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Icône Le méthylphénidate
La Ritaline a été autorisée en France et mise sur le marché en 1995, après validation par les différents organismes de santé publics. Elle ne peut être prescrite que dans le cadre du TDAH et par des spécialistes en neurologie, psychiatrie ou pédiatrie. Elle est répertoriée en France depuis 1971 comme stupéfiant par la Convention sur les substances psychotropes.

Pourtant, à y regarder de plus près, son histoire n’a pas été vraiment limpide [5
Suffer the restless children : evolution of ADHD and paediatric stimulant use btw 1900-1980

de
R. Mayes
in
History of Psychiatry
(2007)
]
. La molécule obtient un visa en 1959 ainsi qu’une première autorisation de mise sur le marché en 1975 pour traiter l’hyperactivité, mais celle-ci lui est retirée en 1986. Elle obtient de 1987 à 1994 une autorisation temporaire.

L’histoire [4
The Run on Ritalin : ADD and stimulant treatmentin the 1990’s

de
Laurence D. Hiller
(1996)
]
du TDAH a été très controversée aussi bien en France qu’aux États-Unis. Un des articles les plus complets sur le sujet a été trouvé sur Google Scholar : «The run on Ritalin : attention deficit disorder and stimulant treatment in the 1990s». Nous avons mené également plusieurs interviews retranscrites ici.
Portons toutefois notre attention sur le fait que la controverse sur la Ritaline concerne essentiellement les États-Unis où sa prescription a augmenté de façon exponentielle au cours des trente dernières années.

1. Une rapide histoire du TDAH


1934

Eugene Kahn et Louis Cohen identifient un certain nombre de patients incapables de rester calmes. Ils attribuent ces problèmes émotionnels pour la première fois à une déficience neurologique.


1937

Charles Bradley, pédiatre et directeur d’une association de médecins de l’Université de Yale, effectue pour la première fois un pneumoencéphalogramme sur des enfants souffrants de migraine. Il leur donne alors par hasard de la Benzédrine (une amphétamine découverte récemment) en espérant que la molécule stimule leur plexus choroïde et réduire la pression dans les sinus de l’enfants.

Les maux de têtes ne s’estompent pas, mais il note quelque chose d’étonnant : «Leur changement de comportement durant la semaine de traitement à la Benzédrine affecta grandement leur activité scolaire», note-t-il dans un article daté de 1950.
En effet, environ 70% des enfants traités améliorèrent immédiatement leur intérêt pour les devoirs qu’ils avaient à faire. La molécule calmait les enfants sans pour autant anihiler toute leur attention.
Pourtant, dès l’arrêt du traitement à la Benzédrine, ses effets disparaissent immédiatement.


1937

Motlich et Sullivan note «une amélioration du test de QI chez des sujets traités aux amphétamines».


1955

Les traitements aux amphétamines se développent massivement pour les adultes atteints de troubles mentaux sévères, comme la Thorazine (ou Largactil en Europe).


1955

Une firme suisse, JR Geigy, synthétise depuis les années 1940 une molécule appelée méthylphénidate en lui donnant le nom commercial de Ritaline. Son but : reproduire les effets stimulants des amphétamines en réduisant les effets secondaires.


1956

Premier vrai questionnement paru dans l'American Journal of Psychiatry : Herbet Freed et Charles Pfeifer écrivent un article : «Pourquoi utiliser un médicament aussi puissant sur nos enfants plutôt qu’une psychothérapie ?»


1956

La NIMH crée le PRB ou Psychopharmalogical Research Brand. Elle nomme Eisenberg et Conners du Johns Hopkins Hospital comme chefs du projet, destiné à effectuer une enquête de grande envergure sur le thème «L’utilisation de médicaments chez les enfants».


1956

L’article de Laufer et Denhoff est publié et le trouble est qualifié dHyperkinetic Impulse Disorder. Les deux chercheurs travaillent dans la même association que C. Bradley, dont ils espèrent poursuivre les travaux.
Les chercheurs sont clairs : «Le trouble est le résultat d’un dysfonctionnement d’une partie l’encéphale». Laufer reconnu plusieurs années après que ces conclusions étaient beaucoup trop hâtives.

Les chercheurs posent un avertissement ferme : «It would be infortunate if, as a result of these observations, amphetamines were used indiscriminately for the treatment of behavior disturbance in children [...]. Amphetamine has a specific role, but is no susbstitue for psychotherapy».


1961

La Ritaline est autorisée par la Food and Drug Administration (FDA) pour le traitement des problèmes de comportements chez les enfants.


1963

L’article de Conners et Eisenberg est le premier a prouvé l’efficacité de la Ritaline chez les enfants à problèmes. Ils notent également «que 70% des enfants perdent l’appétit suite au traitement».

Il reflète à quel point l’ambiance de la recherche dans les années 1960 est détendue. Aucun contrôle n’était vraiment effectué, note Conners. «Je suis allé dans une école de Baltimore, et j’ai demandé au principal si je pouvais effectuer des tests dans une des classes en traitant des enfants volontaires.» Celui-ci m’a répondu : «Génial ! et les parents étaient encore plus enthousiastes !».


1964

Les premières contestations apparaîssent. Chess montre grâce aux nouvelles technologies que beaucoup d’enfants diagnostiqués hyperactifs ne montrent aucun dysfonctionnement du cerveau. Le NIMH est donc obligé de financer la recherche dans ce domaine.


1968

Les premières bourses sont distribuées par le NIMH aux chercheurs capables de mener des études de grande envergure.


1970

Un article ouvre la voie à la controverse. Le Washington Post, dans un article du 29 juin intitulé «Omaha pupils giver ‘behaviour drugs’» affirme que 10% des enfants d’une école du Nebraska sont traités à la Ritaline par décision de la direction de l’école, sans aucun avis médical.
S’il a été montré que l’article comportait énormément d’erreurs, il a au moins réveillé l’attention des médias sur le sujet.


1970

Suite à cet article, la prescription de Ritaline devient restreinte aux États-Unis par un programme intitulé Schedule III.


1970

Un scandale éclate en Suède, où des dizaines de cas d’abus de Ritaline sont diagnostiqués. Elle sera interdite pendant 38 ans du marché suédois.


1971

La Ritaline est classée aux États-Unis comme substance encore plus dangereuse, avec le Demerol ou la morphine. La Drug Enforcement Administration (DEA) surveille de près sa prescription dans tout le pays.


1975

Trois nouvelles publications finissent d’achever la Ritaline, qui devient la cible de tous les médias américains. Peter Conrad accusent la société de vouloir contrôler les masses avec des stimulants ainsi que les lobbies pharmaceutiques.


1978

Une découverte complique la relation entre le diagnostic et l’utilisation de Ritaline. Judith Rapoport, une chercheuse au NIMH, montre que les effets de la Ritaline sont les mêmes chez les enfants hyperactifs aussi bien que chez les enfants «normaux».

2. Comment fonctionne le méthylphénidate ? Est-il adapté au TDAH ?

Voici un podcast du célèbre magazine scientifique américain Scientific American[3
]Il décrit en 60 secondes les résultats des expérimentations menées il y a deux ans en 2008 sur des rats de laboratoires :

Ce n’est donc que plus de 50 ans après sa découverte que ses mécanismes d’actions commencent à être bien compris. Selon le Journal of Neuroscience, c’est un stimulant du système nerveux central. Il agit en inhibant la recapture de dopamine et de noradrénaline. Le stimulant, s’il est bien dosé, augmente donc la quantité de dopamine : le message chimique circule alors mieux entre deux neurones.

À ce titre, le méthylphénidate est donc [2
]un stimulant plutôt classique dont l’action est simplement très ciblée. La chronologie précédente à bien montré qu’une question est donc loin d’être résolue : la Ritaline est-elle adaptée au TDAH ?

La littérature récente nous montre que les hypothèses classiques d’un déficit de dopamine ou de noradrénaline ne sont pas solidement établies. De plus, les enfants souffrant du TDAH présentent à long terme un risque accru de toxicomanie, délinquance et échec scolaire. La Ritaline n’a donc aucun effet, en positif comme en négatif, vis-à-vis de ces risques.

Mettons de côté un instant les autres traitements (et notamment les interventions psychosociales) qui sont aujourd’hui recommandés comme le traitement de première intention du TDAH. L’histoire du TDAH reflète donc une manière très actuelle de penser de notre société, très bien résumée par Peter Conrad.
Nous avons tendance à nous concentrer sur l’individu dans la recherche des causes et les solutions à apporter à des problèmes sociaux compliqués, plutôt que sur la société en elle-même.
Nous chercons tous alors à chercher «la victime» plutôt que la société. Le TDAH en est un bon exemple. À la fois l’école et les parents sont concernés par les problèmes comportementaux des enfants. Nous savons très bien que les récompenses ou les punitions n’ont aucun effet sur ces enfants, alors on emmène l’enfant chez un médecin.
En lui prescrivant de la Ritaline, le comportement de l’enfant semble plus acceptable socialement puisque la molécule réduit les problèmes à l’école et à la maison. En se concentrant uniquement sur les symptômes et en les regroupant sous le nom de TDAH, nous mettons de côté la possibilité de voir le comporement non comme une maladie, mais comme une adaptation à une situation sociale.
En donnant ces stimulants, nous sommes en train de perpétuer un système qui ne laisse aucune place à ces enfants, qui peuvent pourtant être un facteur crucial dans l’amorçage d’une quelconque remise en question.
Peter Conrad

Le méthylphénidate
Sujet « Les enfants turbulents » —
Jérémy BLACHIER, Arthur BRIQUET, Édouard DENYS DE BONNAVENTURE, Elsa MERCKEL, François HENNETON.