Cour des Comptes

 

 

 

1) Présentation succincte de la Cour des comptes

 

En France, l'existence d'un corps de contrôle des finances royales remonte à 1318. Il faut toutefois attendre le début du XIXème siècle pour que le contrôle des comptes publics soit unifié par

Napoléon 1er qui crée la Cour des comptes le 16 septembre 1807. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'extension des compétences de l'Etat s'est accompagné d'un élargissement des missions de la Cour. Outre l'Etat, la Cour contrôle obligatoirement les établissements publics nationaux, les entreprises publiques, et les organismes de sécurité sociale. Elle peut également contrôler facultativement en autres les organismes de droit privé bénéficiaires de concours financiers d'origine publique (comme les Restaurants du coeur que la Cour a contrôlé en 2003).

Dans tous les cas, sa saisine résulte de la loi, elle est donc automatique.

 

2) Position de la Cour des comptes sur la politique autoroutière française

 

Ce qui suit est une synthèse de deux rapports rendus publiques par la Cour sur la politique autoroutière française. Le premier date de 1992 et s'intitule « La politique routière et autoroutière : évaluation de la gestion du réseau national » et le second date de 1999 et s'intitule « La politique autoroutière française ». Ces rapports sont consultables à l'adresse http://www.ccomptes.fr/frameprinc/frame01.htm. Il est important de noter qu'aucun des rapports ne contient une référence à l'autoroute A51.

 

2.1) Contradictions relevées par la Cour des comptes en 1992.

 

Dans son rapport de 1992, la Cour des comptes considère l'axe Lille-Paris-Marseille comme « un problème prioritaire à régler » mais ne donne pas de solutions. Elle met de plus en lumière les objectifs de l'Etat (en matière d'infrastructures routières) qui, selon elle, se contredisent pour certains.

Tout d'abord, la Cour note une inversion de la conception reliant les infrastructures routières et l'aménagement du territoire : de celle dans laquelle l'infrastructure devait accompagner le développement économique, on est passé à une conception selon laquelle elle entraîne l'activité économique. La Cour ajoute que si ce lien est toujours invoqué, il n'est pas toujours clairement établi ou vérifié.

La Cour remarque également l'absence de réflexion commune à l'échelle européenne relativement à la politique des transports routiers. Une contradiction que la Cour des comptes met également en avant est celle de la position du gouvernement vis-à-vis de l'environnement : si l'Etat intègre les problèmes d'ordre environnementale dans ses projets d'infrastructure routière, la Cour signale que la primauté accordée aux routes n'est tout simplement pas compatible avec la protection de l'environnement. Il faudrait alors modérer les trafics. La Cour signale que le choix de l'accroissement de l'offre n'est pas le choix le plus rationnel. En effet, si ce choix correspond à la volonté de répondre à certains grands enjeux économiques (industrie automobile, entreprises de travaux publics...), il ne va pas dans le sens du respect de l'environnement et de la réduction de la consommation d'énergie.

Enfin la Cour rappelle l'historique du financement des autoroutes françaises. Au début des années 1950, l'Etat finance la quasi-totalité des projets d'infrastructure autoroutière. En 1990, l'Etat, qui conserve toujours la maîtrise juridique de l'ensemble du système routier national, ne finance plus que le tiers ou le quart du coût d'un projet. Un autre quart est apporté par les collectivités territoriales. Enfin, la moitié manquante est apportée par les sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes.

 

2.2) Remarques sur l'action administrative menée jusqu'à 1992.

 

Toujours dans son rapport de 1992, la Cour des comptes affirme que « l'Etat ne s'est pas donné les moyens de veiller à la cohérence et à l'efficacité du réseau routier national dans son ensemble ». Un premier dysfonctionnement est le non respect de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 qui a confirmé l'obligation pour l'Etat de fixer ses grands projets d'infrastructures dans un schéma directeur routier national approuvé par décret, c'est-à-dire de définir une politique des transports globale. Ce non respect sera encore une fois souligné dans le rapport de la Cour datant de 1999.

Un deuxième dysfonctionnements de l'action administrative est, selon la Cour, qu'il n'existe pas d'institution chargées de rassembler les données physiques et financières relatives aux différents réseaux routiers. Comment alors prévoir correctement l'évolution du trafic à moyen et long terme ? s'interroge la Cour.

 

2.3) Des choix dictés par les modes de financement possibles plus que par les besoins effectifs

 

Dans ce même rapport, la Cour analyse les conséquences du financement complexe évoqué ci-dessus. Elle explique que le transfert financier vers les collectivités locales s'est accompagné d'un transfert de responsabilités ce qui nuit à la cohérence du réseau. De surcroît, la Cour affirme que la concession a été détournée de sa vocation d'origine. Initialement, le péage était destiné à rembourser les dépenses de construction et d'exploitation de l'autoroute. Puis il a servi au recyclage du réseau : les sections les plus rentables servent à financer la construction de sections durablement déficitaires, c'est le principe de la concession. Cette pratique de la concession a eu pour effet néfaste de « réduire les capacités d'arbitrage dont les pouvoirs publics doivent disposer pour que le réseau national soit le plus adapté possible. ». Outre cela, la concession s'est révélée être un financement coûteux. La préférence donnée à l'autoroute, remise en question par la Cour, provoque un surcoût de 20 à 30%, alors qu'une analyse multimodales aurait été plus pertinente.

Tout cela fait dire à la Cour que les choix d'infrastructure autoroutière sont dictés en premier lieu par le mode de financement et non par les besoins effectifs.

 

2.4) 1999 : la priorité est toujours donnée au mode routier

 

Dans son rapport de 1999, La Cour des comptes, qui a poursuivi depuis 1992 son analyse du réseau routier français, constate le retard français par rapport à ses voisins européens en matière d'approche intermodale. Il n'existe pas de politique globale des transports ce qui donne de fait la primauté au mode routier et autoroutier. De plus, les enquêtes publiques menées lors de projets d'infrastructure autoroutière accusent une carence toujours en ce qui concerne une approche intermodale. Cette réflexion intermodale qui semble faire défaut à la France est rendue plus nécessaire encore, selon la Cour, dans les zones de montagne pour des raisons de préservation de l'environnement et de sécurité. Pour appuyer ses propos, la Cour des comptes cite la loi (à l'époque en elle n'était encore qu'un projet de loi) de 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire qui stipule que pour le transport des marchandises, les modes autres que l'autoroute revêtent "un caractère prioritaire" (Article 42). Et la Cour de rajouter que l'incendie du tunnel du Mont-Blanc "[confirme] tragiquement cette impérieuse nécessité".

La Cour souligne de plus que sans cette réflexion intermodale, la France portera préjudice aux autre secteurs de l'économie en respectant ses engagements pris lors de l'adoption du protocole de Kyoto adopté le 10 décembre 1997 et rentré en vigueur en 2004 car la consommation d'énergie du secteur des transports augmente de façon continue au taux moyen de 2% par an et représente déjà 37% des émissions de CO2 en France.

Enfin, la loi paru dans le JO du 29 juin 1999 pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui remplace la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 amorce de profondes modifications qui vont dans le sens des remarques de la Cour. L'Etat rompt avec la logique de maillage systématique "quels que soient les trafics constatés".

 

2.5)Les difficultés liées à l'adossement

 

Nous avons signalé la pratique de l'adossement, grâce à laquelle l'essentiel du réseau autoroutier a été bâti sans avoir eu à supporter des endettements au-delà du raisonnable.

Toutefois la Cour fait remarquer plusieurs points. Tout d'abord, il n'existe qu'une seule société concessionnaire privée (COFIROUTE). Les autres sociétés sont des sociétés d'économie mixte, "caractérisées par l'insuffisance de leurs fonds propres et la faiblesse de leur autonomie de gestion" pour reprendre les termes de la Cour. De plus, l'Etat choisi les concessionnaires d'autoroutes et exerce sur eux une tutelle technique et financière. Ces deux constatations font du système routier français un cas unique en Europe qui, largement administré par l'Etat, continue d'échapper aux modes de régulation des marchés. De plus, seules les sociétés déjà titulaires de concessions peuvent se porter candidates à une nouvelle concession, ce qui nuit au respect des règles de mise en concurrence.

 

2.6)Les particularités du processus de décision en matière d'infrastructure routière en France

 

Comme il a été déjà dit, la Cour note que les dispositions de la loi d'orientation des transports intérieurs évoquée ci-dessus demeurent inappliquées. De plus, la Cour insiste encore sur le fait que l'élaboration des schémas directeurs routiers ne s'appuie pas sur une analyse approfondie de la rentabilité économique et sociale. Enfin, la France est l'un des rares pays de l'Union où le Parlement n'est pas consulté pour les schémas de transport.

Au sujet de la conduite des projets, la Cour met en garde contre les études préalables aux décisions de l'Etat qui sont généralement confiées à des organismes ayant intérêt à ce que le projet autoroutier soit réalisé (entreprise de BTP...). On peut donc craindre une analyse biaisée.

En vertu de quoi la Cour recommande en particulier :

que l'on privilégie les solutions alternatives moins coûteuses que les autoroutes ;

l'instauration rapide et efficace du débat public pour mieux organiser la concertation avec le public ;

de mieux prévoir les futurs trafics routiers (notamment grâce à un logiciel) ;

de remédier aux insuffisances des études préalables ;

d'assurer une meilleure information du Parlement sur la politique des transports.

 

2.7) De l'impact économique et environnemental des autoroutes.

 

La Cour des comptes met en garde l'Etat contre deux présupposés liés à la construction d'une autoroute. Le premier, évoqué précédemment, est la conception selon laquelle la construction entraîne le désenclavement économique de la région traversée. La Cour note à ce sujet que "les effets socio-économiques sont souvent moins favorables qu'annoncés à l'échelle des territoires traversés". Le second concerne l'environnement : l'incidence de la construction d'une autoroute sur l'environnement dépasse généralement les prévisions de l'étude d'impact.

En effet, en ce qui concerne le premier point, la desserte routière n'intervient qu'en quatrième ou cinquième parmi les critères de localisation cités par les entreprises. Bien évidemment, toutes choses égales par ailleurs, une mauvaise desserte du site peut être un facteur de rejet du site. La Cour rajoute que si l'augmentation des facilités de déplacement s'accompagne d'une extension du marché accessible par une entreprise, elle intensifie également la concurrence. Des études ont montré que les "infrastructures autoroutières renforcent les pôles d'activité les plus dynamiques au détriment des centres les moins importants".

 

2.8) Les dérives du système

 

La Cour avait souligné dans son rapport de 1992 plusieurs dysfonctionnements que nous avons évoqués. Les phénomènes se sont accentués avec une importance inquiétante :

Les décisions prises en matière d'infrastructures ont dépendu de leur mode de financement ;

Des autoroutes ont été construites sur des liaisons à faible trafic ;

L'endettement du secteur autoroutier fait courir le risque d'une crise financière qui ne manqueraitpas d'avoir des conséquences sur les finances de l'Etat.

 

2.9) Conclusion de la Cour des comptes

 

La politique autoroutière française a atteint en 2000 une étape décisive sous l'impulsion de deux changements fondamentaux.

Le premier est que le réseau routier est aujourd'hui, pour l'essentiel, constitué. Désormais, les problèmes routiers concernent les contournements d'agglomérations, l'entretien du réseau actuel...

L'urgence est de créer une politique d'ensemble des transports fondée sur une réflexion intermodale, ce que réclame des textes de loi maintenant anciens.

Le second changement est plus récent et est d'ordre juridique. Le système autoroutier, qui a doté la France de son réseau très dense et de haute qualité, a été rendu caduc par les directives européennes. La pratique de l'adossement telle qu'on l'a connue n'est plus possible.

 

3) Insertion de la Cour des Comptes dans la controverse

 

Le rapport sévère de la Cour de 1999 à l'égard du gouvernement s'inscrit dans une logique de restructuration de la politique autoroutière française, c'est une évidence. Il est toutefois difficile de mesurer l'impact du rapport de la Cour sur l'action gouvernementale. En effet, les multiples avertissements donnés par la Cour en 1992 n'ont pas été pris en compte par le gouvernement dans sa politique.

Pourtant, et c'est là qu'il est difficile de connaître la pondération apportée par la Cour dans la politique gouvernementale, un projet de loi sur l'aménagement du territoire est examiné la même année qui va dans le sens des conclusions de la Cour (confer partie sur la politique autoroutière française). Ce projet de loi a vu le jour sous l'impulsion de Madame Voynet (confer fiche d'acteurs sur le ministère de l'Environnement).

 

 

Site internet :  http://www.ccomptes.fr