Preuve et vérité

 

      Il est ici question d’étudier le problème de ce que l’on attend d’une preuve. En effet, il s’agit d’une discussion sur la création d’une nouvelle méthode pour prouver ou non qu’un individu est coupable, va récidiver, etc. La nécessité de savoir si l’imagerie cérébraleEnsemble des techniques issues de l’imagerie médicale permettant d’observer le cerveau satisfait les critères qu’une preuve doit remplir se fait ainsi sentir.

 

Qu’est-ce que le « degré d’évidence » d’une preuve ?

 

      Ce n’est pas la définition même d’une preuve qui va jouer ici, à savoir la démonstration de la réalité d’un fait ou d’un état, mais plutôt sa force, sa capacité à convaincre un auditoire récalcitrant. C’est ce que le neurobiologiste et directeur du laboratoire « plasticité gliale » de l’INSERM Hervé Chneiweiss appelle, lors de notre entretien avec lui, son « degré d’évidence ». Toutefois, il faut aussi prendre garde au plan sur lequel on place la preuve et, du même coup, sur lequel on étudie son « degré d’évidence ». En effet, si sur les plans judiciaires et scientifiques, lorsque « dix personnes ont assisté à la scène et dix enregistrements vidéo montrent la scène sous dix aspects différents le degré d’évidence de la preuve est très fort », il n’en est pas de même pour les aveux. Bien entendu, leur « degré d’évidence » est important sur le plan judiciaire et faible voire nul sur le plan scientifique. Si un juge considère des aveux obtenus sans pressions d’aucune sorte comme des preuves notables, un scientifique ne peut l’accepter car ils peuvent pas être validés scientifiquement. Il y a trop d’imprécisions quant à l’organisation de l’interrogatoire et à ce qui a été annoncé ou promis au suspect.

 

Ce que l’on mesure avec une telle technique permet ou permettra-t-elle de reconstituer la vérité ?

 

      Après cette clarification, il convient de chercher le « degré d’évidence » d’une preuve obtenue par une technique d’imagerie cérébrale. Deux problèmes apparaissent à ce stade.

 

Comment la notion de vérité influe-t-elle sur le « degré d’évidence » d’une preuve issue d'un résultat  d'IRMDétection des zones cérébrales en activité grâce à l’aimantation de l’hémoglobine du sang qui afflue vers ces régions ?

 

      Le premier problème est lié à l’impossibilité de définir de façon absolue une vérité. Hervé Chneiweiss propose l’exemple d’un « enfant qui culpabilise » : même si l’enfant ne devrait rien avoir à se reprocher, s’il se sent coupable, ce qui est vrai pour une personne extérieure (ses parents par exemple), à savoir « il n’a rien fait », est en fait faux pour l’enfant. Ainsi, même si les techniques d’imagerie cérébrale pouvaient permettre de déterminer si le sujet dit la vérité, ce ne serait que sa propre vérité. Il s’agirait d’un autre moyen de faire parler le sujet, précise M. Chneiweiss. Cette idée se ressent aussi lorsque l’on lit The Brain and Behaviour : limitations in the use of functional magnetic resonance imaging : « He [Joseph Dumit] points out that a brain has strong persuasive power; it is viewed as a ‘’visual truth’’ and thereby perceived as factually correct. »*1 Ainsi, il est possible de s’auto-persuader d’avoir fauté et ainsi de tromper en quelque sorte les images. Tout est réellement question de point de vue. Le terme « visual truth »*2 caractérise parfaitement ce que Chneiweiss cherche à montrer à travers son exemple : la vérité n’a rien d’objectif, elle est toujours perçue et vécue par un individu qui en a ainsi sa propre interprétation. On a donc ici une « preuve » dont le « degré d’évidence » est fort sur le plan scientifique mais faible sur le plan judiciaire car ce que veut le juge, ce sont des faits probants voire réels et tout ce que peut fournir l’imagerie cérébrale, c’est ce que le sujet pense vrai.

 

Comment concilier diversité et normalisation ?

 

      Le second problème, plus conceptuel, consiste à définir ce que l’on cherche à extraire d’une image d’IRM. Un détecteur de mensonge, comme tout appareil de mesure lambda, se doit d’être étalonné convenablement pour pouvoir donner des résultats probants. Ainsi, on pose des questions simples au sujet, par exemple « comment vous appelez-vous ? », afin de repérer le rythme cardiaque de l’interrogé lorsqu’il dit la vérité. On peut alors dire qu’il est dans des conditions « normales ». Lorsqu’il ment, son rythme cardiaque s’accélère et on détecte les « anomalies » sur l’électrocardiogramme. Dans le contexte de l’imagerie cérébrale, il est plus délicat de définir ce que l’on entend par « normalité ». L’auteur de l’article The Brain and Behaviour : limitations in the use of functional magnetic resonance imaging fait écho au lien entre le paramètre étudié et la normalité : « An important feature of normality is that in any one study it most likely represents the non-state that is being investigated. Normality, therefore, in the bipolar study does not mean those who are without any disease or disorder. Rather, it is somewhat situation-precise which means, therefore, that normality is specifically relevant to the parameters being studied. »*3 Ainsi, ce qui est anormal ne l’est que par rapport à un point de référence prenant en compte des paramètres prédéfinis. C’est ici que la situation se complique car, dans le cas de la neuroimagerieEnsemble des techniques issues de l’imagerie médicale permettant d’observer le cerveau, comme l’auteur le précisera plus tard, on pense à définir la référence de la normalité par rapport à des « individus sains » puisqu’ici, le paramètre prédominant demeure la santé. Il faut alors définir la notion d’ « individu sain » et plus précisément celle d’ « individu dont le cerveau est sain ». Faut-il encore savoir quel type de personnes nous prendrons en compte pour établir ce point de référence. Allons-nous inclure des hommes et des femmes sachant que leurs cerveaux sont de structures différentes ? Des jeunes et des vieux dont les cerveaux n’ont pas le même vécu ? Toutes ces questions sont autant d’obstacles à la mise en place d’un système de preuves basé sur l’imagerie cérébrale car comment prétendre montrer qu’un individu est « normal » sans référence de « normalité ».

 

 

Traduction des citations :

*1 : Joseph Dumit souligne le fait que le cerveau a un fort pouvoir de persuasion ; il apparaît comme une « réalité visuelle » et est ainsi perçue comme a priori correcte.

*2 : réalité visuelle

*3 : Une caractéristique importante de la normalité est que dans n’importe quelle étude, ce que l’on recherche est, la plupart du temps, ce qui n’est pas normal. La normalité, par conséquent, dans une étude bipolaire, ne concerne pas ceux ne souffrant d’aucune maladie ou handicap. En quelque sorte, c’est plutôt spécifique à chaque situation, ce qui signifie alors que la normalité n’est pertinente que par rapport aux paramètres étudiés.


Continuons en s'intéressant à la fiabilité de la méthode scientifique >

< ou bien aux appels à la prudence