Audition publique
« Exploration et traitement du cerveau : enjeux éthiques et juridiques »
Organisée par Alain CLAEYS (député de la Vienne), Jean-Sébastien VIALATTE (député du Var)
Mercredi 30 Novembre 2011 à l’Assemblée Nationale, Salle Lamartine
Nous avons assisté aux séances du matin de cette audition (soit de 9h à 13h15).
Propos introductifs
Selon l’OMS : 1 personne sur 4 est atteinte de maladie mentale dans sa vie… D’où un fort intérêt médical de méthodes adaptées.
Les méthodes d’imagerie sont de plus en plus précises, pour le structurel aussi. La question est de savoir si l’on n’utilise ces méthodes que pour des aspects médicaux ou de recherche, ou bien aussi dans le domaine judiciaire. La loi bioéthique révisée le 7 juillet 2011 permet a priori aux techniques d’imagerie d’être employées à des fins médicales, scientifiques ou dans le cadre judiciaire. Le CNIL demande un encadrement plus strict. Pour l’instant en France, aucune utilisation de l’imagerie cérébrale comme preuve judiciaire. Un autre problème posé est celui du stockage et de la protection des données provenant de l’imagerie. Il faut aussi voir l’impact de ces techniques sur la société, la perception des gens.
Grande question : les images nous montrent-elles réellement une corrélation avec un comportement ou une pensée ? Est-il possible de décortiquer précisément les images et de leur attribuer un contenu ou un sens réel?
Autre problème : méthodes plus ou moins invasives…
NOTE : l’IRM ne peut fonctionner que si l’individu est consentant, en dépit de la plasticité cérébrale (grâce à laquelle le cerveau modifie l'organisation de ses réseaux de neurones en fonction des expériences vécues par l'organisme). Aux US : utilisée au Pénal comme au civil, jamais en France…
Hervé Chneiweiss
Tout système nerveux agit dans un environnement social.
Il faut bien identifier les tensions : handicaps… impératifs économiques : investissement, source d’innovation…
Est-ce qu’augmenter les capacités cognitives est vraiment pertinent ? (exemple de personnes avec une excellente mémoire, mais qui ne sélectionnent rien donc n’arrivent pas à fixer leurs souvenirs…)
Attention : le dépistage n’a rien à voir avec une capacité à prévoir, ni même à comprendre ! On a pourtant tendance à tout mélanger…
Paul Ricoeur : « On entre en éthique quand, à l'affirmation pour soi de la liberté, s'ajoute la volonté que la liberté de l'autre soit. Je veux que ta liberté soit »
Note : en 2014, European Year of the Brain par l’European Brain Council.
Table Ronde de 10h : Que doit-on soigner? Possibilités et limites
M. Grégoire Malandain, directeur scientifique adjoint à l’Institut national de recherche en informatique et en
automatique (INRIA)
L’INRIA s’occupe à priori de maths et d’info, mais 5ème domaine de recherche : STIC pour les sciences de la vie et de l’environnement.
- Neurosciences calculatoires : modélisation => échelle fonctionnelle, du circuit voire du neurone ! Ex : comprendre les mécanismes de l’anesthésie (pourquoi des gens se réveillent, ou ont encore mal après…)
- Modélisation des pathologies : formation et évolution des tumeurs par exemple.
- Imagerie anatomique (pour atlas anatomiques, détecter des lésions…)
- Interface cerveau/ordi : pour traiter les signaux (Ex : déplacement d’une chaise roulante par la pensée, navigation Internet, jeux vidéos…)
M. Andréas Kleinschmidt, conseiller scientifique auprès du directeur de l’Institut d’imagerie biomédicale du
CEA - NeuroSpin/Laboratoire de neuro-imagerie cognitive (LCOGN)
Neurospin au CEA Saclay
Neurologues regardent : prévalence (combien de patients malades à 1 instant donné) et incidence (combien de patients malades en 1 an).
Le risque est calculé avec le DALI (Disability Adjusted Life Years) ; plus gros : AVC (Accident Vasculaire Cérébral).
Pratique en clinique :
- Neuroimagerie d’AVC
- Pour maladies neuro-dégénératives : Alzheimer (on a par exemple remarqué grâce à la neuroimagerie que cette maladie était systématiquement accompagnée d’une atrophie de l’hippocampe) -> champ de pointe : IRM 7T (7 Teslas ; Neurospin représente le premier tel système en France et le quatrième en Europe)
Limite : origine inconnue (origine génétique ?) d’où une identification de facteurs de risques.
Problème éthique de ces diagnostics : s’orienter vers une médecine prédictive sans pouvoir offrir un moyen de soin une fois la maladie détectée ?
M. Lionel Naccache, professeur de médecine, neurologue, chercheur en neurosciences cognitives à l’Institut
du cerveau et de la moelle épinière (ICM)
Aujourd’hui on utilise plutôt l’imagerie fonctionnelle (IRM, PET-Scan, EEG…) que la structurelle.
Attention : ne pas croire que l’imagerie se substitue à l’expertise… Car c’est justement plus dur à étudier ! Et c’est d’ailleurs souvent d’autant plus dur à interpréter que la qualité d’image est bonne… Note : quand on regarde un cerveau malade, on apprend surtout comment fonctionne un cerveau sain…
Gros problème : la vitesse de développement de ces techniques est très rapide, ce qui pose de nombreux problèmes, par exemple en justice : ce que l’on déclare le jour du texte peut devenir très rapidement caduque ! => rester souple sur les appellations…
Limite importante aux tests fonctionnels : si le test est négatif, on ne peut RIEN conclure (ce qui n’est évidemment pas le cas avec du structurel). Ex : un patient ne répond pas, mais est-il tout de même conscient ? On regarde si son cerveau répond à des stimulis divers. Problème : si le test est négatif, peut-être cela ne signifie pas qu’il est inconscient, mais juste qu’il dort au moment du test, ou encore qu’il est sourd et n’entend donc pas le stimulis audio…
Il faut aussi que le sujet se prête volontairement au test cérébral.
Enfin, note importante : on ne peut PAS (encore) savoir à quoi pense quelqu’un, contrairement à ce que l’on peut penser…
M. Yehezkel Ben-Ari, fondateur et directeur honoraire de l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée
(INMED)
Etudie en particulier l’autisme
Maladie : commence bien avant les symptômes cliniques
Etude du taux de chlore dans le milieu cellulaire : conditionne l’effet de certains médicaments comme le Valium. Par exemple, on a plus de chlore quand on est jeune, donc quand une femme enceinte prend du Valium, l’effet est presque opposé sur elle et sur son embryon. Lors de l’accouchement, le taux diminue très fortement (très dur à expliquer thermodynamiquement…)
Une des raisons pour laquelle donner du Valium à des autistes les agitent encore plus…
Mme Marie-Odile Krebs, professeur des universités, directrice adjointe du Centre de psychiatrie et
neurosciences de l’hôpital Sainte-Anne, co-responsable de l'équipe physiopathologie des maladies
psychiatriques
Psychiatre -> modèle de vulnérabilité (adolescence très importante)
Utiliser imagerie : intéressant pour la prévention, mais également pour la thérapeutique ! Juste problème de la protection des données…
M. Michel Bourguignon, professeur de biophysique, Université de Paris Île-de-France Ouest , commissaire de
l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)
Examens irradiants ? Problème lorsque examens sont répétés, ainsi que problème de la radiosensibilité individuelle (tendance à l’augmentation des doses en radiodiagnostic)
Le nombre de radiodiagnostics a beaucoup augmenté aujourd’hui, y compris dans les pays en voie de développement.
Chiffres : nombre de scanners par million d’habitants -> Japon : 93, US : 35, France : 15,9
Problèmes :
- Les Scanners, TEP : plus performants, mais plus dosants
- Augmentation du nombre des actes les plus dosants
- Augmentation de l’utilisation de ces techniques pour raisons médicales
- Augmentation de la répétition des examens (quasiment toujours INUTILE)
Note : dans beaucoup de pays, comme en France, Scanner utilisé au lieu de l’IRM pour des problèmes d’exploration car pas assez d’IRM, alors que moins précis à priori…(moins de 8 appareils par million d’habitants contre 35 pour les USA)
Problème de la radiosensibilité :
- Radiosensibilité plus grande : embryon, enfant, femme
- Cerveau, et cristallin de l’œil par exemple, très sensibles
- Radiosensibilité individuelle
NB : les effets d’un seul scanner se voient
En résumé : trois problèmes principaux -> progression des doses / répétition des examens / augmentation de la radiosensibilité d’une manière générale
Méthodes :
Scanner : Exploration rapide et en urgence
IRM : Place particulière et décisive, pour une hémorragie par exemple
TEP : Exploration fonctionnelle du cerveau
ð Bien se demander si BESOIN d’un examen irradiant !
Constat Place majeure et importante de la radiologie
Augmentation des doses
Conséquence Maîtrise de la production des doses nécessaire
Perspectives Professionnelles
ASN
Industrielles
Patients (ne doivent pas augmenter trop leur demande)
Autorité de santé
Table Ronde de 11h30 : Quelles implications éthiques et juridiques ?
M. Jean-Claude Ameisen, professeur de médecine, président du Comité d’éthique de l’Institut national de la
santé et de la recherche médicale (INSERM), membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)
Importance de la conséquence des avancées techniques dans le changement de notre comportement et notre vision de nous-mêmes et des autres.
On distingue différents problèmes éthiques :
- La normalité :
D’un côté : prise en charge maladie, d’un autre côté : étude du cerveau !
Attention différence singulier / anormal : ne pas confondre normal et fréquent d’un côté et rare et anormal de l’autre. (Ex : perception de l’homosexualité)
« Aucune science ne prédit l’avenir, si elle prévoit, c’est en extrapolant le passé »
Dans la pratique, on range les personnes dans des groupes, et on prévoit (statistiquement) l’avenir du groupe. Problème de réduire la complexité de l’être à une simple lecture d’une grille biologique unidimensionnelle.
- Le déterminisme et la prédiction : c’est relatif à un passé qui peut changer. Aussi c’est une théorie probabiliste.
- La tentation lorsqu’on trouve une façon de détecter/corriger quelque chose, de considérer que c’était à la base une maladie importante (exemple de l’utilisation de la ritaline chez les enfants agités et l’utilisation d’antidépresseurs.
- Libre-arbitre : Problèmes d’interprétation : par exemple le sentiment de culpabilité : on peut l’avoir sans avoir fait l’acte, mais juste en y ayant pensé… ne pas confondre culpabilité/mensonge et vérité.
Autre problème : le concept de garde à vue s’est développé (en France) autour de la confidentialité des discussions avec l’avocat, et le droit de refus de répondre. Mais alors comment conserver ceci avec l’imagerie cérébrale ?...
Conclusion : Les neurosciences sont fascinantes mais il faut réfléchir avant d’appliquer tout ce qui est applicable.
Mme Hélène Gaumont-Prat, professeur de droit à l’Université Paris VIII, directrice du laboratoire de droit
Médical
Espoir : traiter maladies. Mais craintes sur la transparence et le détournement des informations (respect de la vie privée ?)
Grosses similitudes avec les tests génétiques et les données génétiques : la loi sur la bioéthique du 7 juillet 2011 s’en est d’ailleurs bien inspirée !
NB : le droit doit suivre les avancées scientifiques pour assurer la protection des individus
Problèmes éthiques :
- Détournements à des fins non thérapeutiques d’implants (pour augmenter la mémoire, la vitesse de calcul…) -> eugénisme !
- Utilisation de l’IRMf comme détecteur de mensonge, aux US aujourd’hui (Ex : noliemri.com, cephoscorp.com). Utilisé par certains employeurs !! (US)
- Utilisation en justice (Ex : déjà arrivé aux US, en Inde). Noter le parallèle avec l’ADN, devenu la reine de preuves…
- Pouvoir prédictif : dépistage précoce et prédictif ? Demande sécuritaire => facteur de dangerosité ??
- Utilisation en campagne marketing…
Principaux problèmes : atteinte à la dignité des personnes, à l’autonomie de la volonté, à la vie privée et au libre arbitre.
La loi du 7 juillet 2011 incorpore les neurosciences, c’est une première ! Elle définit l’encadrement du champ des techniques de l’imagerie : dans les domaines médical, de la recherche scientifique et judiciaire.
Dans la section juridique : une partie fait allusion au consentement.
Ce régime est calqué sur le texte sur la génétique : mais le législateur a-t-il répondu aux inquiétudes, aux questions éthiques ? Problème de « qualité » et de fiabilité des résultats…
A ajouter ultérieurement :
- Le texte n’est pas totalement similaire avec celui sur la génétique : exemple de la phrase « nul ne peut faire l'objet de discrimination en raison de ses caractéristiques génétiques » qui n’a pas été reprise => PAS d’interdiction de discrimination sur des données cérébrales !!
- Prévoir un régime pour sanctionner les attaques a des personnes qui proviendraient de caractéristiques obtenues par imagerie cérébrale (ce qui se recoupe un peu avec le point précédent)
De par l’unité dans la réflexion sur la bioéthique, il faut absolument trouver une conclusion juridique !
M. Yves Agid, professeur de neurologie, membre de l’Académie des sciences, membre du CCNE
Distinction pathologie et personnes ‘normales’ :
En pathologie : L’imagerie cérébrale est révolutionnaire. L’IRM est une totale révolution pour les neurologues, et le deviendra pour les psychiatres, à la fois au niveau diagnostic, pronostic, mais aussi thérapeutique.
En terme de comportement humain l’IRMf est un outil précieux mais il y a des risques :
Etude de la personnalité humaine (il ne faut pas que les images soient diffusées sans consentement de la personne)
Attention : l’imagerie cérébrale donne une vision INDIRECTE ! De plus, les mesures sont effectuées avec l’aide de l’informatique (d’où des potentielles approximations et des moyennage…), et le problème des banques informatisées se pose encore une nouvelle fois…
Ce n’est pas parce qu’un comportement traduit une image que le contraire est vrai. Ce n’est pas parce que certaines régions sont très ‘actives’ (lors de mesures) qu’elles sont les plus importantes. « images don’t lie but people lie ».
Les techniques vont continuer à se développer et c’est toujours mieux d’élargir ses perspectives, mais le plus important c’est toujours l’écoute et l’échange direct.
M. Paolo Girolami, professeur à l’Université de Turin, chercheur laboratoire d'éthique médicale de l'Université
Paris-Descartes
But de la médecine : amélioration de l’être humain ou restaurer la santé (mais pas améliorer)
Woody Allen : « My brain… that’s my second favorite organ. »
Jolie phrase de Jean-Claude Ameisen pour finir :
« Les sociétés totalitaires sont celles qui ont eu un jour le rêve ou le cauchemar de la transparence totale ». A méditer…