Le débat économique sur le pic pétrolier
Après avoir vu comment les facteurs économiques interagissaient et quelles étaient leurs tendances récentes, intéressons nous aux divergences d’opinion des acteurs sur les facteurs économiques. Voici les principaux sujets controversés influant sur la date du pic
L’envolée des prix après 2003
S’il existe un consensus sur le fait que les prix ne redescendront pas à leur ancien niveau, tous ne sont pas d’accord sur ses causes. Les optimistes arguent qu’il ne s’agit aucunement de l’imminence d’un pic pétrolier. Il s’agirait simplement d’un choc de demande, dû à une mauvaise anticipation de l’offre et non à une pénurie vraiment physique des ressources. Par exemple, ils accusent les faibles capacités de raffinage d’être à l’origine du maintien des prix à un niveau élevé. De plus, ils minimisent l’importance de cette montée des prix : ramené à l’inflation, le prix du pétrole est loin d’avoir atteint le niveau des années 70. Matthew Simmons ajoute : « Je pense qu’un baril à 60 dollars est un des produits les moins chers qu’il soit. Cela signifie 37 centimes le litre ! Aucun supermarché ne vend le pire litre de bière à 37 centimes ! (...)
Parmi les pessimistes, cette hausse des prix est un signe précurseur du pic pétrolier. Si ce n’est pas encore le cas, pour eux, c’est bien la fin du pétrole peu cher. L’offre ne peut pas satisfaire la demande, ce qui explique l’envolée des prix. Et cette inéquation de l’offre résulte de causes géologiques.
Le progrès technologique et l’amélioration du taux de récupération
Les optimistes croient au progrès : plus d’investissement équivaut à plus de pétrole au final. Il suffit donc de s’en donner les moyens (voir IFP). Le taux de récupération peut augmenter encore, et l’objectif de 45% n’est pas inatteignable. Leur seule inquiétude : malgré les bénéfices, les entreprises n’investissent pas et préfèrent redistribuer à leurs actionnaires.
Chez les pessimistes, le progrès technologique et les investissements ne font que retarder un peu plus le pic. Ils y croient un peu mais disent que le pétrole ainsi récupéré est négligeable comparé aux ressources actuelles. Enfin, les progrès ne marchent pas tout le temps : dans certains champs la mise en place de la récupération assistée n’a pas donné de pétrole en plus, au contraire.
Les réserves prouvées et les futures découvertes
Tous les acteurs sont d’accord pour dire que le pic des découvertes a déjà eu lieu vers les années 1960.
Pour les pessimistes, ceci veut dire qu’il n’y a plus grand espoir de découvrir de nouveaux grands champs de pétrole. Les réserves de pétrole non conventionnel ne sont pas si importantes que cela parce qu’elles sont difficilement exploitables. Investir pour l’exploitation de nouveaux gisements ne sert à rien.
Pour les optimistes, les réserves non conventionnelles sont très prometteuses. Les investissements en R&D vont faire en sorte que ces pétroles deviennent exploitables et rentables. De plus, il est plus rentable aujourd’hui de réévaluer les gisements anciens que de lancer des campagnes d’exploration. De futures découvertes ne sont donc pas exclues.
La consommation
Avec l’arrivée de nouveaux consommateurs comme la Chine ou l’Inde, la consommation mondiale a augmenté malgré les efforts de l’OCDE pour maintenir la consommation à un niveau stable.
Les pessimistes pensent que la demande mondiale ne va pas se réduire mais exploser. Et ils ne croient pas à une régulation de la demande par une montée des prix tellement les sociétés se sont habituées à consommer du pétrole. La transition énergétique ne va pas se faire doucement mais à la hâte, ce qui créera des désordres économiques.
Pour les optimistes, avoir affaire à une augmentation de la demande n’est pas un problème si elle est bien planifiée et si les investissements nécessaires ont été faits pour assurer une bonne production. De plus, ils croient à une régulation facile du marché du pétrole grâce aux prix. La demande baissera dès que le prix augmentera.
Le pic pétrolier
Finalement, pour les pessimistes, qu’importe la date, le pic pétrolier aura lieu et provoquera des désordres économiques et politiques. Il est important de se préparer à ce choc.
Pour les optimistes, ces scénarii catastrophes n’auront pas lieu. Pour l’instant, l’augmentation de la production peut ainsi être prévue jusqu’en 2035. La pénurie de pétrole entraînera tout d’abord une spécialisation du pétrole dans les domaines ou il est indispensable, et une transition énergétique pour les autres secteurs. Enfin, le pétrole cessera d’être produit alors qu’il en restera encore.
"L'âge de pierre ne s'est pas terminé par manque de pierres.
L'âge du pétrole ne s' achèvera pas avec le manque de pétrole."
Cheikh Yamani – Ancien ministre du pétrole saoudien
Cité par L'Expansion d'octobre 2005
Conclusion
Entre optimistes et pessimistes, la date du pic pétrolier a longtemps fait débat. Mais face aux événements récents, il semble que les optimistes revoient un peu leur prévisions : ils commencent à parler du pic pétrolier même s’ils ne le placent pas à la même date que les pessimistes. Et il est important de constater que la différence entre les dates du pic ne sont pas si énormes : 2010 pour les pessimistes, et 2035 pour les optimistes. Mais la vraie différence se situe aussi dans leurs réactions par rapport aux conséquences du pic.
Enfin, même dans cette couche économique, il ne vous a pas échappé que des éléments politiques étaient liés aux variations de prix : les acteurs économiques incluent ainsi les risques politiques dans leur calcul du prix futur. Mais ce n’est pas la seule interaction de la politique avec le pic pétrolier. Le marché du pétrole n’est pas comme les autres et l’étude de la controverse ne saurait être complète sans une étude politique de celle-ci.
Suite de la visite : entrer dans la couche politique
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