Entretien avec WWF France

 

               La contact-presse, Agnès Poiret, de WWF France nous a effectivement mis en contact avec Stéphane Guillemet, responsable affaires maritimes internationales : l’entretien, retranscrit ci-dessous, nous a éclairés quant à la difficulté d’évaluation des populations thonières mais également quant aux relations existantes entre les différents acteurs. Les écologistes ne sont définitivement pas un groupuscule marginal mais forment, en un sens le noyau dur des acteurs réellement engagés pour la protection des mers et de leurs écosystèmes.

               Pouvez-vous résumer la position de WWF quant à l'urgence de la situation actuelle du thon rouge? En particulier, les quotas réajustés dernièrement vous semblent-ils suffisants? Comment imaginiez-vous l'avenir du thon rouge au vu des perspectives actuelles?

               Pendant longtemps les poissons ont été considérés comme une source de nourriture inépuisable. Pourtant certaines espèces de poissons ont pratiquement disparu et d'autres espèces déclinent rapidement. Le thon rouge est aujourd’hui l’espèce la plus menacée par une surpêche démesurée. Si rien n’est fait, il sera difficile et presque impossible de trouver du thon rouge dans quelques décennies.

               Quels moyens d'actions utilisez-vous concrètement ? (Campagnes de sensibilisation, discussion avec les législateurs, avec les pêcheurs...) Avez-vous des partenaires privilégiés pour discuter de la question du thon rouge et de la régulation? (par exemple, des membres de la CICTA)

               Vous connaissez sûrement nos campagnes de sensibilisation que vous pouvez d’ailleurs retrouver sur notre site www.wwf.fr ou www.panda.org.  Pour le thon, comme pour de nombreuses autres espèces en voie d’extinction, nous informons le grand-public et les médias  de la menace existante et de l’urgence de réagir.

               Nous travaillons avec les industries des différents pays. 

               Nous faisons pression sur les gouvernements, mais aussi l’OMC pour que, plutôt que de subventionner les pêcheurs, redéployer les fonds pour une exploitation du thon économiquement viable à long-terme.  Nous voulons que les fonds ainsi récupérés servent à réduire la capacité des flottes, développer des plans de rétablissement des stocks de poissons, évaluer les stocks de poissons et, là où c'est nécessaire, assurer la formation des pêcheurs à des emplois alternatifs.

               Nous menons nos propres études et expertises, parfois indépendamment, parfois avec des chercheurs extérieurs (certains de nos bénévoles travaillent par exemple à Ifremer).

               La question du thon rouge dépend beaucoup de l'évaluation de sa population. En particulier, il nous semble que les décisions de quotas prises par la CICTA dépendent de cette évaluation.

               La question de l’évaluation des stocks ainsi que des quantités pêchées est en effet essentielle.

               Il faut reconnaître que, jusqu’alors, personne ne peut assurer une fiabilité totale de ses chiffres. Là est le problème d’ailleurs. Nous ne pouvons qu’estimer les stocks de thon rouge pêché dans la mesure où d’énormes quantités sont capturées dans l’illégalité. Avec IFREMER, nous réévaluons depuis 1995 chaque année nos mesures.

               Notre organisation a en effet ses propres chercheurs et mène ses propres études, lesquelles, contrairement à ce que l’on peut entendre parfois chez les pêcheurs, n’ont jamais été contestées. D’ailleurs, le dépassement des quotas fait aujourd’hui l'objet d'un quasi-consensus. Notre rapport de juin 2006 évaluait à environ 45 000 tonnes la quantité de thon rouge pêché au cours des deux années précédentes, soit 40 % au-dessus des 32 000 tonnes du quota méditerranéen. Après contre-expertises, les autorités scientifiques ont toujours approuvé nos évaluations.

               L’extension glabQuels sont les acteurs ayant un poids important quant à l'évolution de la situation? Par exemple, avez-vous identifié des pays et des groupes de pressions très actifs? Si oui, quels sont leurs objectifs et leurs moyens d'action? Pourtant, on parle notamment en Europe de plus en plus d’écologie… Quel est votre sentiment ? Votre action se fait à l’échelle mondiale  coordonner les politiques des différents Etats?

               Les douanes et les différentes filières de distribution ne s'assurent pas toujours que les poissons entrant sur leur territoire ou dans leurs magasins ont été capturés légalement. Par ailleurs, il n’y a pas toujours d’inspection rigoureuse du bateau ou matériel de pêche dans les ports : la capacité de pêche n’est alors pas limitée.

               L’ouverture de nombreuses zones maritimes à l’exploitation par des compagnies de pêche du monde entier limite également tout contrôle. En vérité, il y a tout simplement trop peu de zones protégées ou interdites de pêche permettant aux plus jeunes poissons de grossir et surtout de se reproduire avant d'être capturés. Seuls 0,6% des océans sont des zones marines protégées (MPA's – Marine Protected Areas) et 90% de ces zones sont ouvertes à la pêche.

               Les acteurs les plus susceptibles de peser dans la balance sont les politiques. En effet, le grand drame du thon rouge aujourd’hui est l’absence de réglementation le concernant. Il y a bien entendu eu des accords signés (NDLR : Convention des Nations Unies sur le droit de la mer – paragraphe sur le thon rouge), mais ils ne sont le plus souvent pas mis en place. Ainsi, beaucoup de pays sont totalement impuissants face à la pêche IUU.

               Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que, malgré tous ses bons sentiments, l’Union Européenne subventionne la pêche au thon rouge à hauteur de 1.4 milliard d’euros, soit environ 14.000 euros par bateau chaque année. L’aquaculture du thon rouge sauvage est également très subventionnée par les fonds européens. Toutes ces largesses ne font malheureusement que favoriser la surpêche.


               Le thon rouge est un sujet très médiatisé mais finalement il semble que tous les acteurs admettent que la question de la survie du thon rouge est plus qu'incertaine. Pourtant, la situation est dans une impasse. Pourquoi?

               Tout simplement parce qu’on est plus intéressé à l’heure actuelle par une rentabilité à court-terme maximale que par la survie de l’espèce thon rouge. Tant que les industries de pêche ne s’engagent pas dans une politique de pêche durable, nous resterons dans l’impasse. On ne peut espérer un équilibre naturel des besoins socio-économiques de notre société et de la ressource halieutique. Quant aux consommateurs, ils achètent aujourd’hui du poisson sans bien savoir s’il provient ou pas d’une pêche durable, ce qui soutient la non-gestion de l’exploitation du thon rouge



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