Interviews de Pierre Noël Giraud, professeur en droit et économie à l'ENSMP (CERNA)
Entretien réalisé le 15 mai 2008
Selon vous, quel et l’intérêt de modifier en profondeur le système énergétique européen ?
Le but actuel est de disposer d’un système énergétique européen efficace et à terme d’un marché global de l’électricité en Europe. Donc finalement la question du choix du système ne correspond qu’au chemin que l’on empruntera pour atteindre cet objectif.
Aujourd’hui on a une multitude de marchés nationaux qui commencent à échanger entre eux mais il faut harmoniser ces différents secteurs. Cela permettrait alors de mettre les centrales de production en compétition, d’éviter les actuelles difficultés de communication entre les différents Opérateur Système qui gère la production en fonction de la demande.
Que pensez-vous de l’efficacité des différents modèles proposés comme l’Ownership unbundling, l’ISO ou la "troisième voie" au niveau de la concurrence et de la baisse des prix, puisqu’il s’agit du but principal de la réforme, sachant que différents cabinets de conseil proposent des avis divergents ?
Quels sont vos critères quand vous parlez d’efficacité ? Si vous entendez par efficacité, baisse des tarifs. Il est clair que plus il y a d’acteurs, plus les coûts ont tendance à augmenter et cela se ressent nécessairement sur la facture finale. Vis-à-vis de la troisième voie, qui reprend le modèle français, je ne crois pas que l’argument mettant en avant une possible utilisation abusive du producteur qui possède une partie du réseau soit justifiable. En effet, connaissant assez bien ce qui se passe déjà en France, cela n’est absolument le cas. Ainsi récemment RTE a clairement préféré choisir un concurrent d’EDF pour un appel d’offre.
Pensez-vous à qu’un autre modèle pourrait convenir en vue du dégroupage des opérateurs énergétiques et satisferait mieux les exigences de concurrence et celles des Etats membres ?
Selon moi, une des meilleures solutions serait la création d’un réseau européen dont tous les actuels producteurs européens détenant totalité ou partie de leur réseau pourraient prendre des parts. Pour superviser cette organisation, un opérateur système européen.
Les opérateurs virtuels - auxquels le consommateur peut s’adresser via Internet mais qui ne disposent pas de moyens industriels propres - exercent-ils un poids significatif sur la concurrence au niveau européen ?
Le rôle de ces opérateurs est aujourd’hui très faible et on voit qu’aujourd’hui tous cherchent, comme Poweo en France, à acquérir des moyens de production. En effet, ceux-ci aujourd’hui rachètent de l’électricité aux producteurs aux enchères (Virtual Power Plan) avec un souci de mise en concurrence. Cependant comme la volatilité d’un producteur ajoutée à celle d’un opérateur est supérieure à celle d’un groupe réalisant les deux opérations. Tous ces opérateurs ont intérêt à disposer de moyens de production en propre. Ces investissements leur permettent par ailleurs de se couvrir face aux brusques variations des prix. En effet il n’y a pas encore de produits financiers permettant de se couvrir correctement.
Pensez-vous qu’à terme un ou des leaders de la production et de la distribution de l’électricité apparaîtront et seront en position de forte domination sur le marché européen, inhibant une possible concurrence ?
Aujourd’hui déjà on remarque qu’un nombre limité de grands groupes (EDF, Iberdrola, E-ON, Electrabel, British Energy) contrôle près de 70% du marché européen. Mais les conséquences de cette situation ne seraient cependant si néfastes que ce que certains laissent entendre. Effectivement même si dans un premier temps, on peut craindre que ces « gros » s’entendent pour assurer un prix moyen acceptable et plus élevé que dans une concurrence acharnée. Cependant dans un tel contexte, ce prix moyen aurait l’avantage d’être beaucoup moins volatile et permettrait d’accroître les politiques d’investissements.
En outre, tout excès serait annihilé par l’autorité de surveillance chargée de veiller au respect des règles de concurrence.
Pensez-vous à qu’un autre modèle pourrait convenir en vue du dégroupage des opérateurs énergétiques et satisferait mieux les exigences de concurrence et celles des Etats membres ?
Je ne vois aucun modèle qui aurait aujourd’hui plus de raisons de s’imposer. Le but est de toute façon d’arriver au même stade – c’est-à-dire un marché européen au sein duquel la concurrence entre producteurs, distributeurs … sera naturelle. De plus la diversité des organisations actuelles (régionales, nationales…) font qu’il n’y a pas une solution unique.
Selon vous faudrait-il dans tous les cas une entité chargée de tout contrôler à l’échelon européen ?
Oui, je pense qu’un opérateur système européen qui gérerait la production en fonction de la demande serait très utile. De même la présence d’un régulateur tel que la CRE en France serait nécessaire. En effet aujourd’hui tous les états mettent en place une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour gérer les investissements nécessaires. Cependant chaque état doit déjà prendre en compte la politique de ses voisins. L’intérêt d’un système européen est donc évident.