Interview de deux membres du service Stratégie d'EDF, souhaitant rester anonymes
Entretien réalisé le 22/05/08
Nos deux interlocuteurs reviennent tout d'abord sur la position officielle d'EDF qui est celle de l'Etat français, puisque celui-ci en est l'actionnaire majoritaire – près de 85 % –, en affirmant que la séparation patrimoniale ne changerait pas la situation actuelle car, si RTE reste une filiale d'EDF, les clients de RTE et concurrents d'EDF n'ont émis aucune plainte visant le manque de concurrence ou l'accès au réseau. Le système français actuel fonctionne, au contraire de celui développé en Espagne par exemple où s'est mis en place l'Ownership Unbundling, mais où l'on constate aussi des difficultés dans l'accès des tiers au réseau relevées par l'Union Européenne : "accès discriminatoire des tiers au réseau, et notamment maintien d'un accès préférentiel pour les contrats historiques des opérateurs dominants". Ainsi, les mesures proposées par la Commission Européenne ne représentent-elles pas une solution pour l'harmonisation du marché de l'électricité.
Nous revenons ensuite sur un bref historique du dégroupage du marché de l'électricité en Europe :
Ainsi, tous les acteurs français – l'Etat, EDF, RTE, la CRE – sont satisfaits d'un système qui fonctionne et qui n'est pas lourd, au contraire de ce qui se passe en Angleterre où 250 personnes sont dédiées au fonctionnement de l'autorité de régulation, alors que la CRE ne compte qu'une centaine d'employés environ.
Nos deux interlocuteurs veulent insister sur le point le plus important : le système français fonctionne si bien que leurs propres concurrents n'ont jamais porté plainte pour manque de transparence, ce qui confirme la pertinence du modèle actuel.
Un des deux membres d'EDF nous expose ensuite son propre point de vue. Le dégroupage ne s'est pas réalisé à la même vitesse en Europe. Par exemple, l'Allemagne a immédiatement accompli une séparation patrimoniale complète. Cependant, la concurrence ne s'est pas développée pour au moins deux raisons. La première est que les consommateurs n'avaient pas intérêt à changer de fournisseur. En effet, les droits d'entrée sur le réseau étaient si élevés que recourir à un producteur étranger signifiait surtaxer l'énergie achetée et donc payer plus cher que les tarifs présents en Allemagne-même. La seconde est une entente entre les différents opérateurs dont Eon. En 2006, l'Allemagne a créé son régulateur ce qui a conduit à une rapide baisse des tarifs de transport.
Cependant, échaudée par cet épisode, la Commission Européenne "veut taper fort" puisque la baisse des prix ne fonctionne pas et que des accros accompagnent l'ouverture du marché. C'est pourquoi un nouveau modèle fait son apparition : l'ISO. Celui-ci est vite considéré comme trop bureaucratique, au point même que l'on se demande si cette option n'a pas été lancée pour "faire peur" en vue de favoriser le ralliement à l'Ownership Unbundling. En demandant à nos interlocuteurs pourquoi, selon eux, M. Lévêque ne le considérait pas comme compliqué, ceux-ci ont répondu que M. Lévêque avait dû confondre avec l'ISO américain dont le nom similaire cache en fait un modèle plus simple et libéral que celui proposé en Europe.
Ensuite, une Troisième Voie a été proposée, suite à une initiative française, consistant à généraliser le modèle français et à promouvoir l'élargissement européen du marché de l'électricité. Aujourd'hui, huit Etats s'y sont ralliés et forment une minorité de blocage au niveau des institutions européennes. La Commission Européenne essaie par conséquent d'infléchir la position d'un Etat important comme l'Allemagne, par exemple, en négociant avec Eon sur l'incident cité précédemment. Cependant, l'Allemagne n'a pas changé sa position au sein du groupe des huit. Au résultat négatif du vote du 6 mai 2008 d'une commission de parlementaires européens au sujet de la Troisième Voie, nos interlocuteurs répondent que si celle-ci a été rejetée à une faible majorité, il y a déjà eu deux votes similaires en faveur de ce modèle et que ces réunions n'ont qu'une valeur préparatoire pour les futurs débats parlementaires. Ainsi, est-il impossible de conclure quant à l'impact de ce résultat sur l'avenir de la Troisième Voie.
Nous avons aussi voulu savoir quels étaient les moyens d'argumentation d'EDF auprès des instances européennes. EDF fait partie d'Eurelectric qui vise à défendre les intérêts de ces membres notamment à Bruxelles.
Du point de vue des impacts des différents modèles sur EDF, la Troisième Voie, qui a été émise trop rapidement et sans réel contenu, a évolué vers la position française qui a fait ses preuves et représente donc une alternative positive pour l'entreprise. Pour l'Ownership Unbundling, EDF serait obligée de vendre RTE et afficherait donc une perte d'EBITDA. EDF craint aussi un faible développement des interconnexions, sans pour autant affirmer connaître les conséquences précises de ce modèle. L'ISO, jugé trop bureaucratique, cette alternative n'aurait pas de réel impact pour EDF.
Enfin, nos deux interlocuteurs insistent sur le fait que la séparation patrimoniale n'aura pas de conséquence majeure vis-à-vis de son attitude envers RTE, d'autant qu'EDF vise à renforcer la concurrence pour bénéficier de ses faibles coûts de production et devenir un véritable acteur européen.