qui fût amorcée le 23 janvier 2013 où se sont déroulées les Assises du cinéma organisées à la demande de la Ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, par le président du CNC de l’époque, Éric Garandeau, pour débattre de l’amélioration du système de financement du cinéma français :

« Ce débat a permis de rappeler la pertinence du modèle de financement de notre industrie cinématographique. Il a également confirmé la nécessité de procéder à de nouvelles adaptations de ce système dont la réforme régulière est gage de son efficacité. (…) Dans cette perspective, le CNC met en place un groupe de suivi des Assises, réunissant l’ensemble des professions intervenant dans le financement du cinéma. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir mener et rapporter les travaux de ce groupe. » (Source: Lettre de mission de Éric Garandeau adressée à René Bonnell datée du 20 mars 2013. Rapport Bonnell, p. 7)

Voici la mission qu’a confiée le président du CNC à René Bonnell suite aux Assises du cinéma. Le rapport Bonnell a ainsi vu le jour en décembre 2013. Ce dernier comporte 50 propositions visant à améliorer le système de financement du cinéma en France destinées ensuite à servir de base aux négociations interprofessionnelles et aux pouvoirs publics pour légiférer.

Ensuite, pour la première fois de son histoire, le 28 novembre 2014, le CNC a par exemple pris des mesures pour limiter les cachets des acteurs.

La question qui se pose est donc la suivante : Est ce qu’intervenir sur le salaire des acteurs est une modalité de l’équilibre du système de financement du cinéma français?

 « Les acteurs français sont trop payés ! » : c’est grâce à ce titre très évocateur que la tribune de Vincent Maraval publiée en décembre 2012 a eu un fort retentissement dans le milieu cinéma français. Il a mis l’accent sur ce qui, selon lui, constituent les dérives de l’économie du cinéma français :

« Dix fois moins de recettes, cinq fois plus de salaire, telle est l’économie du cinéma français. » (Source: Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde)

C’est plus particulièrement les acteurs-vedettes français qui sont pointées du doigt dans cette tribune. En effet, selon lui, certains acteurs français réclament des cachets à 7 chiffres même si leur film soit un échec.

Nous avons donc tenté de comprendre les logiques qui poussaient à cette inflation du salaire de certains acteurs. Ainsi, quelle place tiennent les acteurs dans l’économie du cinéma français ?

 Une inflation qui ne concerne pas l’ensemble des interprètes


Le titre de la tribune de Maraval laissait croire que tous les acteurs français étaient trop payés. Il lui a été très rapidement reproché son manque de différenciation entre ces acteurs vedettes et le reste de la profession des interprètes, qui sont en majorité des intermittents.

 Il s’avère que cette généralisation s’est construite autour d’un nombre de films qui ne représentent en réalité que 5 à 10% du volume de production, mais qui sont souvent retenus à cause de leurs budgets qui dépassent les 15 M€:

« Les films du dernier quartile, et surtout ceux dont les budgets dépassent 15 M€, présentent une image déformée de la situation de la branche. Ils ne représentent que 5 à 10 % du volume de la production mais concentrent l’attention car ils apparaissent comme les symboles d’une envolée irréaliste des coûts par rapport aux possibilités d’amortissement du marché. » (Source: Rapport Bonnell, p. 23)

Des acteurs-vedettes aux cachets importants….

Cette généralisation, nous la retrouvons également à plus grande échelle au niveau des cachets des acteurs. Certains acteurs français appartenant à la catégorie A, ayant une visibilité médiatique importante et un public réactif derrière eux, vont souvent apparaître comme le reflet de l’ensemble des interprètes. Or, ces cachets ne concernent qu’un nombre minoritaire d’interprètes et non l’ensemble de la profession :

«Plutôt que de parler des acteurs, vous auriez dû écrire en guise de chapeau: «Les vedettes françaises sont trop payées». C’est vrai. Les 50 vedettes? Les 30 vedettes? Les 10 vedettes? » (Source: Sam Karmann, acteur/réalisateur, dans une lettre adressée à Vincent Maraval et publiée par Lemague.net)

 Mais pourquoi cela a alors autant de retentissement ? Pourquoi la question du salaire d’une minorité d’acteur est-elle au centre de tous les débats ? Outre la grande visibilité due aux budgets importants, cela s’explique par le fait que le poids de ce cachet représente une part importante du budget d’un film :

« Le coût global du « talent » (acteurs principaux, scénaristes et réalisateurs et charges) pèse de 10 à 30 % des devis de films compte non tenu de films exceptionnels tournant autour d’une « vedette orchestre » (plus de la moitié du budget dans un cas). » (Source: Rapport Bonnell, p. 26)

Dans son rapport, René Bonnell précise alors que « L’interprétation (…) constitue le poste le plus lourd » (p. 26). Il s’avère que les rôles principaux, représentent 11 à 12% du budget consommé d’un film. Une part de budget important dans le devis du film, mais encore plus importante au regard des rémunération de l’ensemble des interprètes :

« la rémunération des interprètes principaux (…) totalise selon les films des deux tiers aux trois quarts en moyenne des montant affectés à l’interprétation. Seconds et petits rôles se partagent le reste ». (Source: Rapport Bonnell, p. 26)

Ainsi, bien que ces têtes d’affiches sont proportionnellement inférieures en nombre du reste des interprètes d’un film, elles attirent l’attention du fait de la grosse partie du budget consacré à l’interprétation qu’elles représentent. Leurs cachets oscillent en valeur absolue, selon les chiffres du rapport Bonnell, de 1 à 2 millions d’euros selon qu’elles cumulent plusieurs casquettes telle que celle d’interprète, de scénariste ou de réalisateur.

…. Masquant de fortes inégalités

La répartition du salaire des interprètes est régie par ce que l’on pourrait appeler une loi de puissance : un petit nombre d’entre eux gagne beaucoup, et énormément gagnent peu.

« Derrière l’opulence de quelques « vedettes », il convient donc de le relever, la majorité des comédiens ne connaît que cachets faibles et emplois épisodiques» (Source: Rapport Bonnell, p.26)

Le rapport Bonnell a mis en avant un « fort déséquilibre dans la répartition des cachets ». En effet, la part totale des dépenses allouées aux interprètes principaux qui ne sont rarement plus de deux ou trois par film, dépasse régulièrement les 60% du budget total alloué à l’interprétation. Plus un film a un niveau de budget élevé, plus la part des dépenses allouées aux rôles principaux va augmenter. Ce qui s’explique par le fait de l’importance du cachet demandé par les vedettes principales :

 “Plus le salaire d’un comédien est important, plus vous risquez à un moment donné de faire des arbitrages et de limiter l’argent que vous allez donner aux autre comédiens » (Source: Entretien avec un producteur)

Certains acteurs obtiennent de gros cachets : comment expliquer cela?


Une tête d’affiche participe-t-elle au succès d’un film ?

Il y a derrière cela l’idée qu’un film à gros budget se construit généralement autour d’un nom. En effet, il s’agira du nom que l’on retiendra du film, de l’acteur qui fera se déplacer le public. Ainsi, certains partent du principe que cela justifie des cachets élevés :

« Quand vous avez une œuvre que ce soit un roman, un album de musique, un film, elle est toujours associée à des marques. Le salaire des acteurs reflète en général la valeur de leur marque pour le film. Ainsi, un acteur comme Dany Boon qui fait un film vu par presque 20 millions de personnes, s’il passe dans un autre film, va toucher un public que l’on peut considérer comme captif. Il est normal, d’un point de vue microéconomique qu’il le fasse payer.» (Source: Entretien avec Olivier Bomsel)

 De nombreux acteurs de notre controverse ont justifié le fait que les vedettes tirent profit des films à gros budget par le fait qu’en contrepartie elles assurent sa notoriété auprès du public :

« Les acteurs ont directement une incidence sur les comptes des films, c’est à dire que un tel acteur (…) va ramener des gens en salle. » (Source: Entretien avec un responsable adjoint de production)

Au fur et à mesure de nos recherches, nous nous sommes finalement rendues compte que ces cachets étaient souvent justifiés par les financeurs – plus particulièrement les producteurs et les distributeurs – par le fait que ces acteurs là représentaient une valeur sûre. On a surtout vu apparaître cette volonté de se prémunir contre l’échec d’un film grâce à cela : la dimension de diminution du risque est très présente. En effet, le cinéma doit faire face notamment à la multiplication des supports, l’apparition des séries, aux goûts changeants du public mais aussi à la crise, ce qui amène à raisonner en terme de sûreté pour assurer la rentabilité :

« il faut choisir des films rentables, souvent avec des acteurs connus, c’est autour d’eux que va se construire le film.” (Source: Entretien avec Axel Scoffier)

Cela va ainsi participer à l’inflation du salaire des acteurs : les producteurs, soumis à une forte compétition, qui désirent absolument le talent vont en accepter les exigences c’est à dire le casting, le cachet et les moyens de production. Les agents auront ainsi l’occasion de faire grimper les cachets de leurs clients :

« Le niveau de ces gratifications (…) est en général expliqué par le jeu de l’offre et de la demande : producteurs et diffuseurs s’arrachent un talent, rare, souvent non interchangeable qui caractérise les têtes d’affiche. » (Source: Rapport Bonnell, p. 27)

 Est ce que la présence d’un acteur-vedette diminue réellement les risques d’échec d’un film?

 Payer plus les acteurs pour plus de rentabilité sur un film semble être un raisonnement rationnel. Néanmoins, il convient de s’interroger sur la vérification de cette logique. Ainsi, ce raisonnement connaît certaines limites. Tout d’abord, souligne René Bonnell dans son rapport, lorsque l’on considère qu’aucune « vedette » n’a pas connu d’échecs dans sa carrière. De plus, selon lui, un comédien ne pourrait déterminer le succès d’un film sinon seulement participer au succès d’un film. Il convient alors de relativiser le succès d’un film que l’on attribue aux interprètes principaux :

« L’impact sur le public relève d’une alchimie dont l’interprète n’est qu’un des éléments (…). Dans le meilleur des cas, il peut, en rendant le film plus visible, garantir un niveau minimal de recettes qui ne suffit pas toujours à amortir le surcoût de production qu’il génère. » (Source: Rapport Bonnell, p. 27)

 Aussi, il met en avant ici un autre type de risque: de tels cachets accroissent les risques financiers en gonflant le budget des films.

Mais alors qu’en disent les économistes ? Trois économistes américains, A. De Vany, W. David Walls et S. Abraham Ravid ont été les premiers à évaluer si l’on pouvait statistiquement prédire quel film aurait du succès ou non, et surtout quels facteurs pouvaient influer sur les recettes ou les retours sur investissement d’un film. La conclusion de ces différentes études a, elle, était unanime, les vedettes d’Hollywood n’influent pas sur les recettes et les retours sur investissement d’un film :

 « Surprisingly, stars did not matter for revenues or rates of return on movies. This was first established in Ravid (1999) and De Vany and Walls (1999) and confirmed by later work (for example, Elberse 2007) » (Source: Economics of motion pictures : the state of the art)

 Néanmoins, il apparaît que ces résultats ne peuvent être universalisables et détachés de la spécificité du cinéma de chaque pays. En effet, une étude de Fernández-Blanco et Prieto-Rodríguez publiée en 2003 intitulée Building stronger national movie industries: The case of Spain a prouvé le contraire : en Espagne, les vedettes avaient un effet positif sur le box-office. Ainsi, on ne peut affirmer que la présence d’un acteur en particulier dans un film n’influe pas sur le succès des films. Néanmoins, les producteurs et distributeurs que nous avons interrogés s’accordent sur le fait qu’aujourd’hui de moins en moins d’acteurs ramènent des gens en salle sur leur propre nom :

“La présence de tel ou tel acteur dans un casting ne garantit plus le nombre d’entrée.” (Source: Entretien avec un producteur)

Néanmoins, même si ils ont conscience qu’avoir tel ou tel acteur ne boostera pas forcément les entrées en salle, les gros producteurs et distributeurs ont tendance à continuer dans cette logique de compétition pour avoir telle tête d’affiche dans leurs films. Ils l’expliquent :

« Il y a beaucoup de gens à convaincre, et tous ces gens ont besoin d’être rassuré. Vous avez un casting, ces gens sont frileux, et le fait d’avoir des acteurs reconnus, les rassure. Et donc ils mettent plus facilement de l’argent quand vous avez des acteurs dits de « Catégorie A » » (Source: Entretien avec un producteur)

Les chaînes de télévision : acteurs clés de ce mécanisme inflationniste

 Pour les producteurs, si le but est de plaire au public c’est avant tout pour obtenir les faveurs des diffuseurs et tout particulièrement des chaînes de télévision auxquelles la loi impose d’investir une partie de leur budget annuel dans le financement de fils de cinéma : ce sont les obligations. Vincent Maraval dans sa tribune imputait l’inflation du cachet des acteurs en partie aux chaînes de télévisions :

 « Mais à quoi servent de tels cachets si les résultats ne se matérialisent pas en recettes économiques ? En réalité, ils permettent d’obtenir le financement des télévisions. » (Source: Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde)

Il convient alors d’expliquer en quoi ces obligations des chaînes de télévision participent en l’inflation et à faire gonfler le salaire des acteurs. Aujourd’hui, le cinéma est concurrencé à la télévision par de nouveaux formats tels que la télé réalité ou les séries, mais également par internet. Ainsi, passer un film à la télévision est devenu moins avantageux pour elles. Elles se refusent donc de plus en plus de prendre le risque de passer un film en soirée:

« C’est ce qui fabrique l’inflation et explique la survalorisation des acteurs et actrices bankable : une chaîne en clair va mettre 10 millions d’euros dans un film pour en avoir l’exclusivité et imposer les acteurs principaux. » (Source: Olivier Bomsel dans Libération)

 Par conséquent, les chaînes de télévisions vont co-financer moins de films, mais des films plus chers et imposer leurs exigences. Cela va donc provoquer une inflation sur les titres concernés. Le bilan 2013 du CNC nous donne quelques chiffres qui prouvent cela. En 2013 par exemple, TF1 et M6 ont financé en moyenne des devis très élevés, respectivement 17,92 M€ en moyenne en 2013 contre 13,13 M€ en 2012, et 20,40 M€ en moyenne en 2013 contre 15,61 M€ en moyenne en 2012. Vincent Maraval et le producteur que nous avons interrogé se sont tous les deux dits « otages » d’un système reposant sur les obligations des chaînes de télévision et mettant les acteurs « en position de force » dans la négociation de leurs cachets :

« Je suis pris en otage par un système, plutôt vertueux dans sa théorie, qui repose sur les obligations de financement des chaînes de télé imposées par la loi. Si l’on n’a pas tel acteur, telle chaîne ne s’engage pas, ce qui met les acteurs, et surtout leurs agents, en position de force. Comme leur cahier des charges les oblige à dépenser un pourcentage de leur chiffre d’affaires, elles essayent de consacrer cet argent au moins de films possible, ce qui provoque une inflation démentielle sur les titres concernés. Alors que l’esprit de ces obligations est de protéger la diversité, on en arrive à l’effet contraire. » (Source: Vincent Maraval interviewé par A. Ferenczi dans Télérama)

Le plafonnement des salaires


Le rapport Bonnell a abouti à 50 propositions visant à améliorer le système de financement du cinéma français. La proposition numéro 6 s’intéresse au salaire des acteurs et donc nous intéresse :

 

Proposition n° 6 : Lutter contre la hausse des budgets de production en appliquant des mesures à effet immédiat, à savoir :(…)

  •    modérer les cachets excessifs des « vedettes » (interprètes principaux, réalisateurs et scénaristes) en incitant au partage du risque commercial par un intéressement calculé sur 
des données aisément vérifiables (entrées salles, CA bruts des différents marchés l’exploitation) ;

(…)

Si la profession ne pratiquait pas une autorégulation durable (…) :

  •  définir des normes (tels ratios dessus/dessous de la ligne) et moduler l’aide automatique en fonction du respect des ratios

 Ainsi, face à l’inflation des coûts de production des films, René Bonnell a proposé une mesure concernant le salaire des acteurs : inciter à la baisse de leurs cachets en favorisant l’intéressement calculé sur des données vérifiables telles que les entrées ou les CA bruts des différents marchés d’exploitation.

Cette idée de soumettre les cachets des acteurs aux résultats du film apparaissait dans la tribune de Vincent Maraval qui proposait un plafond de 400 000€, assorti d’un intéressement aux recettes, dans les films bénéficiant du soutien des chaînes de télévision. Dans la même lignée, Olivier Bomsel, dans une interview pour Libération affirmait que :

 « Dès lors qu’il y a de l’argent qui vient d’une taxe sur les entrées en salles, via le CNC, ou encore de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, il est légitime de conditionner la subvention au plafonnement des salaires. Un plafonnement qui serait associé à un intéressement des acteurs principaux sur les résultats du film. Même chose s’il y a une aide qui vient d’une région. » (Source: Olivier Bomsel dans Libération)

 

Le 28 novembre 2014, lors d’un Conseil d’administration, le CNC a décidé de plafonner le cachet du talent – comprenant ainsi les interprètes principaux – le plus rémunéré d’un film. Désormais, en fonction du budget du film, si la rémunération la plus forte du talent dépasse un certain seuil le producteur, les coproducteurs, ou le distributeur ne pourront plus bénéficier du soutien automatique versé par le CNC, ni de l’avance sur recettes :

« Le CNC a également élaboré une mesure visant à encadrer les films présentant un coût artistique disproportionné via les aides publiques. 
Il s’agit de limiter l’accès aux aides – par l’interdiction d’investir du soutien automatique et d’avoir accès à
une aide sélective (Avance sur recettes), que ce soit 
pour le producteur, les coproducteurs ou le distributeur – pour les films pour lesquels la plus forte rémunération (auteurs, réalisateur, interprètes rôles principaux 
ou producteur personne physique) du film dépasse un montant dépendant du budget du film (compris entre
 600 000 € pour les films au budget inférieur à 4 millions d’euros et 990 000 € pour les films dont le budget est supérieur à 10 millions d’euros).
 Cette mesure a été introduite dans le Règlement Général des Aides (RGA) qui vient d’être adopté par le Conseil d’administration du CNC.
 » (Source: La lettre du CNC n°119, novembre-décembre 2014)

Voici un tableau récapitulatif du plafonnement: 

La rémunération maximale

Pour un film inférieur à 4 millions d’€ : 15 % du coût de production

Pour un film entre 4 et 7 millions d’€ : 8 % du coût de production

Pour un film entre 7 et 10 millions d’€ : 5 % du coût de production

Pour un film supérieur à 10 millions d’€ : 990.000 euros

Quel a été l’accueil de cette mesure prise par le CNC ?

 Cette mesure n’a pas fait l’objet d’un accueil unanime. Cela a ramené sur la table le débat sur la valeur des acteurs. Méritent-ils ou pas ces cachets importants ? Chacun a son point de vue. Ce fût la mesure qui a eu le plus d’impact aux yeux de l’opinion publique dans l’ensemble qui a tendance à condamner tous les salaires très élevés. Sur ce point, de nombreux professionnels du cinéma, dénoncent le fait que cette mesure ne soit qu’une mesure pour satisfaire l’opinion publique, mais une mesure qui n’apportera pas un grand changement :

 « Au milieu de tout cela ce n’était déjà pas important le niveau du salaire de quelques vedettes sur quelques films, enfin c’était complètement marginal mais ça avait un  effet médiatique et de visibilité. Il a été pris par rapport à ça des mesures qui ne changeront rien du tout » (Source: Entretien avec Jean-Michel Frodon)

D’autres dénoncent alors une mesure contraignante. En effet, les films qui coûtent en général plus de 10 millions, voire plus de 15 millions d’euros sont des films qui génèrent beaucoup de fonds de soutien automatique. Ainsi, s’ils ne peuvent le réinvestir dans un film où le talent est trop payé, ils vont se voir obligés de réduire les salaires, mais de continuer à faire des films à gros budget pour générer autant de fonds de soutien:

« Alors après qu’on ne puisse pas ré-investir de fonds de soutien, c’est plus problématique pour les groupes, car les groupes de par leur volume d’activité, génèrent énormément de fonds de soutien, et pour les réinvestir dans les films, si on n’a pas le droit de réinvestir dans ces films là, il faut trouver des films où les talents ne sont pas rémunérés, mais où les investissements sont très importants. Donc faire des films très chers avec pas de stars, cela  nous oblige à faire des films qui sont un tout petit peu contre nature.» (Source: Entretien avec un responsable adjoint de production)

 Il est alors encore trop tôt pour déterminer l’efficacité de cette mesure, même si certains mettent en doute sa portée, en affirmant que les gros films continueront à se faire en présentant comme une fatalité cette loi du marché :

 «C’est une mesure légitime, mais cela permet juste au CNC de ne pas cautionner certains films et la dérive de leurs coûts. Les plus gros films se feront quand même, avec les mêmes salaires, puisque les chaînes de télévision voudront les même acteurs» (Source: Un producteur cité par Grégoire Poussièlgue dans un article de Les Échos)

 C’est ainsi la raison pour laquelle certains affirment que ce n’est pas cette mesure qui changera ou fera évoluer le système de financement du cinéma français. Alors, ils énoncent d’autres mesures plus urgentes à prendre pour faire baisser cette inflation. Celle qui apparaît avec le plus de fréquemment concerne la transparence des comptes du cinéma français car l’opacité nourrirait l’inflation des budgets permettent aux interprètes d’exiger des cachets élevés.

Une chose est sûre: les débats autour du salaire des acteurs sont loins d’être épuisés…

 

]]>
http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?feed=rss2&p=180 0
« Il y a trop de films » : un constat unanime renvoyant à des perceptions différentes du modèle économique du cinéma français http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=176 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=176#comments Sun, 03 May 2015 14:18:49 +0000 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=176 Continue Reading

]]>
Malgré la diversité des opinions sur, ce que nous avons appelé « la logique inflationniste » du financement du cinéma français, de nombreux protagonistes se sont accordés sur un même point. Une voix presque unanime s’élève au sein du débat : « Il y a trop de films ». C’est dans cette perspective que nos interlocuteurs ont considéré tour à tour :

« Il y a trop de films mais il ne faut pas le dire, donc personne ne le dit. » ( Source: Jean-Michel Frodon)

« Il y a tellement de films, la production française a doublée en 15 ans, (…) cela ne correspond à rien démographiquement, ni au niveau de l’économie générale du pays. Au lieu de prendre des positions politiques on rajoute des sous, on va piquer de l’argent à quelqu’un de nouveau, essentiellement en ce moment aux fournisseurs d’accès à internet (…) et cela produit des effets quantitatifs. » ( Source: Jean-Michel Frodon)

« il y a aussi de plus en plus de films qui sortent, et ce n’est pas pour ça que les films font plus d’entrées. » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

« On a 200 films français qui sortent (…), on a 200 américains qui arrivent en plus, et on a 200 films qui viennent d’ailleurs. Donc on a un marché qui est très très ouvert, mais globalement  après, pour pouvoir sortir la tête de l’eau là-dessus, accrochez vous ! »  ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

« Donc en France on a trop de films, et ça tous les distributeurs vous le diront, 600 films, ce n’est pas possible. »  ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

« Je pense quand même qu’aujourd’hui il y a trop de films (…) le marché est complètement embouteillé. » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

« Trop de films à l’affiche, pas assez de place pour qu’ils existent. » ( Source: un responsable adjoint de production adjoint chez Pathé Production).

« Le problème du cinéma français, c’est que son financement très généreux a provoqué à la fois une envolée des coûts et une surproduction. » ( Source: Brice Couturier, Un cinéma sous subventions, chronique de France Culture)

La surproduction du nombre de films français est donc un élément de la logique inflationniste sur laquelle de nombreux protagonistes sont en accord. Cependant, que signifie :  « Il y a trop de films » ? À première vue ce constat semble peu clair et assez trivial. Nous avons donc cherché à comprendre les diverses interprétations possibles qui sont dissimulées derrière ce constat commun.

Commençons simplement par comprendre d’où vient ce constat ? L’analyse des chiffres permet de voir que l’inflation du nombre de films est liée à la question de la rentabilité. Finalement, qu’est-ce qu’un film rentable ?

Quelques chiffres:

« 90% des films ne sont pas rentables. »

 « Sur 200 films sortis en 2013, seuls 20 sont rentables, c’est à dire 10%. »

« Aucun film français ayant dépensé un budget de plus de 10 millions d’euros ne rentre dans ses frais. »

(Source: Sophie LEGRAS, Cinéma français, 90% des films ne sont pas rentables, le Figaro)

Rentabilité et bénéfices sont synonymes mais la lecture de ces quelques chiffres illustre une fois de plus la logique inflationniste du financement du cinéma : malgré une production de plus en plus importante, 90% d’entre eux n’étaient pas rentables en 2013. Il semble que seuls les films entre 5 et 10 millions d’euros aient réussi à s’inscrire dans un marché économique équilibré. Le marché économique du cinéma est donc déséquilibré. Certains protagonistes dont Vincent Maraval dénoncent donc cette surproduction qui conduirait à un renforcement des pertes au détriment des bénéfices et de la qualité des films. Ainsi, la nécessité d’analyser les différentes positions quant à l’inflation du nombre de films prend tout son sens.

Soulignons d’ores et déjà que ces différentes conceptions de la notion de surproduction renvoient en réalité à la question du modèle économique à adopter pour le cinéma. Certes, le cinéma, n’est pas une industrie comme les autres mais il n’en reste pas moins un marché économique dans lequel la demande est incertaine et l’offre conséquente. Ainsi, deux conceptions s’opposent.

D’une part, certains protagonistes pensent que la liberté du marché doit être respectée. Favorables à une régulation de la production par le marché libre lui-même, ils s’opposent ainsi à la surproduction et aux diverses réglementations. En effet, ils remettent en cause les différentes réglementations et aides au financement des films qui, selon eux, contribuent au dérèglement du marché et rendent son économie artificielle. La surproduction est envisagée ici comme un symptôme, un obstacle à la prospérité du marché du cinéma français. Ainsi, laisser fonctionner librement les lois du marché permettrait de réduire le nombre de films en salle et un financement optimum de toute la chaîne de production de l’industrie cinématographique.

D’autre part, certains considèrent que le marché du cinéma ne doit pas être livré librement à ses lois. Ces derniers pensent que la surproduction permet de garantir la pérennité, le rayonnement et la diversité du cinéma français. En d’autres termes, ils défendent l’idée selon laquelle une offre conséquente permet d’assurer un minimum de films à succès en salle. Ainsi, selon eux les différentes réglementations servent la richesse de l’offre et permettent de réguler le marché de la production cinématographique.

La tension entre les points de vue des protagonistes porte donc réellement sur le degré de liberté qu’on doit laisser au marché économique du cinéma dans la production de films. Ainsi, pour réussir à capter l’ambivalence entre ces différentes positions sur la question de l’équilibre du marché, nous nous sommes donc demandés :

Quel modèle économique est le mieux adapté au marché du cinéma français ?

Plus précisément nous nous sommes questionnés sur :

Comment le marché du cinéma français est-il régulé ? Et quel degré de liberté doit-on laisser au marché de production de films pour conserver un équilibre économique selon les protagonistes ?

1) La surproduction, une conséquence néfaste de la réglementation selon les adeptes d’un modèle  économique libéral du marché du cinéma 

Malgré ses spécificités, le cinéma reste un marché économique qui obéit, comme d’autres, à certaines règles dont celles de la concurrence, de l’homogénéité, de l’atomicité ou encore de la fluidité. Toutefois, la multiplication des productions cinématographiques semble empêcher ce marché d’atteindre un certain optimum économique auquel il est censé parvenir en s’auto-régulant. Pour les protagonistes favorables à plus de libertés pour le marché économique du cinéma, cela est la conséquence de divers facteurs. Parmi eux, nous allons en citer quelques uns sur lesquels s’appuient les protagonistes pour justifier leur point de vue. Selon eux, la surproduction néfaste  de films français s’explique par la réglementation, l’obligation du passage en salle pour la reconnaissance d’un film en tant que tel et enfin aux différences de budgets attribués à chaque film en fonction de leur genre.

Une des origines de la surproduction : le cinéma français sous perfusion de ses aides et de sa réglementation

Les chaînes de télévision : une obligation de financement mais non de soutien 

Conformément à la chronologie des médias, diverses réglementations ont été mises en place pour définir l’ordre et les délais dans lesquels il est possible de diffuser un film. Le concept de la chronologie des médias a été créé avec la télévision. Les chaînes de télévision représentent donc une étape importante de la chronologie des médias. De plus, elles ont un rôle prépondérant dans le financement d’une production cinématographique puisqu’elle sont soumises à des obligations de financement.

Aujourd’hui la télévision joue un rôle majeur dans le financement du cinéma : environ 40% du financement des productions cinématographiques sont assurés par la télévision (40% en 2013, soit des investissements qui s’élevaient à 537 millions d’euros, source: les chiffres du Figaro).

Ce chiffre s’explique notamment par la législation qui oblige les chaînes de télévision à investir dans la production cinématographique. Si les buts de la chronologie des médias et plus précisément des obligations de ces chaînes de télévisions paraissent utiles pour la sauvegarde et l’exploitation des films, ils sont tout de même remis en cause par les défenseurs de la liberté du marché du cinéma.

À ce titre, Vincent Maraval conteste cette réglementation qui selon lui conduit à « une logique de standardisation » dans laquelle « un film sans vedette n’a pas vocation à exister selon les télévisions » (Source: ICHER B. et PÉRON D., « Cinéma français : la flambée des prises », Libération, 31/12/2012). La présence centrale des télévisions dans le financement du cinéma entraînerait donc une concurrence accrue entre les chaînes qui sont en concurrence dans une course aux superproductions et à leurs acteurs connus, très recherchés par les téléspectateurs.

Le rapport Bonnell s’inscrit dans la même idée en précisant que le cinéma français est victime d’une mauvaise répartition des fonds qui lui sont destinés.

De même, au sujet d’une autre forme de réglementation, le point de vue des protagonistes concernant la réglementation reste identique.

Le CNC : des aides sélectives parfois associées au déséquilibre du marché 

Le CNC a mis en place des aides sélectives, aussi appelées système d’avance sur recettes.

Si certains vantent les mérites de cette aide, d’autres lui reprochent de contribuer au déséquilibre du marché.

Certains protagonistes dénoncent tout d’abord le manque de partialité de cette organisation étatique :

« le CNC qui a vocation à soutenir des oeuvres un petit peu différentes, via l’avance sur recettes et les différentes aides sélectives, fait son travail, alors bien sûr il y a  un aspect politique de lobbying, des accointances, l’argent n’est pas dirigé de façon 100% sélective par rapport à la qualité des projets, mais ça c’est le cas dans tous les domaines. »  ( Source: un responsable adjoint de production adjoint chez Pathé Production)

Ainsi, si la volonté première du CNC était de réguler la production en permettant à des films singuliers, plutôt originaux rencontrant des problèmes de financement pour sortir en salle, les conséquences de cette aide semblent néfastes pour certains protagonistes dénonçant les effets pervers des aides de l’État.

Le rapport Bonnell souligne également l’insuffisance de cette mesure pour réguler les excès de la production cinématographique française :

« On voit que, par un strict système de vases communicants, la part croissante des investissements dans les films à hauts budgets diminue d’autant que la part des investissements dans les films à petit ou même moyen budgets » ( Source: Rapport Bonnell)

Ici se dessine un des problèmes majeurs de la surproduction. D’une part, les superproductions, convoitées par diverses chaînes de télévision ne rencontrent pas de difficulté de financement. D’autre part, les films à petits budgets, choisis par le comité des avances sur recettes, et également aidés par d’autres financeurs, ne rencontrent pas non plus de difficultés pour trouver des fonds. Mais alors quant est-il pour les films du milieu entre 4 et 7 millions d’euros ? René Bonnell indique donc que le financement des films du milieu est en déclin.

Effets pervers cumulés des aides et de la règlementation : inflation et problème de financement des films du milieu 

« On s’est rendu compte que ces films du milieu n’étaient pas financés, on met beaucoup d’argent dans les grosses productions à gros budget, ou pour les films d’auteurs à petit budget, avec un écart énorme entre les deux, mais du coup ces films ne sont pas financés. Désormais ça va mieux, mais ça reste quand même toujours une priorité de rester attentif à ces questions. » ( Source: Un chargé de SOFICA au sein du CNC)

Ainsi, le cumul de la réglementation faite aux télévisions et des aides de l’État entraînent à la fois une surproduction des films mais aussi un déséquilibre au détriment des films aux budgets intermédiaires. La surproduction renvoie donc à l’ensemble des problèmes faisant référence à la saturation du marché par certaines superproductions bénéficiant d’un budget élevé, soit plus de 10 millions d’euros, ou au contraire de films à budget restreint, dont certains films d’auteurs aidés par la réglementation et les aides. Cette logique s’exerce au détriment des  films  « du milieu » entre 4 et 7 millions d’euros.

D’une part, les fonds délivrés par  le CNC et cumulés à d’autres types d’aides permettent d’aider excessivement des films aux budgets restreints selon certains protagonistes.

Jean-Marx Siroën parle par exemple de « saupoudrage » pour dénoncer la surproduction des films de moins de 4 millions d’euros qui, selon lui, nuit à la compétitivité du cinéma français, notamment par rapport au cinéma américain. ( Source: Jean-Marx Siroën Le cinema, une industrie ancienne de la nouvelle économie, Revue d’économie industrielle, Persée, Vol. 91. 1er trimestre 2000. pp. 93-118 ).

D’autre part, les chaînes de télévision attentives aux mesures d’audience se livrent à une concurrence musclée pour obtenir certains types de films leur garantissant un nombre minimal de téléspectateurs. Ces films sont la plupart du temps des productions importantes, mobilisant des acteurs-vedettes aux cachets importants.

Ainsi, pour désigner le marché économique de l’industrie cinématographique en France, certains protagonistes parlent alors « d’aberration économique » ou encore « d’acharnement thérapeutique » ( Source: un responsable adjoint de production adjoint chez Pathé Production). Ils dénoncent à la fois les sommes exorbitantes mobilisées pour certains films ne garantissant pas forcément un retour sur l’investissement, mais aussi des films à plus petits budgets, très aidés, qui font très peu d’entrées, et que l’on tente tout de même de diffuser en salle. Au sein du débat, certains protagonistes font donc référence à une surproduction multiple avec l’idée sous-jacente que certains types de films sont surreprésentés par rapport à d’autres, que ce soit d’un point de vue qualitatif, thématique, financier ou quantitatif.

L’économie du cinéma devient donc de plus en plus artificielle : production et revenu ne se situent pas dans la même réalité. À ce titre Olivier Bomsel parle d’ « une logique de rentabilisation d’un film pour un régime de captation des aides publiques » dans laquelle « les pertes sont mutualisées, les bénéfices, eux, sont privés » ( Source: Olivier Bomsel, interview dans Libération, Brice Couturier, Un cinéma sous subventions, chronique de France Culture ).

Autre exception à la française participant à l’obstruction du marché : le passage en salle obligatoire

Autre exception à la française:

La réputation du cinéma français à travers le monde ne fait aucun doute. Mais comment expliquer cette renommée ? Sans doute par sa singularité. Outre les diverses modalités de l’exception culturelle française, l’ensemble de nos interlocuteurs nous ont rappelé l’importance de la diffusion d’un film en salle pour qu’il soit considéré comme tel. Cette obligation du passage en salle propre à la France peut être également considérée comme une des raisons de l’obstruction du marché. Elle résulte d’une tradition mais est aussi une conséquence de la régulation.

« Le nombre d’entrées va déterminer beaucoup de choses. En France, (…) c’est le nombre d’entrée qui fait office de passage obligé pour un film. Généralement un film qui ne passe pas en salle, ne pourra pas avoir de succès, et aura vraiment peu de chance d’être diffusé que ce soit sur les chaînes de télévision ou sur d’autres supports. » ( Source: Un chargé de SOFICA au sein du CNC)

« Si le film ne sort pas en salle, ce n’est pas un film de cinéma donc pour que votre film soit qualifié de film de cinéma, il faut que le film soit sorti en salle.” ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

« Aux Etats-Unis, quand Warner ou Universal estiment qu’un film n’a finalement pas de potentiel en salle, et bien le film ne sort pas en salle. Ils le sortent en vidéo directement. Ainsi, le marché n’est pas saturé. De plus, ça favorise des grosses sorties. » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

Précisons que les américains ont changé leur état d’esprit quand à cette diffusion obligatoire en salle pour pouvoir faire varier la production. Ainsi, certains films sont directement diffusés en DVD ou VOD, sans passage en salle préalable pour pallier à la surproduction.

Toutefois, l’efficacité et la nécessité de la surproduction est controversée:

« Il vaut mieux qu’il y ait moins de films qui soient financés un petit peu mieux, et que tout le monde gagne correctement sa vie » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)


2) La surproduction, une condition nécessaire à la prospérité du cinéma français ? : les bénéfices d’un marché régulé 

Si le terme « surproduction » semble renvoyer à la même réalité pour les protagonistes : « Il y a trop de films ». En revanche, ils ne s’accordent pas sur l’interprétation de cette notion qui diffère selon le modèle économique envisagé pour le cinéma. Certains s’accordent pour une vision très libérale du marché économique du cinéma puis d’autres pensent plutôt que ce dernier doit être régulé pour que le cinéma français puisse toujours rayonner sur la scène internationale. Ainsi, nous allons tenter de recenser quelques arguments de ces derniers. Tout d’abord, ils rappellent les bénéfices des aides et de la réglementation qui selon eux viennent réparer les effets néfastes du marché libéral. Ensuite, leur conception d’un marché du cinéma régulé est renforcée par la théorie de la réduction des risques : la surproduction permettrait de voir émerger un nombre minimum de succès qui n’auraient sans doute pas vu le jour au sein d’un modèle plus libéral.

Des réglementations garantes du rayonnement et de la dynamique de la production cinématographique française  

La législation oblige les chaînes de télévision à investir dans la production cinématographique. C’est en effet la loi du 30 septembre 1986 qui dispose que les éditeurs de services ne peuvent  diffuser plus de 192 films par an. Le chiffre de films autorisé s’élève à 144 pour les diffusions entre 20h30 et 22h30.

Premier constat, certes trivial mais important : la législation contribue à la diffusion et au financement d’oeuvres cinématographiques. Ainsi, même si les films diffusés sont souvent des superproductions, choisies pour certaines caractéristiques comme la présence d’acteurs-vedettes, la télévision finance tout de même de nombreux films. La réglementation participe donc à la dynamique et aussi à la richesse de la production de films français. Certes les obligations des chaînes de télévision peuvent sans doute contribuer à la surproduction mais elles permettent de financer de nombreux films essentiels au rayonnement du cinéma français. De plus, par exemple pour l’année 2013 :

« En première partie de soirée, les diffusions cinématographiques progressent de 26,6% par rapport à 2012. (…) En 2013, l’offre cinématographique progresse en première partie de soirée sur l’ensemble des chaînes à 1963 diffusions.  Cette hausse est essentiellement portée par les chaînes de la TNT privées gratuites et notamment les nouvelles chaînes haute définition. » ( Source: Bilan 2013 du CNC, les dossiers du CNC, n° 330 -mai 2014)

Ainsi, contrairement aux idées controversées sur la question de la centralité des chaînes de télévision dans le financement du cinéma français et des obligations qui leur sont soumises, elles permettent de conserver la dynamique du cinéma français.

Des aides garantes de la diversité du cinéma français sur la scène internationale 

Revenons désormais au système d’avances sur recette. Malgré la controverse qui porte sur ce système, ces aides ont fait leurs preuves pour le financement de certains films d’auteurs dont Le Pianiste de Michael Haneke (2000) et d’autres. Précisons que le devis moyen de ces films s’élève à 0,34 million d’euros ( Source: Bilan 2013 du CNC, les dossiers du CNC, n° 330 -mai 2014). Ainsi, les avances sur recettes sont attribuées à des films aux budgets réduits et favorisent certains genres:

« Le CNC a plutôt tendance à favoriser les genres un peu moins grand public, donc le drame, le drame psychologique, la tragédie… Et c’est vrai que la comédie est un peu moins représentée (…) Les membres de la commission ont plutôt tendance à se positionner sur des films d’auteurs. Ils partent du principe que sur des films grand public, ce sont des films qu’on peut monter un peu plus facilement. Donc ils ont plutôt tendance à privilégier des films qui auraient plus de mal à être commercialisés. » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

Ainsi, vanter les mérites de cette aide permet de comprendre que la règlementation est une garantie qui fait du marché français une industrie cinématographique pérenne, diversifiée, toujours concurrencielle sur la scène internationale.

De même, il ne faut pas oublier que certaines superproductions permettent également de maintenir le système du financement du cinéma en bonne posture. Ainsi la superproduction peut également être envisagée comme une garantie contre les risques et contre l’imprévisibilité des succès.

La surproduction : un moyen de réduire l’imprévisibilité des succès des films 

L’économie du cinéma étant caractérisée par sa grande imprévisibilité, la surproduction est parfois perçue comme un moyen de limiter les risques d’échec. En effet, étant donné qu’un succès semble assez imprévisible selon certains économistes comme De Vany, il semble cohérent de vouloir maximiser les chances de succès en multipliant le nombre de films produits. Quelques succès pourront ainsi participer au financement et garantir la prospérité de l’industrie cinématographique française.

Une production excessive serait donc nécessaire pour préserver la diversité des offres : le modèle inflationniste serait indispensable au maintien du statut du film français dans le monde. La comparaison avec le déclin de l’industrie cinématographique italienne peut par exemple nous encourager à prendre en considération cet argument.

De plus, l’accroissement de la concurrence serait corrélée au maintien de la qualité et de la compétitivité du cinéma français :

« Le problème d’un distributeur français c’est aussi qu’il est en compétition avec des distributeurs américains et leurs blockbusters. Pathé, fait des films français, UGC  également, donc ils sont aussi obligés de sortir beaucoup de films français pour pouvoir aligner. » ( Source: un producteur de cinéma et de télévision)

La concurrence des films américains présent sur le marché semble également confirmer le point de vue favorable à la surproduction pour la préservation du cinéma français.

Toutefois, quelque soit le point de vue que l’on peut avoir sur la surproduction, quelque soit la conception idéale du marché du cinéma français, plutôt libéral, ou au contraire régulé, l’important est de réfléchir à la question du partage du marché pour préserver son équilibre.

Dans cette perceptive, des améliorations sont envisageables:

« Il faudrait qu’on puisse aider les producteurs de petits films à passer du côté un peu plus ambitieux, et pour ça il faut que les groupes fassent l’effort d’aller chercher des talents un peu plus confidentiels, que les chaînes soutiennent des films un peu plus singuliers, et que l’État soutienne d’avantage des auteurs qui ont passé ce cap là. » ( Source: un responsable adjoint de production adjoint chez Pathé Production)


Ainsi, « il y a trop de films ». Selon une partie des protagonistes, cette surproduction s’alimente par les aides, comme les avances sur recettes mais aussi par la réglementation et notamment les obligations faites à la télévision. Mais ce constat illustre un problème bien plus important soulevé par le débat : la surproduction entraîne un dérèglement du marché. En effet, malgré l’échec de nombreuses productions cinématographiques, l’industrie du cinéma se finance par d’autres intermédiaires et continue donc à produire des films dans une économie qui devient de plus en plus artificielle. L’économie du cinéma devient donc de plus en plus artificielle: production et revenu ne se situent pas dans la même réalité.

À l’inverse, la surproduction garantie par son offre conséquente un minimum de succès et donc d’entrées en salle, une diversité des genres et donc la conservation de la renommée mondiale du cinéma français selon d’autres protagonistes.

Suite  de la controverse.

]]>
http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?feed=rss2&p=176 0
L’imprévisibilité du public http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=45 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=45#comments Fri, 10 Apr 2015 21:31:41 +0000 http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?p=45 Continue Reading

]]>

« La mutation hypermoderne a ceci de caractéristique qu’elle affecte dans un mouvement synchrone et global les technologies et les médias, économie et la culture, la consommation et l’esthétique ». (Source : Gilles Lipovesty et Jean Serroy dans L’écran Global)


Comme le laisse entendre cette citation, le cinéma et son système de financement se trouvent aujourd’hui profondément modifiés par les évolutions contemporaines telles que la mondialisation, le développement du numérique, et la globalisation.

Le public, qui correspond à un ensemble de personnes s’intéressant à une oeuvre, est le destinataire des productions audiovisuelles des producteurs et distributeurs, et ainsi l’un des principaux protagonistes au sein du système de financement du cinéma français. Mais le public, en tant que rassemblement d’individus divers, est difficilement prévisible. Cependant, on peut constater différents facteurs qui peuvent influencer son comportement. D’abord, la diversification des offres et des supports a modifié en profondeur le public, qui est devenu un public de tous les supports. Aussi, le contexte économique, social, culturel joue un rôle important sur l’orientation du public. Enfin, la chronologie des médias s’adapte à ces évolutions et tend même à organiser le public.

Comment adapter un système de financement du cinéma avec un public imprévisible et dont les goûts sont influencés par une multitude de facteurs ?

Quelle est l’influence du développement du numérique ?

 La multiplication des écrans

 « L’émergence du piratage et de la vidéo à la demande, la multiplication du nombre de chaînes, y compris gratuites numériques terrestres, le développement d’une foule de nouveaux supports fixes ou mobiles pour voir des films, ont bousculé les usages et jeté des milliers d’oeuvres cinématographiques sur tous les écrans. (…) Bref, loin d’avoir disparu du petit écran, le cinéma est au contraire partout ». (Source : Alduy Manuel, « Les relations cinéma-télévision : entre compétition et interdépendance », Géoéconomie 3/ 2011 (n° 58), p. 105-110)

Comme le montre Manuel Alduy, directeur de Canal OTT chez Canal+, on peut observer une certaine diversification de l’offre et des supports avec le développement du numérique, et ce qui joue sur les modalités de consommation du produit cinématographique du public.

Dans son ouvrage Horizon Cinéma, Jean-Michel Frodon distingue trois caractéristiques propres au cinéma. D’abord, le cinéma exige l’utilisation de machines et de technologies donc exige le recours aux sciences. Aussi, le cinéma est un art qui ne peut être mis en oeuvre de manière solitaire, ce qui permet à Jean-Michel Frodon de le qualifier d’« art collectif ». Enfin, le cinéma est un art particulier au sens où il enregistre le réel. Ainsi, selon lui, la première caractéristique désigne aujourd’hui son appartenance à une ère en voie d’être dépassée, propre à l’âge numérique. La création et la diffusion du cinéma recourent aux technologiques électroniques, par exemple, au niveau de la production, de nouvelles technologies plus performantes et plus pointues sont utilisées. Mais l’impact du numérique ne s’observe pas uniquement du côté de la production. La distribution, elle aussi, se voit fortement touchée par l’essor du numérique. En effet, le numérique est à l’origine du DVD, mais aussi de la projection numérique en salle, le développement de la projection grand format à domicile, la diffusion des films sur internet… On assiste alors à une véritable transformation du cinéma, mais qui n’est pas forcément synonyme d’anéantissement comme certains l’affirment.

Face à ce développement des nouvelles formes de diffusion, on peut observer une chute de la fréquentation des salles. En effet, dans les années cinquante, le cinéma avait en quelque sorte un monopole des loisirs populaires, et atteignait par conséquent des taux de fréquentation records. Par exemple, un Français allait en moyenne 9,3 fois par an au cinéma, contre 3,1 fois par an en 2002, c’est à dire trois fois moins. Cela peut s’expliquer notamment par l’apparition de nouvelles technologies, telles que la télévision dans les années 60, puis le développement de l’électronique et du numérique.

 

La « culture d’appartement »

« Les gens maintenant ont Netflix, la VOD, les gens sont de mieux en mieux équipés en matériel de son, ils ont des rétro-projecteurs, ils sont des écrans… (…) Résultat, le confort du canapé ». (Source : Entretien avec un producteur de cinéma et télévision.)

On peut alors observer une sorte de glissement progressif vers des activités se rapportant à l’audiovisuel qui peuvent être pratiquées à la maison. C’est ce que Joëlle Farchy dans son ouvrage L’industrie des médias appelle la « culture d’appartement ». Cette évolution reflète notamment l’importance de la télévision de masse, développée en France dans les années soixante. L’écart entre la consommation des films en salle et à domicile se creuse de plus en plus. Sur cent films vus chaque année par les Français, seulement deux sont vus en salle. Ainsi, on peut constater que la consommation domestique était bien présente avant même le développement du numérique. Ces nouvelles formes de consommation à domicile permettent donc à n’importe quel individu d’accéder à un large panel de films chez lui, ce qui s’inscrit donc dans une logique d’ « accessibilité ». C’est aussi ce que montre Jeremy Rifkin dans L’Age de l’accès, qui a pour objectif de décrire la révolution produite par l’essor d’Internet et des activités de service.

 « Les techniques de compression numérique permettent d’envisager des formes de distribution des produits culturels différentes de celles traditionnellement utilisées. Les progrès en matière d’électronique grand public et de télématique favorisent de plus en plus la consommation domestique déjà très présente dans les pratiques culturelles ». (Source : Joëlle Farchy dans La Fin de l’exception culturelle ?)

 Il existe différents supports que nous avons rapidement mentionnés auparavant. Tout d’abord, par la télédiffusion, des centaines de chaînes de télévision se répartissent selon leur contenu, leur mode de financement, de diffusion, etc. La télévision multiplie les offres de chaînes disponibles et permet d’accéder à de nouveaux services comme la VOD. C’est cet essor de la télévision qui s’accompagne d’un effondrement de la fréquentation en salle. De plus, depuis l’arrivée de Canal + en 1984 et l’essor des chaînes commerciales, le nombre de films diffusés à la télévision n’a cessé d’augmenter.

 

D’après le rapport Le Cinéma à la télévision, le nombre de films passés à la télévision a augmenté progressivement. Entre 1965 et 1995, leur diffusion a été multipliée par dix, et par quinze si on inclut Canal +.

Aussi, l’apparition du DVD et du Home Cinéma contribue à l’expansion du marché du cinéma à domicile. Aujourd’hui, le DVD amorce un certain déclin cependant.

 

En 2007, les Français ont dépensé 1,48 milliards d’euros en achats de idéogrammes, tandis que le taux d’équipement des foyers français en lecteur de DVD correspond à 83,6% (selon CNC, « La vidéo, dans CNC, Bilan 2007) .
Le DVD représente un média privilégié, son chiffre d’affaire a été multiplié par 153 entre 1998 et 2002 (d’après Les Chiffres clés du CNC 2002).
Cependant, on remarque que le marché du film en DVD  régresse régulièrement : -8,2% en valeur en 2012 sans que le Blue-ray ne prenne le relais attendu. Au total, en 2012, la vidéo physique « film » a perdu 8,2% de son chiffre d’affaires par rapport à 2011 et la moitié depuis 2003 (données du Rapport Bonnell)

Enfin, Internet a permis de renouveler les méthodes de diffusion comme la radio pour la musique ou la télévision pour les images, à travers des modes d’accès gratuits ou payants. Et par ailleurs, l’émergence des séries a permis d’augmenter le niveau d’exigence du public. En effet, on a aujourd’hui de très bonnes séries, avec de très bons scripts, ce qui implique une une ré-évaluation des exigences du public.

 Ainsi, selon Gilles Lipovetsky et Jean Serroy dans La Couleur des idées, l’art du grand écran était l’art du XXème siècle. Cette évolution correspond selon eux à un passage de « l’écran-spectacle » à « l’écran-communication », caractérisé par l’apparition d’un nouveau type de consommateur, un « hyper-consommateur », à la recherche d’un nouveau type de films qui seraient de plus en plus sensationnalistes, une esthétique high-tech, des images chocs etc. Mais ces bouleversements n’impliquent pas selon eux la mort du cinéma. Ils estiment que le cinéma a toujours été inscrit dans une logique de mutation, sans cesse modifié par l’apparition de nouvelles technologies, avec d’abord la diffusion de la télévision, puis aujourd’hui le développement du numérique.

 

La diversité de l’offre

 « La numérisation fait surgir de nouveaux modes de production, de distribution et ed consommation des biens culturels ou médiatiques. Or, la distribution est un élément critique de la structuration es marchés de contenus : c’est en effet par elle que les contenus se versionnent, se sélectionnent, se tarifient ». (Source : Olivier Bomsel et Cécile Chamaret dans l’article « Rentabilité des investissements dans les films français »)

 Le système de versionnage, comme le montrent Olivier Bomsel et Cécile Chamaret dans leur article « Rentabilité des investissements dans les films français », permet de proposer au public de nouvelles offres du même produit. Ainsi, ce système permet de maintenir la diversité de la création, étant destiné à la commercialisation des formats : films en salle, télévision payante, DVD, télévision en clair… Cette « vente discriminée » vise donc, selon O. Bomsel et C. Chamaret à « maximiser la valorisation de chaque produit pour que les producteurs et les distributeurs puissent réinvestir dans une création qui maintient la diversité des préférences individuelles, malgré un échec ».  En effet, la demande du public est très diversifiée. L’offre proposée par les producteurs doit donc être adaptée à la demande, et ainsi doit impliquer une diversité des expériences de consommation.

« La France est le seul pays dont le circuit de salles continue, malgré les difficultés, à être diversifié. » (Source : Régine Hatchondo, directrice générale chez UniFrance, dans « Le cinéma français dans une compétition mondialisée »)

Selon Jean-Marc Siroën dans son article « Le cinéma, une industrie ancienne de la nouvelle économie » publié dans la Revue d’économie industrielle, les nouveaux supports en diffusion apparaissent de moins en moins comme concurrents mais de plus en plus complémentaires, permettant de répondre à une demande diversifiée des expériences de diffusion. Ainsi, cette diversification de l’offre et des supports permet donc de financer des productions plus coutures s’adressant à un public plus large selon lui. Par ailleurs, il est nécessaire de souligner que d’autres auteurs insistent au contraire sur la baisse de la diversification du cinéma en France, comme par exemple Manuel Alduy, travaillant dans le service Internet de Canal +, dans son article « Les relations cinéma-télévision : entre compétition et interdépendance ». D’ailleurs, selon lui, la diversification des supports entraînerait une « crise d’indigestion », ce qui correspond à une vision pessimiste des nouvelles formes de diffusion des films.

Cependant, on peut observer parfois un certain rejet de ces nouvelles formes : obstacles sociologiques, technologiques (quant à la taille de certains fichiers par exemple), mais aussi économiques. La salle conserve un certain « aura » symbolique comme le rappelle Joëlle dans son ouvrage mentionné auparavant.

 On peut donc observer que l’évolution des technologies s’accompagne d’une évolution des modes de supports. Cette diversification des supports peut ainsi être vue comme une réponse à la demande diversifiée et à des goûts très hétérogènes. Ainsi, on voit que les écrans sont de plus en plus nombreux, et la possibilité de voir un film de plus en plus facile également. Loin d’avoir disparu, les écrans et le cinéma se retrouvent partout.

 

Quels sont les impacts du facteur culturel ?

 « Et le cinéma comme pratique artistique collective, comme point de vue singulier sur le monde, comme héritage culturel de notre pays, en sort toujours perdant. » (Source : Rapport Bonnell).

Comme le rappelle le Rapport Bonnell, le cinéma reste une activité inscrite dans un contexte culturel ; mais également économique et social. Ces facteurs peuvent jouer un rôle important sur les comportements du public.

 D’abord, certaines études ont été menées afin d’observer les profils des individus fréquentant les salles par exemple. Par exemple, selon Joëlle Farchy, dans Et pourtant ils tournent, Economie du cinéma à l’ère numérique, il existe trois publics : les assidus, les découvreurs, et le public occasionnel. Elle constate dans son étude que les assidus (qui correspondent aux Français de plus de six ans qui fréquentent les salles au moins une fois par semaines) correspondent à seulement 4% du public, mais 30% des entrées. Elle constate par ailleurs que l’âge est déterminant pour expliquer les pratiques culturelles : selon elle, le public européen est un public jeune. En effet, les moins de 25 ans représentent 39% des entrées dans les salles en 2002. Aussi, on peut apercevoir que les consommations culturelles augmentent avec la taille de la ville, par exemple, Paris correspond à 1/5 des entrées du pays. Enfin, l’appartenance socio-professionnelle est déterminante sur la fréquentation des salles. Les membres de familles de cadres, de professions intellectuelles supérieures et de professions intermédiaires représentent en 2002 17% de la population totale, et 21% du public cinématographique et 27% des entrées. Ainsi, ces divers facteurs permettent aux producteurs de cibler leurs offres vers tel ou tel public.

D’autre part, le contexte économique peut aussi avoir une certaine influence sur le choix du public. Dans un contexte de crise économique par exemple, le public se renseigne plus sur le film avant d’aller le voir, afin de « rentabiliser » son achat. En effet, le cinéma est un bien d’expérience. D’un point de vue économique, cela signifie que le public ne peut connaitre l’utilité et la qualité du bien avant de le consommer. Il va donc procéder à une rechercher d’informations afin d’orienter son choix.

 « Il n’arrivent pas devant le cinéma en se disant « Tiens, qu’est ce que je vais voir ? ». Non, tu te décides à l’avance ». (Source : entretien avec un responsable adjoint de production chez Pathé).

 Enfin, le fait d’appartenir à un pays, à une culture propre, influence indirectement les goûts du public.

« Nombre de pays souhaitent aussi développer leur propre cinématographie. Fondu, absorbé, voire dévoré par la culturel mondiale de masse, chacun a aussi besoin de refuge de ses propres valeurs, de se sentir culturellement singulier ». (Source : Régine Hatchondo, dans « Le cinéma français dans une compétition mondialisée »).

 Le cinéma est un bien culturel, appartenant à l’industrie des médias. De ce fait, les produits qui sont proposés au public ont un certain sens et signifient au public qui les reçoit selon les repères culturels du public. Ainsi, la question de langue est primordiale. L’industrie cinématographique d’un petit ou moyen pays monolingue va s’adresser à un public beaucoup plus restreint, et avec des codes culturels bien précis, plutôt que l’industrie d’un large continent monolingue, comme la culture anglo-saxonne par exemple. En effet, l’industrie américaine du cinéma a bien plus de ressources que l’industrie française, ayant une propension à exporter plus large que celle des pays plus étroits. On peut donc observer des effets d’échelle,, qui sont plus favorables à de grands pays monolingues par rapport aux pays ayant des singularités linguistiques et culturelles marquées.

 « Si vous n’établissez pas de règles de protection ans le pays défavorisé, vous êtes rapidement submergé par les produits américains. Donc il faut mette en place des règles de protection qui vont permettre de drainer les financements dans une activité qui est structurellement moins rentable que l’équivalent américain ». (Source : Olivier Bomsel dans son entretien).

 Ainsi, comme l’explique Olivier Bomsel, pour palier ces différences entre le géant américain et un petit ou moyen pays monolingue, ils s‘agit pour ce dernier de mettre en place une certaine règlementation visant à protéger et favoriser son industrie cinématographique face à le concurrence étrangère. Cependant, mettre en place une règlementation est une entreprise compliquée, compte tenu du fait que l’industrie évolue de manière permanente et de plus en plus rapide avec la numérisation.

 

Quel est le rôle de la chronologie des médias dans ce contexte de multiplication de l’offre et des supports ?

 « Enfin, l’avènement du numérique et d’Internet a été vécu en France comme une menace des équilibres en jeu par tous les acteurs de la chaîne de production et de diffusion : quid du respect du droit d’auteur ? quid de la chronologie des médias, pilier de notre système de financement ? » (Source : Régine Hatchondo dans « Le cinéma français dans une compétition mondialisée »).

 Comme le rappelle la directrice générale d’UniFrance, la chronologie des médias est un enjeu de taille pour les producteurs ainsi que les distributeurs, notamment pour attirer le public vers un film ; mais aussi car le système de financement repose sur elle. L’apparition de nouvelles formes de diffusion et de nouveaux supports a modifié la chronologie des médias en profondeur. Avec cette évolution numérique, les entrées aujourd’hui se concentrent sur un nombre réduit de titres qui sortent dans de plus en plus de salles.

Joëlle Farchy, dans L’industrie du cinéma
  • Dans les années 60, un film réalisait sa carrière sur 2 ou 3 ans d’exploitation
  • Dans les années 70, dans les 4 premiers mois
  • En 2002, dans les 4 premières semaines

 

 Ainsi, le passage par la salle, pour certains films, devient de plus en plus une étape obligatoire, une étape technique, servant de point de départ pour pouvoir effectuer la sortie en VOD et la diffusion télévisuelle. On voit donc que le développement du numérique a fortement influencé la chronologie des médias. Les stratégies de production et de distribution, étant adaptées à cette chronologie des médias, évoluent donc au cours du temps.

 « Si le film ne sort pas en salle, ce n’est pas un film de cinéma. Donc pour que votre film soit qualifié de film de cinéma, il doit être sorti en salle ». Un producteur de cinéma et télévision.

 Les entrées en salle sont par ailleurs déterminantes pour chaines de télévision. En effet, un film étant d’une part passé par la salle, et ayant fait un certain nombre d’entrées d’autre part, aura plus de chances d’être diffusé sur les chaines de télévision, mais aussi sur d’autres supports. Ainsi, le passage en salle est une étape décisive de la chronologie des médias, et une étape obligatoire pour qu’un film soit considéré comme tel en France. Cette idée peut être considérée à la fois comme une habitude française, et une conséquence de la régulation. En comparaison avec le système américain par exemple, un film peut être monté avec un budget important, pour finalement ne pas être diffusé en salles mais directement en VOD.

D’autre part, la chronologie des médias favorise aussi la « culture d’appartement » (expression de Joelle Farchy dans L’industrie des médias). En effet, sachant que la VOD apparait quatre mois après la sortie d’un film et que le public est de mieux en mieux équipé, la plus-value du cinéma tend à se réduire. Une partie du public aurait en effet tendance à attendre la sortie en VOD pour regarder un film chez soi, plutôt que d’aller au cinéma, comme le souligne un producteur de cinéma et télévision dans son entretien.

 En fait la chronologie des médias est le reflet de l’équation du cinéma du financement des films.” (Source : Grégoire Poussielgue dans son entretien).

La chronologie des médias, en tant que système réglementaire, reste un élément difficile à modifier étant donné que tous les investissement et le système de financement d’un film reposent dessus. Dans un contexte de multiplication de supports due au développement du numérique, la chronologie des médias a aussi pour obejctif de protéger la salle, qui possède une exclusivité absolue sur le film pendant quatre mois.

]]>
http://www.controverses-minesparistech-8.fr/~groupe26/?feed=rss2&p=45 255