La directive européenne "Oiseaux"

lien vers la controverse des rapports et contre-rapports

 

I – Origines et objectifs de la directive "Oiseaux"

 

Dès 1973, une déclaration du Conseil des Communautés Européennes mentionne la mise en place d’un programme d’action en matière d’environnement, des dispositions spécifiques étant prévues pour la protection des oiseaux, dont on constate que les populations déclinent, et qui relèvent – du moins en ce qui concerne les espèces migratrices – d’une gestion commune. Cette déclaration est complétée le 17 mai 1977 par une résolution du Conseil ayant des objectifs similaires.

Guidée par le souci de préserver la biodiversité au niveau communautaire, la directive européenne n° 79/409, adoptée le 6 avril 1979 par le Conseil des Communautés Européennes et connue sous le nom de "Directive Oiseaux", vise donc à établir un cadre commun de protection de toutes les espèces d’oiseaux vivant à l’état sauvage sur le territoire européen. Dans cette optique, les États membres, auxquels cette directive s’applique depuis le 6 avril 1981, doivent prendre "toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles". La directive fixe pour cela un certain nombre d’exigences portant tant sur la protection des habitats ("préservation, […] maintien et […] rétablissement des biotopes et des habitats") que sur la protection des espèces elles-mêmes (interdiction "d'endommager intentionnellement [les] nids et [les] oeufs ", "de détenir les oiseaux des espèces dont la chasse et la capture ne sont pas permises", "de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance"). Afin de mettre en œuvre la protection des oiseaux, les États doivent en outre créer des "Zones de Protection Spéciale" sur les territoires qu’ils jugent les plus appropriés en nombre et en superficie, ces territoires devant alors être tenus à l’écart de toute pollution, détérioration de l’habitat et perturbation touchant les oiseaux.

 

II – Position de la chasse dans la directive "Oiseaux"

 

Dans ses prémisses mêmes, la directive "Oiseaux" reconnaît la chasse comme étant "une activité admissible, pour autant que certaines limites soient établies et respectées". Elle affirme par ailleurs dans son article 2 la nécessité de tenir compte des "exigences économiques et récréationnelles", et précise que la perturbation des oiseaux est à proscrire "pour autant qu[’elle] ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la directive". L’esprit de la directive n’est donc en aucun cas de chercher à éliminer la chasse, dont elle reconnaît la contribution en matière de régulation des populations d’oiseaux sauvages et d’entretien des habitats. Toutefois, elle précise que la chasse doit répondre aux principes "d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée". Elle prévoit donc l’interdiction de la chasse pendant la période nidicole et pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. En ce qui concerne les oiseaux migrateurs, elle stipule plus particulièrement que ces espèces ne doivent pas être chassées pendant leur période de reproduction et leur trajet de retour vers le lieu de nidification. Les annexes I, II et III de la directive définissent par ailleurs le statut des différentes espèces d’oiseaux en fonction de leur état de conservation.

 

III – Mise en application de la directive "Oiseaux"

 

En vertu du principe de subsidiarité, il appartient aux États de transcrire dans leur droit national les objectifs fixés par la directive "Oiseaux", qui ne précise aucune modalité de mise en œuvre, et ne se prononce en particulier pas sur un calendrier d’ouverture et de fermeture des périodes de chasse. Toutefois, la mise en application de la directive est contrôlée par la Commission des Communautés Européennes, à laquelle les États doivent faire parvenir tous les trois ans un rapport sur les moyens mis en œuvre, et qui peut, en cas de non-respect de la directive, citer un État devant la Cour Européenne de Justice.

Afin de tenir compte, conformément à l’annexe V de la directive, des recherches et avancées dans la connaissance des oiseaux et de leurs mœurs, un comité d’adaptation de cette directive, nommé comité Ornis, a de plus été mis en place. Composé d’experts des États membres, a pour fonction d’établir des lignes directrices et des documents de référence en matière de conservation des espèces et des habitats ; il établit en particulier des recommandations quant à la désignation des Zones de Protection Spéciale et à l’établissement des dates d’ouverture et de fermeture de la chasse.

 

IV – La directive "Oiseaux" et les contentieux qui lui sont liés

 

La directive "Oiseaux" constitue l’une des pommes de discorde les plus évidentes dans la controverse sur les dates de chasse aux oiseaux migrateurs et est aujourd’hui source de nombreux blocages, non tant en raison du texte de la directive lui-même, qui reconnaît la légitimité de la chasse, qu’en raison de la jurisprudence à laquelle elle a donné lieu à la Cour Européenne de Justice. En effet, l’arrêt rendu par la CJE le 19 janvier 1994 au sujet de la conformité des dates de fermeture avec la protection des oiseaux migrateurs pendant leur trajet de retour introduit la notion nouvelle de "protection complète des espèces", absente de la directive et, en ce sens, durcit le texte originel. En effet, avant cet arrêt, les arrêtés préfectoraux fixant les dates de fermeture de la chasse se fondaient sur le début de la période du maximum d’activité migratoire, i.e. sur le moment où une proportion significative d’oiseaux (environ 10%) prenait son envol vers les lieux de nidification. En affirmant que "les méthodes qui aboutissent à ce qu’un pourcentage donné des oiseaux d’une certaine espèce échappent à [la] protection ne sont pas conformes à [la protection complète des espèces]", la CJE impose donc de fait des dates de fermeture plus restrictives. Cette interprétation est contestée par les chasseurs et leurs représentants, qui soulignent que les dispositions prévues par la directive n° 79/409 concernent une protection des espèces, ce qui ne revient pas à une protection complète de tous les individus, les dates devant donc être fixées à partir de l’observation du comportement moyen d’une espèce et non à partir du début de migration d’une fraction d’oiseaux précoces mais marginaux.

Par ailleurs, la directive "Oiseaux", par les enjeux qu’elle représente, est également source indirecte de tensions entre écologistes et chasseurs. Ainsi, le rapport requis par la directive afin de rendre compte de la mise en application son application n’a jamais été transmis par la France à la Commission Européenne durant les années pendant lesquelles le ministre écologiste Dominique Voynet était en fonction, ce qui a été dénoncé par les chasseurs et les parlementaires favorables à la chasse comme une manœuvre destinée à faire condamner, sciemment, la France par la CJE afin d’obtenir ensuite le soutien du grand public dans la mise en place de dates de chasse beaucoup plus restrictives.

 

V – Les évolutions passées et futures de la directive "Oiseaux"

 

La directive "Oiseaux" a connu depuis sa mise en place en 1979 deux évolutions parallèles et antagonistes, puisqu’elle a été, d’une part, étendue et complétée par de nouvelles mesures, et a, d’autre part, été très régulièrement contestée et a fait l’objet de nombreuses tentatives de modification.

L’une des principales extensions de la directive n°79/409 réside dans la directive n°92/43 dénommée "Habitats", qui prévoit la création de Zones Spéciales de Conservation (ZSC) formant, avec les ZPS prévues par la directive "Oiseaux", un réseau nommé Natura 2000. Ce réseau, composé de sites désignés par les États membres, a pour objectif de contribuer à préserver la diversité biologique sur le territoire de l'Union européenne, et doit assurer le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des habitats naturels et des habitats d'espèces de la flore et de la faune sauvage d'intérêt communautaire. Cependant, il s’agit là encore d’une source de conflit puisque toute perturbation ayant un effet significatif doit être bannie des zones Natura 2000, ce qui se traduit souvent dans les faits par une restriction ou une interdiction de la chasse sur ces territoires.

La directive "Oiseaux" a maintes fois été remise en question au vu des difficultés d’application qu’elle posait. Ainsi, la Commission Européenne a proposé en 1994 au Parlement Européen une modification de l’article 7 § 4 de la directive "Oiseaux", visant à préciser le pouvoir d’appréciation des États dans l’application de la directive, en accord avec le principe de subsidiarité. Cette proposition a été rejetée par le Parlement, qui lui a préféré la proposition de Mme Van Putten imposant une clôture de la chasse au plus tard le 31 janvier pour tous les États membres. D’autres tentatives de modification ont été entreprises, telles qu’un amendement déposé par la Commission de l’Agriculture dans le but d’introduire un régime dérogatoire au principe de fermeture de la chasse le 31 janvier en permettant de chasser une espèce migratrice pendant une période maximale de 4 semaines à compter du 31 janvier, à condition que cela n’emporte pas de conséquences négatives sur l’état de conservation de l’espèce chassée ; toutefois, ces tentatives sont restées sans suite.

En dépit de la volonté des États d’assouplir la directive "Oiseaux" pour mettre fin aux tensions qu’elle génère parmi les chasseurs, l’évolution de la directive s’est donc plutôt faite dans le sens d’un durcissement du texte initial depuis 1979 – par les extensions qu’elle a connu et le jurisprudence à laquelle elle a donné lieu – ce qui explique les nombreux contentieux engendrés. Toutefois, de nouvelles évolutions positives sont à espérer, le Premier Ministre français Jean-Pierre Raffarin ayant par exemple officiellement demandé le 29 mars 2005 l’annexion à la directive "Oiseaux" du "Guide interprétatif " publié en août 2004 par la Commission. Cette mesure ouvrirait selon la Commission la voie à "des solutions définitives en matière de périodes de chasse" et serait susceptible d’apaiser les tensions, étant donné que le "Guide interprétatif" évoqué offre une plus grande flexibilité dans la fixation des dates de chasse aux oiseaux migrateurs.