Yves Cochet

Résumé-analyse de l’interview d’Yves Cochet

 

Yves Cochet nous reçoit le mardi 13 juin dans son bureau à l’Assemblée Nationale. Après lui avoir expliqué brièvement le principe de la description de controverses (dont il a, semble-t-il, entendu parler par son « ami Bruno Latour »), nous lui posons notre première question : Comment êtes vous venu au pétrole ? Pourquoi ce sujet plutôt qu’un autre ?

Il nous explique alors que, s’étant retrouvé dans le groupe de l’opposition à la suite de la défaite de la gauche en 2002, il a eu plus de temps pour prendre du recul par rapport à l’actualité quotidienne et pour s’intéresser à des problèmes « moins terre à terre ». Le rôle de l’opposition, selon le député, est de s’intéresser « à ce qu’il y a de plus dangereux et menaçant pour le monde ».

Pourquoi alors ne pas se pencher plutôt sur le problème du changement climatique, tout aussi inquiétant ? Selon lui, il s’agit bien entendu d’un problème majeur, mais qui a déjà été beaucoup discuté. Ce qu’il appelle « l’aval du carbone », c'est-à-dire les conséquences de l’exploitation des hydrocarbures, est en cours de résolution grâce au Protocole de Kyoto. Par contre, très peu d’hommes politiques se soucient de « l’amont du carbone », c'est-à-dire l’exploitation des hydrocarbures. Pourtant, 80% de l’énergie produite sur terre est tirée des produits fossiles. Le pic de Hubbert est donc un enjeu crucial et jusqu’ici sous-estimé, tout comme l’est la probable épidémie de grippe aviaire qui pourrait survenir dès cet hiver.

Notre seconde question porte sur la méthodologie que notre interlocuteur a employée pour écrire son livre Pétrole Apocalypse : quelles sont ses sources, qui a-t-il rencontré et comment a-t-il fait le tri des informations qu’il a obtenues ?

Il reprend alors la distinction faite par son « ami Jean Laherrère » (cofondateur de l’ASPO) entre les estimations politiques et les estimations techniques. Les déclarations du BRGM, de l’USGS (équivalent américain du BRGM), de chaque pays producteur ou des compagnies pétrolières (notamment BP, qui fait des efforts statistiques importants) ne sont « que des mensonges », puisqu’elles sont soumises à une pression politique extrêmement forte. D’autre part, après avoir qualifié d’ « extrêmement pertinentes » les estimations techniques fournies par les deux sociétés de statistiques pétrolières IHS et Wood Mackenzie, Yves Cochet finit par expliquer qu’IHS ayant été rachetée « par les américains », ses chiffres sont désormais « sujets à caution ». Il trouve par ailleurs scandaleux que ces calculs soient aussi onéreux, et signale que même l’IFP n’a pas les moyens de se les payer intégralement (il avance même prudemment un prix : 10 millions d’euros par an).

Personne ne semble être totalement fiable, donc, à part Jean Laherrère, sur lequel Yves Cochet ne tarit pas d’éloges : « Jean Laherrère est le plus fiable de tous ». Il possède les données techniques et tient à jour très régulièrement les statistiques de chaque pays. « C’est l’homme le plus fiable du monde en ce qui concerne les données pétrolières ».

Cependant, les incertitudes sont nombreuses même chez Laherrère, car la « science géophysique est par essence approximative » et surtout parce que le pétrole représente un enjeu politique et économique qui dépasse l’entendement. Le pétrole est « le plus grand commerce du monde » et sans doute l’énergie la plus mondialisée, et c’est par conséquent « un monde de tricheurs, un monde de menteurs, un monde de brutes ». Même l’AIE « raconte n’importe quoi ». Seuls les membres de l’ASPO, qui sont de très bons scientifiques et jouissent d’une indépendance incontestable, peuvent être considérés comme fiables. C’est ainsi qu’Yves Cochet déclare : « Je suis plutôt du côté de l’ASPO ».

Il poursuit sa dénonciation des pays de l’OPEP en expliquant qu’ils « racontent n’importe quoi » à cause de la perverse politique des quotas : les quotas étant basés sur les réserves déclarées, les pays de l’OPEP et les compagnies pétrolières ont tout intérêt à truquer leurs chiffres pour pouvoir exploiter le pétrole à leur guise. « C’est comme les impôts : c’est du déclaratif donc on met n’importe quoi ! ».

Ayant constaté de notre côté que l’IFP semblait plus modéré et prudent sur l’avenir du pétrole, nous interrogeons notre interlocuteur sur le crédit qu’il accorde à cette organisation.

Cet organisme qui existe depuis 60 ans et compte des membres remarquables du point de vue scientifique est « comme les autres » : il n’a jamais publié une seule ligne sur la question du pic pétrolier avant 2005. Le World Energy Outlook, qui est pourtant un ouvrage de référence dans le monde du pétrole, réactualisé chaque année en octobre, a évoqué pour la première fois le pic il y a un an seulement. Yves Cochet critique sévèrement le président actuel de l’IFP, Claude Mandil, pour qui le pic de Hubbert n’aura jamais lieu.

Vient ensuite la question des estimations de chaque acteur. Yves Cochet commence par évoquer Deffeyes, chercheur américain qui pense que le pic a déjà eu lieu (il a même donné une date : en 2005, le jour de Thanksgiving… mais cette précision est bien sûr une plaisanterie). Il souligne ensuite les divergences d’opinion qui existent même au sein de l’ASPO : alors qu’officiellement l’ASPO prévoit le pic pour avant 2010, Laherrère donne prudemment la fourchette 2010-2020 et Bauquis le voit vers 2020. Le député vert nous confie : « Mon estimation c’est entre maintenant et 2010, mais je ne suis pas géologue du tout ». Enfin, Total prévoit le pic pour 2025.

Quels sont les arguments des compagnies pétrolières pour avancer des chiffres plus optimistes ?

L’IFP et les grands groupes pétroliers se basent surtout, selon Cochet, sur l’idée d’ « enhanced recovery », c'est-à-dire l’augmentation du rendement des puits par l’amélioration des techniques de forage et d’extraction. Pour lui, ces pratiques permettent seulement de gagner un peu de temps et restent « marginales ». De surcroît, les technologies les plus modernes sont déjà employées par tous les plus grands groupes et elles n’ont jusqu’à maintenant jamais pesé significativement d ans l’augmentation des réserves. Pis : parfois, l’injection d’eau ou de gaz sous pression ou de tout autre solvant détériore irréversiblement le champ et la quantité de pétrole obtenue est alors inférieure à ce qui était prévu. « Toutes les boîtes utilisent les technologies les plus modernes mais quand y en a plus, y en a plus… »

La question suivante porte sur la situation après le pic : ne peut-on penser que, le prix augmentant, la demande va naturellement diminuer et le choc s’amortir de lui-même ?

Notre interlocuteur concède que l’augmentation des prix (qui sévit depuis janvier 2002, fluctuations mensuelles mises à part) va bien entendu profondément modifier la demande en pétrole. Il souligne que ce sont d’abord les pays les plus pauvres qui vont en pâtir : des centaines de millions de personnes seront privées de chauffage et d’électricité. Il y aura encore beaucoup de pétrole disponible après le pic, mais son prix va augmenter tellement qu’il ne pourra plus être utilisé comme nous le faisons aujourd’hui. Selon Yves Cochet, l’emploi systématique du ratio R/P (ratio réserves sur production, qui permet à ceux qui l’emploient d’assurer qu’il nous reste encore 40 ans de pétrole au rythme de production actuel) « est une escroquerie » puisque les dernier s barils de pétrole auront un prix exorbitant qui interdira de les utiliser de la même façon que nous le faisons aujourd’hui.

Nous attirons ensuite son attention sur deux phrases, l’une de Jean Laherrère, l’autre de Xavier Préel, qui se font étrangement écho : « Tout a un pic et même plusieurs » (Laherrère), « Le monde n’est pas fait de courbes de Gauss » (Préel). Il s’agit pour nous d’évoquer avec lui les différences de philosophie qui peuvent exister dans la modélisation d’un phénomène, et de faire parler le mathématicien (Yves Cochet est docteur en mathématiques).

Il commence par indiquer que « Laherrère a une espèce de philosophie orientaliste : tout a une fin, tout a un pic… », mais nous confie qu’il pense qu’il est réellement possible de modéliser la déplétion pétrolière. La courbe de production est modélisable par une courbe qui se rapproche d’une gaussienne mais n’en est pas vraiment une. Il nous montre un graphe de l’ASPO représentant la production au cours du temps : la courbe suit à peu près une gaussienne, mais elle comporte d’importantes irrégularités dues à des crises géopolitiques (principalement les chocs de 1973 et 1979). Les aléas de la politique font que la forme précise de la courbe est impossible à prévoir.

Cependant, le député rappelle que les deux méthodes de Hubbert permettent de prévoir la position du pic.

La première méthode repose sur l’idée que les courbes de découvertes et de production ont la même forme mais sont décalées dans le temps. Ainsi, dès que la courbe des découvertes a atteint son pic, on peut connaître la date du pic de production si l’on connaît le décalage. Campbell et Laherrère l’ont estimé à 40-42 ans, « d’où maintenant ».

La deuxième méthode est encore plus simple : elle considère que le pic est atteint quand la moitié des réserves a été extraite.

Après avoir signalé à quel point ces méthodes sont simples, Yves Cochet revient sur l’importance cruciale de la géopolitique et cite Pierre-René Bauquis : « La dernière goutte de pétrole sera utilisée dans un avion de chasse américain vers 2050 ». Il admet que les modélisations de King Hubbert ou de Bartlett (qui propose un modèle totalement mathématique) ne peuvent être que très schématiques. Pour leur part, les membres de l’ASPO ont pour la plupart fait des dizaines d’années de terrain, Et ils savent donc « de quoi ils parlent ». Leurs prévisions ne sont jamais déconnectées de la réalité.

La prochaine question est d’ordre politique : quelles mesures propose-t-il concrètement pour amortir le choc et que fait-il dans sa vie personnelle ?

Il explique qu’il n’a plus de voiture, qu’il utilise un vélo le plus souvent ou les transports en commun. Il critique avec virulence la loi d’orientation sur l’énergie adoptée par le parlement français l’année dernière : il la juge inadaptée au problème et bien trop laxiste. La seule solution est pour lui de réagir rapidement et drastiquement. Yves Cochet signale qu’il a proposé 40 amendements à ce texte et qu’il s’est évertué à expliquer le pic de Hubbert à des députés qui n’y comprenaient strictement rien. Il rappelle cependant qu’il existe un protocole équivalant au protocole de Kyoto pour l’amont du pétrole : le protocole de Rimini. C’est selon lui un projet ambitieux et respectable puisqu’il consiste à dire que désormais le pétrole est géré par l’ONU. Mais il faudra du temps pour faire entrer en vigueur les termes de ce protocole.

Nous lui rappelons qu’il existe déjà une organisation onusienne chargée de rassembler les données existant sur le pétrole, JODI (Joint Oil Data Initiative), qu’il critique dans son livre.

En fait, il s’agit d’une très bonne initiative, mais comme l’OPEP « ne joue pas le jeu », cela ne peut pas fonctionner. La pression géopolitique est trop forte.

Il faudrait, par exemple, que l’OPEP accepte que 1000 scientifiques explorent tous les puits existants dans le monde pendant un an, afin que soient enfin établies des statistiques incontestables. « Il y aura toujours des gens qui tricheront ».

Nous lui faisons savoir que nous l’avons classé sans hésitation dans le camp des pessimistes…

Il récuse complètement cette appellation, à cause de la connotation négative qu’elle véhicule et récite une phrase dont il ne connaît plus la provenance : « La différence entre les optimistes et les pessimistes, c’est qu’en général, les pessimistes sont mieux informés ». Nous attirons alors son attention sur cette remarque de Jean Laherrère : « dans l'échelle de Maslov le degré supérieur est celui de self estime, cela me fait plaisir de voir avec Google que j'ai plus de 40 000 citations avec laherrere +oil ». Ne peut-on pas alors dire que les pessimistes ne sont pessimistes que pour faire parler d’eux ? Yves Cochet commence par nier totalement cette affirmation en expliquant que les optimistes (Total, l’OPEP, les gouvernements, l’IFP, l’AIE…) sont bien plus présents dans les médias que les pessimistes. Il concède cependant que la parole des pessimistes est toujours plus écoutée car « les médias préfèrent la controverse à la vérité ». Le public adore le pessimisme et le catastrophisme.     Nous concluons en lui demandant s’il y a une question qu’il aurait aimé qu’on lui pose. Il ne voit pas d’autre question, mais continue à parler : « Ca va être terrible ».  « Moi je proposes des solutions radicales mais je suis réaliste », je sais que c’est électoralement suicidaire ». Il se désole du fait que personne ne semble vouloir croire à l’imminence de la catastrophe, que personne n’aille voir les chiffres. Il établit un surprenant parallèle avec Hitler : « on croit qu’on peut négocier, discuter… » mais c’est impossible. La catastrophe est inévitable, même si on refuse d’y croire. Il conclut en expliquant que la plupart des hommes politiques ne sont pas conscients du problème.

 

Voir la biographie d’Yves Cochet

Voir le résumé du livre « Pétrole Apocalypse »

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