Prise de conscience de risques et limites
Des limites techniques ?
Bien que CRISPR-Cas9 présente énormément d’avantages, on s’aperçoit que CRISPR-Cas9 est actuellement confronté à de gros problèmes techniques :
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Le delivery consiste à faire en sorte que le gène, la partie d’ADN muté soit diffusé dans l’organe à traiter ou dans tout l’organisme. Certaines maladies sont plus faciles à traiter que d’autres notamment les maladies génétiques de l’oeil, ce qui fait qu’il n’existe pas de méthode qui puisse s’appliquer à toutes les parties du corps. Ainsi, il faut relativiser l’impact des CRISPR comme révolution médicale. Seules certaines maladies pathologies sont aptes à être combattues via CRISPR.(d’après notre entretien avec David Bikard)
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L’effet off-target consiste à modifier de manière non voulue et non maîtrisée, certains brins de l’ADN.
Les scientifiques ne sont pas tous d’accord sur le dernier point. Certains chercheurs, comme David Bikard, pensent que désormais la technique est suffisamment précise pour ne plus avoir d’effet off-target. D’autres au contraire, comme Yves Bertheau, pensent que CRISPR-Cas9 a un impact sur la disposition géométrique de l’ADN et affirment que cela peut provoquer des conséquences inconnues.
Des limites d’application ?
Face à l’espoir de vaincre le paludisme suscité par CRISPR, l’OMS invite à la prudence comme mentionné dans Le Monde. Il ne s’agit pas selon l’Organisation Mondiale de la Santé, de la panacée attendue, les moustiquaires, insecticides ayant déjà fait reculer le paludisme depuis une quinzaine d’années. Celle-ci critique également la viabilité du forçage génétique. Efficace en laboratoire, elle émet des doutes sur son application à la vie sauvage avec une plus grande diversité de moustiques: une perte de précision,voire des mutations délétères et des transferts à d’autres espèces sont à craindre selon l’OMS.
FOCUS sur l’effet hors-cible, off-target
Une étude chinoise, de l’université Yat-Sen à Canton, rapportée par Le Monde, publie les résultats d’expérience sur des embryons humains visant à modifier un gène responsable d’une forme d’anémie. Si l’on met de côté temporairement la levée de boucliers que les implications éthiques de ces expériences ont entraînées, un autre phénomène technique inquiète : seul une faible proportion d’embryons modifiés porte la mutation recherchée. Pire encore, des modifications “hors-cible”, i.e. des modifications d’autres locus (à un endroit différent de celui souhaité) ont été remarquées. On parle d’effet hors-cible ou de off-target. De cela, est née une peur de la part d’acteurs éthiques, quant à une perte de contrôle de la méthode CRISPR-Cas9, qui pourrait se révéler dommageable car bien moins précise que prévu. C’est Keith Joung, du Massachusetts General Hospital, qui a lancé ce débat en soulignant les carences des logiciels permettant de déterminer les zones du génome susceptibles d’être modifiées de façon imprévisible par CRISPR. A l’inverse, des chercheurs spécialisés dans CRISPR-Cas9, tels que David Bikard, relèguent l’effet hors-cible au rang de problème résolu et considère que la précision de CRISPR n’est plus à mettre en doute. Ceci est d’ailleurs confirmé par le rapport de l’OPECST (Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques), dont les rapporteurs ont évoqué le ratio très faible d’effets hors-cibles: 1 sur 100 000 voire 1 sur 1 million. De plus, il faut comparer ces effets hors-cibles avec les mutations “naturelles” occasionnées par le stress, l’exposition aux ultraviolets… (10 000 coupures par jour en s’exposant au soleil). E. Charpentier confirme en effet, que CRISPR n’occasionne que des coupures qui surviennent autrement de façon naturelle. Le rapport de l’OPECST confirme que ces modifications naturelles in fine ne sont pas un facteur d’inquiétude à considérer.
A cet effet hors-cible que l’on peut qualifier de technique, s’ajoute un effet hors-cible théorique. Il faut, en effet, avoir une parfaite connaissance du génome afin d’identifier la portion à modifier. De plus, il faut être parfaitement sûr que la modification induite n’entraînera pas des aspects imprévus par son expression. Avec l’off-target technique où l’on devait s’assurer que CRISPR coupait à l’endroit indiqué, l’effet théorique implique de savoir précisément quoi modifier et surtout si cette modification n’entrainera rien d’imprévu.
Les effets hors-cible peuvent aussi venir des 95% de l’ADN humain qui ne sont pas des gènes et dont on ignore le rôle dans l’expression de l’information génétique. Or les techniques CRISPR ne sont pas assez précises, d’après Yves Bertheau, et l’on ne peut garantir pour ne pas modifier ces morceau d’ADN lorsqu’elles agissent sur un gène. Selon lui, l’image des ciseaux chirurgicaux est fallacieuse pour vulgariser l’action des CRISPR, celle des ciseaux à herbes aromatiques est plus appropriée.
L’intégralité des scientifiques rencontrés dans le cadre de l’OPECST, ainsi que David Bikard que nous avons également rencontré, ont évoqué une préoccupation plus grande à propos de la vectorisation des traitements dans les différentes parties du corps que l’effet hors-cible.
Ce problème dit de la delivery est de faire en sorte que les cellules souhaitées soient effectivement atteintes et donc modifiées par CRISPR-Cas9. Loin d’être marginal, cela pose un véritable problème de fond, selon David Bikard, empêchant in fine, toute application à CRISPR-Cas9 à certaines pathologies. A contrario, pour les maladies de l’oeil ainsi que les maladies sanguines par exemple, CRISPR-Cas9 peut avoir un réel impact : c’est, du moins, le pari fait par la société Editas qui voit en l’oeil un organe qui peut se prêter aisément à l’injection de virus vecteurs de CRISPR ainsi que par la société CRISPR Therapeutics qui mise sur les nanoparticules lipidiques pour transporter CRISPR jusqu’au foie et ainsi vaincre l’hémophilie.
Leplatre S., Herzberg N, Morin H (2016, 17 août) La saga Crispr-Cas9 5 / 6 :jusqu’où manipuler le vivant ? Le Monde