Entretien avec M. Byk

 

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CB : Je ne sais pas ce que vous avez vu, lu et comment vous organisez votre approche de la controverse. Je ne sais pas d’ailleurs s’il y a un rapport avec le groupe dans lequel vous êtes et puis le travail de controverses autour de l’imagerie cérébrale.


C’est ce qu’on fait en fait.

CB : Ah oui c’est ce que je vois sur le… c’est votre site ?


Ah non. En fait plusieurs écoles parisiennes  travaillent sur un même cours qui s’appelle controverse… « Description de controverse » donc en fait y a …

CB : C’est toujours Bruno Latour qui…


Alors ça  c’est sciences po. Donc nous il s’avère en fait qu’on a réalisé qu’on travaillait sur le même sujet qu’eux mais avec au moins un an de décalage vu/puisqu’ils ont déjà fait le site. Notre travail ça consiste à  s’intéresser à la controverse qui porte le même titre qu’eux donc qui s’appelle « l’imagerie cérébrale : outil pour la justice ? ». Et donc qui vise en fait au final à produire un site internet où on présenterait la controverse, les acteurs, les points de vue qui s’opposent, les débats, comment est-ce que ça  s’organise avec une méthodologie assez sociologique au fond. Voilà sur notre cours en fait.

CB : Non non c’est juste pour m’éclairer d’un peu ma connaissance des travaux sur les  controverses parce que la thématique des controverses, vous c’est controverse juridique qui m’intéresse, moi  je suis président du comité d’éthique des sciences à la commission française de l’Unesco. Donc je m’occupe d’un journal qui s’appelle « journal international de bioéthique » donc je m’intéresse aux controverses et j’essaie, moi, de remettre en avant au contraire les controverses scientifiques. Donc j’avais invité il y  a de cela deux ans à Sao Paulo au Brésil -c’était l’année de la France au Brésil- sur une idée qui était « les OGM sont-ils une alternative à la crise alimentaire ?» à renouer avec une controverse scientifique sur l’intérêt ou la dangerosité des OGM principalement avec des arguments scientifiques. Et donc côté français on était un M. Oui et M. Non. M. Oui c’était notre M. Yvan Lemaou, le président de la commission de la biodiversité plus connu parce que c’est un spécialiste du pingouin, enfin du manchot, l’empereur. Voilà qui …………………………………………………. et de pharmacie et le pour dans l’autre sens c’était Joel Guillemin  qui est un toxicologue ; c’est à l’issue de son dernier rapport que le moratoire était dans un  premier temps levé parce que, vous savez, moi je m’intéresse, j’aimerais  bien qu’on perpétue l’idée de controverse scientifique, comme on faisait des controverses qui étaient à l’époque scientifique parce que c’était principalement théologique au Moyen Age. C’est pour vous expliquer aussi que j’ai un intérêt à une certaine forme même de séduction en termes de controverse et de ceux qui s’y intéressent. Je trouve ça… ça aiguise mon esprit de curiosité.


D’accord. Bah nous en temps qu’étudiant ingénieur on s’intéresse évidemment au côté scientifique aussi pour… C’est la base sur laquelle on se repose pour pouvoir aborder les autres thématiques.

CB : Bon alors, bah c’est à vous de me dire comment vous  souhaitez aborder les choses.


Bah on a d’abord une liste avec quelques questions donc on va commencer par là et  puis après on verra où est ce que ça va nous mener de toute façon.

CB : Je vous écoute.

Déjà on pourrait … est-ce que vous pensez que la psychiatrie permet d’avoir une vision plus  complète d’une personne par exemple que l’imagerie cérébrale ?

Car on étudie donc l’imagerie cérébrale. Donc en fait maintenant ce qui est utilisé pour examiner la personnalité des gens c’est tout ce qui est psychiatrie. Donc tout d’abord est-ce que psychiatrie et imagerie cérébrale sont du même ordre de grandeur ? C’est-à-dire est-ce que…

l’un pourrait remplacer l’autre…

Est-ce que l’un remplace l’autre ou est-ce que l’un complète l’autre ou est-ce que l’un est une part de l’autre ? Comment est-ce que vous voyez ça ?

CB : Faut peut-être quand même un petit peu faire une histoire des relations dans la justice des éléments  moi j’appellerais médicolégaux qui contribue à aider la justice dans son processus. Le problème est de savoir qu’elle est la dimension du processus qui est concerné. Bon vous avez parlé de la personnalité mais quel côté de la personnalité ? Est-ce mieux comprendre la personnalité pour individualiser la peine ou est-ce mieux protéger la société de la dangerosité ? Alors bien évidemment dans la relation entre la justice et l’apport médicolégal dans l’histoire, il y a de l’un et de l’autre. Il faut avoir à la fois la fin du 19° siècle pour voir apparaître un début de médecine scientifique avec notamment les empreintes digitales et tout ce qui est l’identité judiciaire. Mais il faut se souvenir un moment où  c’est fait pour mieux s’armer face à de nouvelles formes de criminalité ou de délinquance. On a les attentats anarchistes, la Bande à Bono, le président de la République qui est assassiné Sadi Carnot à Lyon par un anarchiste. On est dans une république qui s’installe mais qui doit s’installer face à des monarchistes qui n’en finissent pas de vouloir maintenir l’idée d’une monarchie, puis d’un côté d’une république qui est un peu contestée. Vous savez avant de triompher la 3° république par ces hôtels de ville, cette architecture de nouveau ( ?!) bourgeoisie triomphante, il a fallu qu’elle trouve une certaine forme de stabilité. Et cette instabilité sur le plan pénal va durer –vous savez, on vous a parlé des brigades du tigre, voilà il y a eu la voiture et il y a eu un peu plus tôt effectivement l’identité judiciaire qui intervient aussi à un moment de l’histoire où un certain nombre de gens – on est après le darwinisme, après les grandes découvertes de Darwin et les classifications des espèces mais aussi lutte entre les espèces. On est aussi avec une certaine idée qu’on peut se faire des individus suivant leur ce qu’on appelait à cette époque leur race, mais leur classe sociale. On est aussi l’époque de la colonisation triomphante. Donc c’est un état d’esprit qui aide aussi à mettre en avant ce type de classification pour séparer les individus en fonction de leur dangerosité supposée et apparente. On n’en est pas encore effectivement à la génétique donc  on se situe sur le faciès ce que trente ou quarante ans plus tard les nazis vont faire de manière un peu plus systématique, on le fait déjà. Enfin on le fait… entendons nous, on fait des mesures de crâne, faciales et on développe un certain nombre de théories entre l’écartement de telle ou telle chose, tel faciès – vous verrez lier dans la littérature aussi bien française, les italiens aussi – tout le monde connait Lombroso – se sont largement répandu là-dessus. Alors pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Bah parce que ce qui est important dans ce type de controverse et là puis particulièrement dans le rapport de la science et de la justice ou de la médecine à la justice c’est que ce rapport il est aussi dépendant d’un contexte fort. A quoi servent la justice et ses pratiques ? A quoi servent les choses ? A quoi va servir la science ou la technique scientifique ? Va-t-elle servir à un but d’écarter  ou de mieux essayer de repérer les individus supposés pénalement voire socialement dangereux ? C’est une époque aussi où on commence aussi à vouloir aussi–c’est l’hygiénisme, il y a des côtés positifs là-dedans, on  veut identifier des individus alcooliques, paresseux, la paresse étant liée au chômage. Aujourd’hui ça peut faire sourire mais il faut aussi se remettre dans ce climat. Et donc tout ça pour dire il faut bien avant d’analyser la question aujourd’hui du petit bout de la lorgnette de 2010/2011 du temps et aussi d’espace, il faut bien se garder de le faire sans avoir la possibilité de remonter de l’autre côté de la lorgnette et d’avoir cette dimension plus large des rapports entre la science et le système judiciaire. Avec un autre élément à prendre en compte : c’est l’importance du système de preuves. Je fais faire un peu d’humour : en amour comme en justice, il y a qu’une seule chose qui compte ce sont les preuves. En justice, c’est peut-être un peu plus… enfin il y a un code pour déterminer quelles sont les preuves. Mais le système de preuves est lié à l’histoire d’un système judiciaire. On parlera peut-être tout à l’heure de la façon dont ce type de preuve est reçu dans le système de droit anglo-saxon et de droit américain avant de parler du nôtre parce qu’il y a encore peu de réception forte de ce type de preuves, tout du moins des neurosciences. Mais je veux dire par là que là aussi l’aspect utilité pragmatique il est lié à la fiabilité et à la réception sociale du système de preuve. Il y a des preuves  qui sont subjectives, il y a des preuves qui sont censées être objectives. Le problème c’est de savoir qu’elles soient subjectives ou objectives comment on peut les interpréter. C’est comme et à travers l’histoire - je termine les préliminaires que peuvent vous paraître longs – et à travers l’histoire il y a des moments  où on change, où on bascule de système de preuves. Arlette Lebigre, qui a beaucoup étudié la justice sous l’ancien régime, montre très bien que, par rapport à la question de la torture qui est codifiée par le parlement de paris et d’autres cours d’appel, c’est ce qu’on appelle la question préalable, c’est-à-dire qui se fait lors de l’instruction des affaires criminelles. Les gens, 16°, 17°, 18°, plus on avance dans le temps, moins il y a d’aveux sous la torture. Alors ça veut dire que les gens sont plus résistants ? Non, c’est pas ça du tout. Ça veut dire qu’on emploie de moins en moins la torture ou qu’on l’emploie de plus en plus formel, c’est-à-dire qu’on se contentera, alors que la codification écrit par le parlement de paris, la fameuse question de l’eau permet de faire ingurgiter un certain nombre, on se contentera de faire ingurgiter la moitié d’un broc et puis on s’arrêtera là. Parce que il y a d’autres… déjà à l’époque on ne croyait plus à la fiabilité d’un témoigne obtenu ainsi. Donc le système de preuves était en train de basculer. Donc la question qu’on va devoir se poser, s’il y a un rapport de force, pas seulement dans la… en regardant tel ou tel élément de preuve nouveau mais si ces éléments de preuve nouveau sont capables de faire basculer le système de la preuve, le système de reconnaissance de la preuve. Vous avez des éléments de preuve qui sont factuels, qui sont d’ordre scientifique, on fait des plaques de cerveau, on en fait aujourd’hui par rapport il y a 20 ans on arrive à les faire en quelques secondes alors qu’on mettait des heures. Ça c’est un élément objectif. Mais il y a la façon dont c’est traduit dans le système de preuves : est-ce que c’est recevable ? est-ce que ça vous donne vite… est-ce que ça s’intègre bien dans tout le système du processus de la preuve pénale ? c’est autre chose. C’est l’interrogation qu’il faut avoir. Et des basculements ils se font par rapport à un certain nombre d’objectifs de politique pénale. Alors ils peuvent être clairement exprimés, je vais revenir à votre question psychiatre vs praticien de la preuve par neuroscience. Ce que sous-entend c’est effectivement que le psychiatre… qu’est-ce qu’il fait ? Il s’adresse dans sa pratique, il dialogue ou tout au moins il a un entretien. Alors on peut critiquer ; un certain nombre de gens qui les … (subiz ?!?) « moi j’ai vu le psy ». J’ai fait une permanence pendant ces vacances à la chambre de l’instruction, il y avait des gens qui étaient … qui nous réclamaient nos affaires criminelles de mise en liberté. J’ai vu quelqu’un qui était là depuis 7 ans en détention préventive ce qui est quand même un peu long. Et il disait « moi j’ai vu le psychiatre, il m’a vu que 10 minutes comme d’habitude. » mais néanmoins même s’il ne voit les gens que dix minutes il est censé parler avec eux et dialoguer pour essayer effectivement de comprendre ce qui précisément ne se voit pas : la structure de pensée, la cohérence de pensée et la façon dont on s’inscrit dans le monde aujourd’hui dans la relation avec autrui dans un parcours si on est atteint de tel type d’anomalies et si on doit échapper à la responsabilité au sens pénal. Donc c’est évidemment subjectif puisque le dialogue engage deux sujets et leur parole et ce que l’autre va interpréter d’une parole. A partir effectivement d’éléments d’interprétation qui forment une discipline de psychiatrie voire une discipline voisine quand il s’agit d’experts psychologues mais qui se fondent sur des écoles différentes, sur des pratiques différentes, sur des expériences différentes voire même sur des appréciations différentes puisque vous savez bien qu’il peut y avoir face à une même personne des experts qui vont conclure que telle personne est responsable, qu’elle soit dite irresponsable. Vous le voyez à travers l’actualité. Alors les neurosciences, tout au moins c’est un peu technique, elles ont apparemment l’air plus objectives parce que si sur une feuille il y a une photographie, ce n’est pas le mot exact mais si par un des procédés qui existent j’ai une coupe du cerveau avec telle ou telle zone lumineuse, plus ou moins claire, plus ou moins épaisse, on me dira « bah voilà là vous… là c’est brouillé par rapport à un cerveau normal, c’est qu’il y a une tumeur. » c’est apparemment aussi objectif que lorsqu’on fait sur d’autres organes le même type d’investigation. On peut déjà s’interroger mais ça vous interrogerez les scientifiques si les apparences confortent la réalité supposée. Et puis il y a aussi l’interprétation et qu’est-ce qu’on veut faire dire. C’est là qu’on en vient à la comparaison et une réflexion sur la politique pénale, le ressenti de la politique pénale par à la fois les politiques et les citoyens. Dans la globalité de son approche la psychiatrie a été mise en place pour individualiser les peines et aider  à comprendre la personnalité, pour parler un langage un peu simple à charge comme à décharge mais c’était quand même pour montrer que si un certain nombre de coauteurs pouvaient commettre le même crime et si des auteurs différents pouvaient commettre des crimes identiques il y avait dans la personnalité de chacun une compréhension de leur cheminement criminel qui pouvait être différent et qui pouvait conduire, dans l’individualisation de la peine –puisque c’est un principe constitutionnel l’individualisation des peines – à quelque chose (à lire ???). Ça peut aussi comprendre la dimension bien entendu de dangerosité. Certains régimes ou certaines politiques pénales mettent plus l’accent sur la réinsertion de l’individu et d’autres mettent plus l’accent peut-être sur leur dangerosité sociale. Tout dépend comment aussi est compris… le code pénal ex-soviétique mettait pas mal l’accent sur la dangerosité sociale mais nos amis belges ont des théories qui s’appelle la défense pénale nouvelle ou qui met aussi l’accent aussi sur la dangerosité sociale. Mais face à ça vous avez bien vu que l’actualité, et pas récente puisqu’on peut en trouver tout au long de l’histoire judiciaire mais elle est médiatiquement plus visible ou faisant l’objet de controverse, met effectivement l’accent sur des événements judiciaires ou post-judiciaires de gens qui récidivent et dont on dit que leur comportement aurait pu être prévu ou au contraire de gens qui sont condamnés et dont on va dire après « mais c’est un fiasco judiciaire » comme l’affaire d’Outreau. Et tout ça se fait dans un certain nombre d’affaires où, ça c’est peut-être le deuxième rôle des psychiatres ou des psychologues, ça n’est plus dans l’examen des personnes poursuivies mais  c’est dans l’examen des victimes et vis-à-vis  d’un groupe particulier de victimes, tout au moins celles qui sont plus vulnérables, pose la question tout au moins la liste ( ?!?) le fait  de savoir si elles sont crédibles dans leurs affirmations notamment vis-à-vis d’infractions pour lesquelles la parole la parole de la victime est essentielle puisque vous savez que pour un certain nombre d’infractions sexuels il n’y a pas d’infraction en l’absence… euh en présence d’un consentement.

Tout ça pour dire que la controverse, s’il y a tout au moins l’idée  qu’il y a derrière la mise en avant des neurosciences. Elles émergent à travers un certain nombre de préoccupations qui se posent en critique de la fiabilité de la psychiatrie ou la psychologie, ces sciences du relationnel dans l’appréciation plutôt là de la dangerosité et de la capacité de réinsérer, de remettre une personne dans la société et donc on se dit peut-être si on a une manière de Calton (Kyleton,… ?), Lombroso ou d’autres le proposaient de photographier mais cette fois-ci plus sérieusement, pas seulement en regardant les oreilles, le nez, la hauteur du front ou le profil en le comparant à des mesures calculées  par de pseudo-scientifiques, on se dit que peut-être qu’aujourd’hui on a quelque chose de plus moderne, de plus crédible et que la révolution qui s’est produite en imagerie médicale qui se propose aujourd’hui comme étant une expertise à la médecine performante va se produire légalement pour la justice. Vous savez aussi un peu comme pour les aéroports et les terroristes, il suffit de se présenter, notre pudeur dû-t-elle en être offusquée devant ces scanners qui vont nous déshabiller et puis il y aura plus aucun risque de terrorisme. Là introduit l’idée qui est sous-jacente c’est de dire « bah voilà on a trouvé là un système bien plus crédible, bien plus fiable ». La question, moi je ne suis pas scientifique, je suis un juriste « voyou », et pour voir il faut savoir par rapport à quoi, par rapport à quels objectifs, quelle finalité, qu’est-ce que je demande à ces nouveaux appareils techniques. Qu’est-ce que je leur demande ? Qu’est-ce qu’ils peuvent offrir ? Quels sont les inconvénients ? Qu’est-ce que je demande… alors on peut demander effectivement que ce soit une sorte de nouveau détecteur de mensonge comme ceux qui existent et qui sont fondés sur la réactivité des gens par rapport à certaines questions pensant que lorsqu’on ne dit pas la vérité, ces appareils sont capables de capter une sensibilité intérieure. C’est aussi… nous ça nous fait sourire mais bon parce que c’est aussi fiable que la torture, des gens qui craquent à la seule peur… vous savez c’est comme quand vous allez chez le dentiste, vous avez déjà mal avant… certains ont déjà mal quand le dentiste sort la piqûre. D’autres qui sont plus psychologiquement résistants, qui sont entrainés à mieux résister, ça ne leur fait pas plus d’effet que de mâcher un chewing-gum. Donc là aussi on sait très bien que… on le sait d’autant plus que ces pratiques ont déjà été utilisés dans l’histoire de l’espion pour vérifier si les espions sont crédibles si on vous lâche un colonel soviétique à qui vous devez faire des révélations, évidemment le contre-espionnage la première chose à laquelle ils pensent c’est de savoir si c’est de savoir si c’est quelqu’un qui est envoyé pour brouiller les pistes. Donc ça a déjà été utilisé. Et bien sûr de l’autre côté on sait entraîner à garder un comportement parfaitement calme par rapport à ça. Donc c’est le premier type de questionnement que se pose le juriste, il pose des questionnements de bon père de famille sur la fiabilité de ce système. Qu’est-ce qu’on lui demande et qu’est-ce qu’il peut donner ? Qu’est-ce qu’on peut attendre par rapport à cela ? Mais surtout à un certain moment il va se poser la question de savoir si utilisant l’ensemble de ces techniques qu’est-ce qu’il risque de se produire, non pas au cas par cas mais globalement sur le système de preuves. Alors je donne souvent cet exemple à propos de la preuve biologique en matière de filiation… filiation naturelle. Notre code civil avait, début du 19° siècle, organisé des modes de recherche de filiation naturelle parce que évidemment c’est seulement la paternité en prévoyance qu’on appelait des cas d’ouverture. Il fallait soit avoir enlevé la jeune fille, soit  lui verser pour l’enfant une pension, il y avait 5 cas. En dehors de ce cas vous ne pouviez pas faire proposer au juge vos preuves, il fallait au préalable, c’est pour cela que ça s’appelait les cas d’ouverture, dire que vous étiez dans une de ces situations-là. Si vous ne l’étiez pas, le juge ne voulait pas voir les preuves pour des raisons qui étaient des raisons sociales, d’organisation de la société pour ne pas mettre la pagaille dans des familles. Et quand [sont] arrivée la preuve biologique, avant même d’être une preuve génétique, une preuve par examen décent qui commençait déjà à être pratiqué après la seconde guerre mondiale, certains juristes se sont intéressés - alors à l’époque ce n’était pas très fiable parce que… enfin ce n’était pas fiable à 100% - certains juristes se sont interrogés : « que restera-t-il des grands principes du code civil le jour où cela deviendra fiable ? ». Alors on a eu la réponse. C’est qu’il a fallu six ans pour faire tomber deux siècles de code civil, c’est-à-dire qu’en 1993 une loi est intervenu pour supprimer les cas d’ouverture de recherche de paternité naturelle donc on pouvait y aller si j’ose dire directement et la cour de cassation avait –pas avant- rendu obligatoire la preuve biologique qui est une preuve génétique et même d’office. Donc en l’absence de demande de ce type de preuves, alors sauf les gens qui sont membre… parce qu’il y a eu l’affaire Yves Montand qui a fait pas mal de bruit alors le post-mortem qui a finalement échappé à cause de l’affaire Yves Montand. Mais vous voyez là, je donne cet exemple, la génétique a fait en l’espace de six ans tombé deux siècles de code civil. Non pas qu’il faut se glorifier devant deux siècles de code civil mais il faut être conscient de ce que ça peut entraîner par rapport à un système de preuves. Est-ce que ça risque d’entraîner cela par rapport au système de preuves ? Par rapport à quel type de preuves ? Celles sur la culpabilité ou plutôt celles sur la responsabilité ou la dangerosité ? Alors est-ce que vous faîtes la différence entre la culpabilité, la responsabilité et la dangerosité ? Et je ne vous ai pas parlé de l’imputabilité.

Qu’est-ce que c’est quelqu’un qui est coupable ?


C’est quelqu’un qui a commis le…

CB : Voilà, c’est quelqu’un qui a commis des faits répréhensibles.  Ça c’est de la culpabilité. Donc évidemment quelqu’un qui… là on est dans la technique détecteur de mensonges. Quelqu’un qui dit « c’est pas moi qui ai volé le diadème du diamant de la reine d’Angleterre », si le détecteur de mensonge ou la coupe du cerveau montre que chez tous les menteurs y a la zone droite du cerveau qui s’éclaire très fortement quand on dit non alors que chez ceux qui disent la vérité c’est la zone gauche, là vous l’avez coincé au niveau de la culpabilité. Qu’est-ce qui est quelqu’un qui est responsable ?

Il répond de ses actes, il est conscient de…

CB : Voilà response re on voit que vous avez fait du latin, c’est celui qui répond, qui ait conscient donc ça écarte, c’est important parce que ça veut dire que n’y sont pas soumis, on va voir un troisième élément à la sanction voire au jugement toute personne qui ne sont pas dans une situation où elles peuvent comprendre tout ça. Ça fait partie de l’idée de liberté et de liberté individuelle donc ça veut dire que les personnes qui sont entre guillemets fous, qui n’ont pas l’entière liberté de leurs actes, soit échappent à cette responsabilité totalement ou partiellement. Donc là effectivement alors là on peut aussi, c’est peut-être un petit peu sérieux, un petit peu plus médical, voir un certain nombre de personnes peuvent avoir des lésions telles de cerveau que leur jugement, source de la conscience de ce qu’ils font, est atteint et peut-être gravement atteint. Quand on regarde les cas de quelqu’un dans la justice américaine, qui est peut-être moins fiable que la nôtre, plus inégalitaire, car quand vous n’avez pas de, dans l’actualité un petit peu récente, pas d’avocat musclé que vous payez suffisamment, il n’y a personne qui va réellement vous défendre et dans ces cas-là vous risquez d’être condamné et parfois extrêmement lourdement. Et dans un cas comme ça, quand à l’appel un avocat a pu montrer que son client avait une partie du cerveau qui était lésé, qui lui enlevait le jugement, on sait aussi qu’un certain nombre de médicaments lourds ont eu des effets secondaires extrêmement… cette histoire de shérif aux États-Unis qui s’est mis à tuer et on s’est aperçu qu’il était sous un traitement assez… donc ça effectivement, l’aspect médical peut aider à comprendre et à voir si des lésions sont pathologiquement apparentes. Donc sur ce plan-là, on peut dire que ça répond à la question de la complémentarité. Troisième point la dangerosité, c’est quoi ? Bah c’est simple.

CB : Dangerosité c’est quelqu’un qui par son comportement…


A une propension à faire…

CB : à être dangereux et dangereux peut-être pour lui ou pour autrui. On peut être dangereux… La dangerosité c’est une potentialité. On peut être dangereux pour soi-même ou les autres sans pour autant avoir commis des actes répréhensibles ou gravement répréhensibles. Alors est-ce que là aussi ce type d’examen aide à mieux détecter la dangerosité, sous-entendu dans le climat actuel la récidive, puisque c’est détecter quand un individu a la potentialité d’être dangereux mais avant qu’il commette l’acte, puisque je comprends, comme juriste et comme juge, que la réponse que fait parfois le policier quand quelqu’un dit « mais moi y a quelqu’un qui me menace chez moi » qui est « quand il vous aura agressé vous viendrez nous voir ». Alors effectivement je comprends qu’une société veuille réfléchir à un moyen de faire en sorte que ça soit un peu avant le crime commis, avant de retrouver la personne étranglée dans sa cave qu’on veuille s’inquiéter de savoir qui pourrait commettre le crime. Mais est-ce que, parce qu’on est dangereux, on est pour autant violent ? c’est pour ça que je vous demandais si vous aviez vu ce film, c’était précisément la question d’Humphrey Bogart qui joue le rôle d’un producteur et d’un scénariste de film vaguement violent mais tout au moins un peu bagarreur et de tempérament apparemment effectivement violent, et accusé d’un crime qu’il n’avait absolument pas commis. Donc on est dans cette problématique-là quand on est dans la dangerosité.  Donc votre question, après de longues digressions, je vais  y répondre comme un normand ( ?!?) ou comme un jury, je crois qu’il faut se poser à chaque fois… moi j’ai pas de rejet en soi des nouvelles techniques qui peuvent être utiles à la police scientifique. Ou alors ça serait dans une logique « tout est mieux, toujours mieux dans le passé,  dans le passé immédiat, celui que je pratique, et rien ne sera jamais bon dans le futur ». Mais  comme tout, parce que je suis quelqu’un de rationnel, il faut qu’on dise à quoi ça va nous servir, déterminer une finalité, si pour cette finalité il y a une fiabilité technique et puis au-delà de la fiabilité technique voir les problèmes d’ordre juridique et notamment à notre système de preuves. Si la fiabilité, admettons qu’on ait une fiabilité plus grande à dépister la dangerosité des gens qu’on aurait à faciliter le retour dans la société, est-ce qu’il n’y aurait pas un problème de société qui – c’est un peu un problème qu’on avait soulevé avec le travail de l’INSERM sur les jeunes enfants entre 3 et 5 ans pour dépister s’ils étaient violents dès l’école maternelle, fallait-il leur donner de la ritaline tout de suite, etc. Va-t-il falloir traiter des pans entiers de notre société ? Ça vaut vis-à-vis de jeunes mais ça vaut aussi – j’en parlais parce que ces techniques posent aussi des problèmes majeurs dans une société qui est vieillissante. Donc pour répondre à votre question, il faut passer chacune des techniques au crible d’un certain nombre de finalités qui sont celles qui s’inscrivent dans l’état actuel d’un système judiciaire et d’un système de politique pénale. Il faut les passer au crible, plus précisément du système de preuves et dans les deux cas il faut se demander si la tentation, qu’elles offrent dans des circonstances que j’ai rappelé, valent [vaut] la peine que nous changions de priorité en terme de politique pénale et que nous changions de système de preuves pénal. Le juge ou le juriste, comme le scientifique vis-à-vis d’une société qui s’interroge ou d’une controverse qui se font, il est là pour mettre en avant les arguments mais pas peut-être de les mettre seuls mais les remettre – dans tous les cas je pense que c’est le rôle du juriste ou du pénaliste- les remettre dans une problématique de politique pénale, de politique judiciaire et de système de preuves et de rappeler effectivement comment notre système se situe aujourd’hui par rapport à l’histoire et montrer que ce n’est pas seulement une crédibilité fondée sur une technicité soi-disant nouvelle de cette technique qui est déterminante, mais c’est les choix politiques que notre société fait pour les domaines concernés et de ses évolutions. Et donc il y a peut-être à résister à la tentation des neurosciences comme il peut y avoir intérêt à privilégier ou intégrer tel aspect des neurosciences ou tout au moins mieux les étudier pour savoir quel apport elles peuvent avoir. Moi je suis, vous savez c’est un peu comme en matière de goût artistique, j’ai pas de rejet systématique. Si ça peut être complémentaire – et complémentaire c’est par rapport à un objectif donc vous voyez bien que c’est pas… il faut d’abord se fixer les objectifs qui sont à quoi sert la politique pénale et quel est le rôle du système de preuves dans la politique pénale.


Et ces objectifs, ils vont être fixés par une loi ou est-ce que vous pensez qu’il faut d’abord…

CB : Les objectifs ils sont déjà fixés, ils sont fixés parce que nous avons des codes, que ces codes sont vivants et qu’ils sont appliqués tous les jours, qu’il y a une… j’allais dire les controverses dont vous parlez c’est le fonctionnement même des tribunaux la controverse, le principe des contradictoires et différents arguments, l’égalité des âmes même si un système est plus accusatoire et d’autres systèmes sont plus contradictoires. Mais la convergence des systèmes doit se faire autour d’un certain nombre de principes, auxquels j’ajoute l’individualisation de la peine, c’est ce qui se pratique tous les jours ; alors certes avec une jurisprudence qui n’est pas enfermée en dehors de la société ou dans une partie de la société plus proche des nuages des grands principes aussi sensibles au climat extérieur. Depuis ces trente dernières années, on voit le droit positif, c’est-à-dire l’évolution de la législation est devenue plus régressive au niveau des sanctions ou au niveau de la prévention. Par exemple pour la récidive, on constate que le juge, quoiqu’on puisse en penser, il est aussi devenu plus répressif puisqu’en 81 on était à 38 000, on était même moins de détenus, on est à plus de 65 000 aujourd’hui.


Donc vous avez dit qu’il faut passer au crible les techniques de neurosciences

CB : Il faut passer au crible comme on passe au crible… il faut d’abord se rappeler quels sont les choix de politique pénal et ses équilibres. Ensuite quel système de preuves on veut et quel rôle la science et l’expertise peut jouer dans ce système de preuves. Est-ce qu’on veut soit mettre à bas le système de preuves qu’il y a, soit l’améliorer en y intégrant une nouvelle technique ce que je crois possible ? Et dans ce cas-là il faut savoir à quoi elles sont utiles, si toutes ces utilités correspondent aux principes que l’on s’est fixés, c’est-à-dire s’il n’y en a qu’on doit pas rejeter parce que la preuve n’est pas loyale. La cour de cassation fera cela dit ( ?!?) pour, elle l’a dit pour le détecteur de mensonges mais elle l’a dit aussi – vous voyez c’est l’aspect plus subjectif qui peut concerner le psychiatre ou le psychologue - pour l’utilisation qu’avait fait un juge d’instruction du travail d’un profiler, d’un monsieur un peu psychologue, un peu comme M. Bauer, criminologue et psychologue qui va vous dire « tel crime c’est forcément une personnalité de ce type » donc on va rechercher dans tel environnement qu’on peut connaître les gens qui correspondent à ce type de personnalité et  votre coupable est là-dedans. Et le juge d’instruction avait procédé à des mises en examen sur la base de ce travail qui avait ciblé telle ou telle personne. Et la cour de cassation a cassé toute la procédure en disant que c’était déloyal, qu’on ne pouvait pas et que le juge ne  pouvait pas transmettre en plus ses pouvoirs à un profiler. Donc vous voyez que d’ores et déjà – je pourrais vous donner les éléments de jurisprudence – quelques petites questions, moins certes que dans les pays anglo-saxons, aux Etats-Unis, ont été quand même posées au juge français et que celui-ci y répond déjà : est-ce que c’est fiable ? est-ce que c’est intégrable au regard de la politique et des principes juridiques qui sont les nôtres ? Et tant qu’on en change pas, les principes c’est le droit positif qui, dans une dynamique avec les faits et les nouvelles techniques, détermine quelle est leur utilité sociale en raison de leur légitimité juridique. Y a tout un processus qui se fait… Le droit c’est pas quelque chose de mort, c’est quelque chose de vivant, qui se noue et qui se dénoue aussi par des controverses.


Et c’est le travail qui est en train d’être fait en ce moment-même ? Ce débat sur…

CB : Là c’est un débat extérieur, moi je vous parle du débat judiciaire. La justice fonctionne en permanence, que ce soit sur ces techniques-là… fonctionne en permanence sur le plan de la controverse. Ceci dit, par rapport à d’autres droits, ça peut être critiquable, l’expertise a une place à part dans la justice et dans la justice pénale puisque l’expert, contrairement au droit des Etats-Unis d’Amérique, n’est pas un témoin. C’est un auxiliaire de justice, ce qui lui fait parfois acquérir une crédibilité en raison du fait qu’il ait un auxiliaire de justice, qu’il est nommé par le juge lui-même et donc qui établit une relation particulière, c’est l’expert du juge. Effectivement dans les rapports qu’on peut avoir et notamment c’est ce qui a été critiqué vis-à-vis d’experts psychiatriques ou psychologiques, on finit en pratiquant des experts par savoir lequel, je ne dis pas le plus indulgent mais quelle est l’approche de l’expert par rapport à tel type de questions. Mais c’est aussi vrai des experts techniques, la relation est duale. Je dis souvent aux avocats - je fais des arrêts – que s’ils sont pas contents des arrêts, qu’ils se posent peut-être la question de savoir quelles questions ils ont posées. Donc ce que je veux dire par là, dans cette relation duale, les questions elles sont posées à l’expert par le juge, donc on a parfois – c’est comme s’il est question d’un sondage – on a parfois que les réponses aux questions que l’on pose. D’où effectivement on fait des trames, on essaie de – ça doit être aussi adapté à chaque cas – donc il y a une espèce de subjectivité de l’expertise, y compris des expertises techniques ; subjectivité au sens contextualité, parce qu’un expert en balistique qui aura travaillé dans telles conditions plutôt avec la police que dans d’autres conditions, il a une vision un peu différente que quelqu’un qui aurait été formé autrement et parce que c’est une relation duale dans un premier temps.

L’expert, c’est un dialogue avec le juge on le voit bien pour d’autres affaires : on a présenté hier les résultats de la deuxième expertise balistique pour l’attentat du président, contre l’avion du président Rwandais. Apparemment, j’en sais pas plus, comme vous j’écoute les radios, je lis mon journal, apparemment elle est diamétralement opposée à la première expertise. Donc vous voyez que la question de la fragilité de l’expertise se pose aussi par rapport à des expertises scientifiques. Et c’est là qu’est effectivement la grande difficulté de la justice aujourd’hui, pour des raisons aussi qui tiennent à des raisons de complexité technique. Vous prenez par exemple l’explosion de l’usine AZF à Toulouse. Il y a une complexité technique parce que aujourd’hui il y a souvent effectivement plusieurs types de questions qui se posent et pas seulement une seule discipline qui est concernée. Vous savez notre premier problème, je vous disais le dialogue entre le juge et l’expert, commence : qui-est ce que je vais désigner comme expert ? Alors … les Cour ont des listes d’experts avec des nomenclatures qui sont similaires c’est-à-dire les experts doivent être classés dans des catégories bien précises. Mais même avec ces catégories bien précises, euh… ça reste vaste et vous avez des gens avec des approches très différentes, et sur une explosion, en fonction que l’expert est spécialiste en gaz, en pétrole… Faut faire attention à qui on choisit. Et en plus, aujourd’hui ce type de problème met en cause une multitude de risques techniques qui ne relèvent pas tous de la même discipline et qui mettent en avant des contextes complètement différents. Avec le rayonnement humain. Quand vous avez des histoires d’explosion, c’est ce qu’ont conclu les premiers juges, hein dans AZF, dû à ce retrait de déchets qui avaient été laissés entassés qui avaient, je ne vais pas dire fermenté, enfin mais libéré des gaz et quand on les avait retirés d’une façon un peu trop brutale les choses ont explosées. Donc il y parfois des connaissances qui sont liées au faits, à la configuration des lieux, aux pratiques des gens qui travaillent sur les lieux, si on ne comprend pas ça, un expert qui n’est pas forcément sur les lieux, qui ne connaît pas le contexte, et parfois c’est difficile de le deviner quand tout a explosé, c’est très difficile à comprendre. On a aujourd’hui cette dimension de risque et complexité. Je vous invite tiens, Machin bidule, il a écrit un livre, Risque et complexité, qui est une approche pas essentiellement mais principalement scientifique, et qui pose pas mal de problèmes. 

Donc voilà ce que. Il faut qu’on ait à la fois une démarche, j’ai envie de dire scientifique, rationnelle, multiple, et en même temps qu’on ait une interrogation par rapport aux principes qui organisent le droit, le droit pénal et le droit de la preuve. Donc on a au moins un double, voire même un triple travail à faire, puisque qu’il y a aussi un travail social, au sens relationnel, pas au sens superficiel du terme, au sens profond, travailler la relation entre l’expert et le juge et de travailler aussi la relation entre le système judiciaire, l’expertise et la société.


Pardonnez mon ignorance sur les questions judiciaires, mais l’expert, il est convoqué par l’une des parties, mais c’est le juge qui le nomme ?

CB : En matière pénale, l’expert est l’expert du juge. C’est le juge qui décide de faire appel à lui, c’est le juge qui lui confie sa mission. Alors aujourd’hui les parties ne sont pas inactives dans le procès pénal, y compris dans sa phase d’instruction, et elles peuvent demander des actes. Ou elles peuvent lorsqu’un expert a été nommé, faire des observations à l’expert, dans la phase préalable, voir poser des questions supplémentaires si le juge l’accepte. Mais l’expert il est là, il est un auxiliaire de la justice et du juge dans sa recherche de la vérité. En matière civile c’est un peu différent, mais en matière pénale c’est ça. Et il y a des domaines dans lesquels l’expertise est obligatoire, ne sont obligatoires en matière criminelle, et se sont bien évidemment les expertises à caractère psychiatrique et psychologique afin de déterminer le profil individuel de la personne accusée. D’ailleurs elles ne sont obligatoires que vis-à-vis de l’accusé et non pas de la victime, même si on a tendance aussi à les faire à la victime.


Mais dans l’usage, le fait de faire appel à un expert, c’est très courant ou alors c’est cantonné à un certain type de procès, à des procès médiatiques…

CB : Alors il faut voir que la pratique des procès pénaux. On a trois types de juridiction selon la gravité des infractions qui sont proposés. Ce qu’on appelle la contravention, la contravention de la route, mais il n’y a pas que ça, elle existe en matière de police de l’environnement etc… C’est jusqu’à deux mois de prison et puis une certaine amende, ça c’est ce qu’on appelle le tribunal de police. C’est au même niveau que le tribunal d’instance puisque ce sont la plupart du temps des juges d’instance qui président ces juridictions. Sauf, effectivement lorsque l’on peut être dans des infractions qui sont de l’ordre d’un droit spécial, par exemple de l’environnement, il y a une certaine technicité où on conteste les procès-verbaux qui font cette fois appel à des techniciens policiers. C’est-à-dire ce n’est pas une expertise au sens judicaire du terme. Pour relever certaines infractions comme celle d’un taux de polluants de tant dans l’eau il y a des services, la répression des fraudes, l’agriculture, donc un certain nombre d’agents sont assermentés, ont des officiers de police judiciaire mais spécialisés qui font des analyses, et eux quand ils font des analyses ils peuvent l’écrire noir sur blanc cette analyse et ça devient procès-verbal  d’un domaine de police spécialisé, par exemple de l’environnement et matière d’environnement. Et donc quand ça arrive devant un tribunal de police quand vous voulez contester vous pouvez effectivement demander une expertise mais c’est quand même assez rare, par rapport aux millions d’infractions qui passent devant les tribunaux de police on ait recours, encore que en matière de code de la route quand il  y a des gens qui se font flasher photographier par les caméras, ils contestent et vous savez qu’on a mis en cause la fiabilité. Mais vous savez les juges de police qui ont 50, 60 affaires à l’audience ont pas le temps de nommer des experts donc ça passe souvent par un autre biais ; la fiabilité du matériel certains avocats ont attaqué la preuve qui était rapportée et aujourd’hui on est un peu plus rigoureux sur le matériel bien évidemment et sur ce qu’on doit rapporter sur le procès-verbal. En matière, étage du dessus, la correctionnelle, c’est-à-dire les délits, ça rassemble une telle diversité d’infractions mais il y en a quand même un certain nombre qui suppose pour être constatées une certaine technicité et là encore on peut se satisfaire des constatations de la police scientifique quand arrivent des gens, on le sait des chiens reniflent à la douane 3kg de cocaïne, on ne s’arrête pas là. On ne s’arrête pas à l’aveu, même si la personne qui dit « oui oui, j’ai bien 3kg de cocaïne » sinon ça va se terminer comme le sketch de Fernand Renaud, vous connaissez ? Donc on a tout analysé. Les services de police font une analyse avec des spectrogrammes et vous disent voilà ça c’est telle drogue, telle teneur… Alors évidemment, ça n’est pas au sens judiciaire une expertise parce que, et c’est ça ce qu’il faut retenir, l’expert il est indépendant et il exerce à titre personnel. Le fonctionnaire qui travaille dans l’un des 6 services de police scientifique il n’est pas forcément indépendant et ne travaille pas forcément de façon personnelle. Le chef de service peut lui dire « tiens Dupont, faites cette analyse, je la veux pour demain ». L’expert, c’est personnel. Un expert qui demanderait à son laborantin de lui faire l’expérience sans vérifier, et bien l’expertise elle est nulle.  Donc c’est une autre dimension. Mais dans ce type d’affaire on peut très bien imaginer, mais faudra convaincre le juge. Et c’est bien là la différence avec le système américain où c’est chaque partie qui apporte sa preuve. Donc si vous avez les moyens vous pouvez vous payer des experts qui coûtent plus cher parce que les techniques ont plus de poids que d’autres. Mais ce n’est pas le juge qui va vous proposer l’expertise sur les frais avancés de l’état. Parce que ça c’est le système français. Quand j’étais juge taxateur, c’est-à-dire on contrôle les frais d’expertise dans un tribunal comme Bobigny, c’est 200 000€ par semaine les frais d’expertise ! Et c’est aussi bien les écoutes téléphoniques que toute une diversité de choses. Donc il y en a de plus en plus mais les parties n’ont pas la liberté d’avoir recours à l’expertise, ça c’est le système français, qui  a évidemment, qui limite l’expertise aux affaires qui posent quand même problème. Vous savez l’expertise c’est un peu comme le brevet. C’est répondre à un problème technique. Il faut qu’il y ait une question technique et alors il y a une réponse technique. Quand le juge estime que bon, il y a peut-être un problème technique mais que la solution du litige ne dépend pas expressément de lui, bon il se passe de l’expertise. Il y a aussi une espèce de proportionnalité. Mais dans d’autres domaines, si vous avez évidemment le crash du concorde, AZF ou si demain il y a une centrale nucléaire qui explose il est évident que vous ne pouvez pas faire sans faire d’expertise. Et ce qui pose un problème aujourd’hui c’est qu’on a de plus en plus recours à l’expertise puisqu’il y a de nouveaux types de contentieux qui arrivent et qui donnent lieu à des poursuites pénales. Après, fin du 19è, fin du  20è on commençait seulement à se préoccuper des accidents du travail. Toute la problématique du risque collectif, du risque industriel, elle est qd même relativement récente. Même s’il y a déjà eu en matière médicale, le médiator ce n’est pas tout à fait nouveau, hier j’étais justement pas très loin, à l’académie de pharmacie dont je suis membre, et à l’académie on remettait son premier prix littéraire à un ouvrage qui s’appelle « Retrait du marché », et qui est un ouvrage d’un jeune écrivain, chez Gallimard et qui raconte, alors les gens disent « ah mais c’est l’histoire du Mediator ! » alors c’est écrit ça décrit la situation des années 50, un autre médicament qui a eu des effets, alors c’est vrai que a médecine a déjà eu des procès un peu médicaux de risque collectif mais la multiplicité du risque de technologie c’est quand même relativement récent. Il y a des ponts qui se sont écroulés. Mais alors ça c’est un questionnement, ça c’est un peu éloigné de la neuroscience mais bon c’est pour que vous compreniez un peu plus les problèmes de l’expertise aujourd’hui. Alors je ne sais pas si vous avez des questions. Je vous laisserai de toute façon, vous avez vu sur le site, le centre d’analyse stratégique, la conférence que j’ai donnée. Pour essayer d’ordonner un peu vos idées parce que là je vous ai laissé un peu dans le flou…

Donc je vous ai apporté trois textes. L’un qui est une étude de droit comparé, l’autre qui traite de responsabilité et dangerosité à l’heure des neurosciences et un article qui va être publié qui ne porte pas sur les neurosciences en soi mais sur le rapport entre la justice et l’expertise scientifique, mais qui montre bien les problèmes qu’on a aujourd’hui.


Si on fait appel à un expert, dans l’hypothèse où l’on pourrait faire appel à des experts de l’imagerie cérébrale, qu’est-ce que ça devient les preuves données par les experts ? C’est-à-dire que les données que l’on va obtenir sur le cerveau des gens qui sont en fait des données sensibles, on ne sait pas à quel point on va pouvoir utiliser ces données pour avoir des informations mais admettons que ces données soient une sorte de mine d’or à partir de laquelle on pourrait obtenir beaucoup d’informations sur les gens… ça peut intéresser les assurances, notamment… ça peut intéresser en soi plein de  gens.

CB : Ah oui oui oui. Ce qui appartient au dossier judiciaire reste dans les dossiers judiciaires. Donc c’est archivé judiciairement et accessible en fonction très tardivement, je crois que c’est près d’un siècle, de l’accès aux archives judiciaires. Il y a des dérogations qui sont données aux historiens et puis aussi on ne garde pas tous les dossiers donc il faudrait savoir, que soit apparent demain dans des dossiers qui vont être classés des dossiers dans lesquels il y aurait l’utilisation de tels types d’expertise notamment des expertises de neuroscientifiques il n’est pas possible de détecter ce type de dossiers de la façon dont les affaires sont classées. Elles sont classées par nature d’infraction, il y a un espèce de système qui permet d’interroger, nataf system, pour nature d’infraction, avec des mots clés, mais qui ne font pas ressortit des infractions dans lesquelles on a utilisé tel ou tel type de preuve. A posteriori ça relève du travail de recherche. Le problème serait dès lors qu’on établirait un fichier comme il en existe un, un fichier de preuves physiques. Alors vous pouvez faire deux types de fichiers, vous pouvez faire un fichier comme le casier judiciaire. Il en existe un pour les auteurs d’infraction sexuelle. Un fichier spécial. Vous pouvez imaginer de faire tous les fichiers… Euh… Encore que les fichiers de casier judiciaire ne sont que des fichiers d’infraction, là ça supposerai que toutes les personnes qui auraient fait l’examen de type neuroscientifique seraient dans une même catégorie d’infractions. C’est pas évident. En revanche, il y a des fichiers qui ne sont pas des fichiers d’infraction, qui ne sont pas des fichiers papier, qui sont des fichiers physiques. Ça c’est les fichiers des empreintes génétiques. On a des échantillons pris sur les lieux d’infraction pour déterminer des relations une fois que vous avez victime un témoin, qu’il soit coupable ou non et des gens dont la culpabilité est avérée et on conserve les empreintes génétiques pour pouvoir les comparer par rapport à d’autres échantillons de gens non identifiés trouvés sur les lieux d’un crime. Ce serait tout à fait possible d’avoir des fichiers de cerveaux ou de gens. Au lieu de prélever des empreintes digitales, des empreintes utilisables à des fins d’identification génétiques. On conserve telle ou telle du cerveau systématisée et à supposer qu’elles soient individualisable. Comme on peut imaginer de faire aussi des… une couronne dentaire. Faire une radio du haut et du bas de vos dents c’est utile pour votre dentiste quand il veut vous soigner mais c’est utile aussi pour vous identifier ! On peut imaginer que demain, voulant s’assurer d’une plus grande fiabilité des systèmes d’identification notamment  de délinquants, de personnes potentiellement dangereuses on cumule tout ce qui est lié, tout ce qui facilité l’identification. Mais ça fait partie des réflexions sur le basculement d’une société. Moi j’avais lu il y a 25 ans, vous savez, à propos de la génétique. On avait commencé à mettre en avant la thérapie génique après les tests de dépistage, en on ne parlait pas des autres finalités. En fait la thérapie génique a donné très peu de succès. On les compte sur les doigts de la main les succès de la thérapie génique. Les dépistages génétiques à des fins médicales il existe, mais il est difficile, parce quand on annonce tôt à quelqu’un qu’il a un diagnostic de Parkinson, à 40 ans… ça existe ! De même que quand on annonce à des futurs parents que leur enfant à venir sont porteurs ou risquent d’être porteurs de ce type d’anomalies ça pose des questions éthiques. En revanche, ce qui a fonctionné le plus c’est l’identification génétique, soit à des fins de police, soit à des fins d’identification d’un tiers familial. C’est ça qui a fonctionné le mieux. Donc c’est une forme de contrôle social, dans un cas comme dans l’autre. Et comme on le voit également, dans une société, un grand paradoxe : la grande Bretagne qui a refusé, qui refuse toujours la carte d’identité, est devenu une société où il y a, je ne sais plus, 4 millions de caméras. Cous avez vu que c’est utile, puisque quand il y a eu cet attentat il y a deux ans, à Londres au mois de juillet, dans les 24h, avec les caméras ils ont pu repérer. Bon la GB c’est la société la plus libérale, la démocratie la plus intransigeante, qui ne voulait pas de carte d’identité est devenue une des sociétés les plus policières : il y a des caméras partout. Ça été un peu plus tardif en France, mais on y vient, et ça fait partie des interrogations. Bon moi, je ne vais pas dire que je suis contre qu’on protège les gens, mais tout est un problème d’équilibre dans des choix. Dans une société il faut toujours faire des choix parce que vous avez l’argent qui est là ou bon. Mais vous êtes toujours conduit, parce que ne pas faire de choix c’est aussi en faire, et on n’avance pas quand on ne fait pas de choix, ou plutôt on fait le choix de poursuivre le choix des autres, c’est l’histoire des cuirassés. Ce sont ces gros bateaux, qui étaient de plus en plus grands, de plus en plus gros, de plus en plus épais, cette poursuite n’avait qu’un seul objectif : c’était de faire plus gros, plus épais que l’autre. Et finalement vous développez une marine qui ne se déplace plus, qui ne sert à rien, puisqu’on les coule sur place. Cette espèce de paradoxe : il faut parfois être minimaliste mais bien choisir, mais en voyant tous les écueils.


Aux états unis il y a des entreprises qui proposent ces services d’imagerie cérébrale, ce qui montre bien qu’il y a pas mal d’argent en jeu finalement, que ce soit au niveau des gens qui font les machines qu’au niveau des gens qui font l’intervention, en soi l’acte médical coute quelque chose.

CB : Partout. Pas qu’aux US, le marché est peut-être un peu plus libre aux US.


Est-ce que vous pensez que ça peut être un frein au développement de l’imagerie cérébrale en tant qu’outil judiciaire, le fait que les expertises soient onéreuses et payées par l’Etat ?

CB : Il y a des modes. Il y a eu l’écoute téléphonique, qu’on faisait pour tout et rien ! Alors moi j’avais fait remarquer effectivement que ça coutait très très cher. Alors vous savez que maintenant, depuis la loi de finance, qui révise les politiques là… on est passés d’un système de droits de justice qui était seulement évaluatif. C’est-à-dire les juges pouvaient seulement ordonner, comme des médecins prescrivaient, et le ministère devait payer. Maintenant on n’est plus du tout ça. On a des enveloppes fermées. Par exemple les grands réseaux téléphoniques à qui on s’adresse pour savoir à qui vous avez téléphoné et etc. Qui affichaient des prix quand même assez faramineux à chaque fois aujourd’hui il y a des marchés qui sont négociés. Donc il y a un coût. Il y a des évènements trop couteux. Ça existe aussi en matière médicale. On sait que l’on faisait beaucoup d’échographies avant la grossesse pour les femmes. Seulement c’était pas utile et on savait même que ça pouvait être dangereux. De même en France par exemple le cancer du pancréas est quelque chose qui est extrêmement pris en compte en termes de prévention, seulement en France on a beaucoup plus de faux positifs parce que le test n’est pas très performant. Et les faux positifs ç conduit à des ablations du pancréas et à des conséquences assez désagréables après dans la suite alors qu’il y a, on a calculé, je ne sais plus, on a 40 000 ou 60 000 faux positifs en France. Et 60 000 opérations qui ne servent à rien, mais non seulement ne servent à rien mais ont des conséquences psychologiquement et physiquement désagréables et qui déclenchent, bon… Mais c’est pas propre à la justice et à l’expertise. C’est propre aussi à certaines techniques. Ça n’est que dans les situations de, si j’ose dire un peu de pénurie qu’on est presque plus logique, plus rationnel. Je me souviens, la première fois que je suis allé à l’est, un médecin chef de service, vous savez, la médecine interne, ce sont des généralistes spécialisés dans les hôpitaux. Je lui ai posé, alors bon dans certains hôpitaux en Russie, ils étaient très bons sur le diagnostic. Même avec des appareils pas très bons du tout, mais excellents au diagnostic. D’autant meilleurs diagnostiqueurs que pour soigner il n’y avait pas grand-chose ! Bon. Mais dans d’autres pays, il y avait peu, bon, il y avait 4000 spécialités médicales, moi les médecins m’ont dit vous savez avec 400 spécialités, ça densifie ! Sur une famille de spécialité il y a 10 ou 15 produits qui diffèrent d’une demi-molécule ! Donc bon, la richesse est parfois une solution de facilité. En médecine, l’imagerie, faut aussi l’interpréter. C’est pas parce qu’on fait beaucoup d’imagerie qu’on interprète bien.  Donc c’est tout le problème des systèmes d’expertise. L’internet, c’est la même chose. Quand vous allez dedans, il y a tout. Le problème c’est comment vous trouvez dedans la petite aiguille qui vous intéresse. Et bien vous la trouvez parce que vous avez déjà vous quelque chose, une idée. Parce que votre cerveau est organisé et qu’en raison d’un certain nombre de choses vous pensez que ça va se trouver là et que les mots clé que vous utilisez… bon. Donc. Sinon moi j’ai vu des étudiants, sur des choses simples. La culture générale ça aide beaucoup. Quand on peut resituer ce que l’on peut demander, on arrive assez vite à trouver. Quand on sait pas situer on reste là des heures… Je vois ça tous les jours avec des étudiants. Donc ce qui se pose aux étudiants se pose aussi aux experts ! Parce qu’ils sont aussi, si j’ose dire, des étudiants de nouvelles techniques ! Il y a de l’empirisme ! Faut pas croire que parce que vous êtes grand patron du système de radiologie de l’hôpital ou juge à la cour d’appel qu’il n’y a pas de l’empirisme par rapport à de nouvelles techniques qui n’ont pas encore été pratiquées. A tort ou à raison. L’empirisme reste encore un mode de vérification, je ne dis pas le plus fiable, mais qui a encore une certaine utilité. Je ne dis pas qu’il faut seulement le pratiquer, mais ça a quand même du bon. Et donc on peut être tout aussi désemparé et dans ce cas-là si on n’a pas l’empirisme, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination et d’imagination, je vais dire rationnelle, c’est-à-dire avec des bases fortes et multiples. C’est-à-dire il faut savoir croiser ses connaissances multiples. Et ça aussi c’est un des problèmes de l’expertise par rapport au questionnement de la complexité et la technicité de l’analyse. C’est de croiser les choses. Et ici c’est ce qu’on vous apprend, non ?


Exactement, c’est ce qu’on essaye d’apprendre.

CB : Mais c’est ici qu’on analysait les petites ventouses du gecko ? Pour savoir comment on marche au plafond ! Il y a des gens qui sérieusement aujourd’hui essayent de trouver la cape qui rend invisible. Et c’est pas parce qu’ils ont vu Harry Potter. C’est parce qu’ils font un travail sur la réfraction de la lumière. Il y a des moments, je ne sais pas comment expliquer. Moi je me souviens, j’avais fait une terminale C, à l’époque ça s’appelait C, c’était scientifique. J'étais bon moyen, quoi. Dans les calculs basiques, disons. Et j’avais une prof de math, c’était une espèce de génie vous savez. X y deux, cosinus machin, ah bah là il y a une racine évidente, c’est cotangente pi/2 nananana. Et alors 6 fois treize, elle mettait ça au tableau, elle trouvait 68. Elle oubliait toujours la retenue. Mais finalement c’est pas important, parce que six fois treize n’importe qui peut le trouver. Mais avoir une espèce d’intuition qui finalement permet de mélanger des théories qui n’ont rien à voir ensemble, cette espèce d’intuition, la compréhension immédiate de l’évident, comme on disait, et bien c’est pas si évident que ça ! C’est important. Et que, ça on ne peut pas tous l’avoir. C’est pas parce qu’on a 40 ans de pratique qu’on peut avoir cette capacité d’intuition. Et je crois que ça c’est une exigence de plus en plus grande pour les scientifiques. Mais aussi pour tous les autres. Pour, comment on va appeler ça… Les juristes ne veulent se retrouver ni dans les sciences sociales ni dans les sciences humaines. Mais c’est aussi une capacité  de mobiliser pleinement sa discipline et de trouver des passerelles dans un dialogue, pas seulement un dialogue je vais dire académique ou qu’on ferait au coin du feu. Mais dans quelque chose pratique, effectivement pour répondre aux types de questions qui sont celles de la société, comme par exemple détecter la dangerosité d’une personne tout en faisant en sorte qu’on n’enferme pas 10% de la société… Mais il n’y a pas de réponse immédiate. En même temps dans il y a une mobilisation qui doit être très forte des uns et des autres et qui doit être consciente de la plasticité à comprendre l’autre. Et qu’on travaille mieux ensembles. Ça vous le trouverez sur le texte, je peux vous le donner si vous avez un ordi.


Là non

CB : Je vous l’enverrai par mail. Comme d’habitude j’ai été un peu long…


Non mais c’est très bien ! Je peux vous poser une petite question ? En fait quand on a utilisé la question, on est souvent retombé sur l’idée de la plasticité du cerveau, comme quoi il évoluait constamment. Surtout quand on a moins de 20 ans. Est-ce que ce serait possible de faire une loi qui ne soit pas que pour les mineurs ou les majeurs, mais de faire une autre distinction d’âge. Est-ce qu’on pourrait dire « les moins de 21 ans on ne peut pas leur appliquer un certain type d’expertise, mais les autres si. », faire une différence autre que mineur/majeur ?

CB : Parce que vous estimez que les conclusions ne peuvent pas être définitives ?


Parce que le cerveau évolue beaucoup trop.

CB : Oui oui, mais ça… C’est se méfier des experts que de dire qu’on ne peut pas faire une expertise sur les gens qui sont plus vulnérables parce que l’expert ne serait pas capable d’exprimer… Non je crois qu’il faut faire confiance aux experts, dans la mesure où l’expert n’est pas borné par des mesures qu’il a apprises et qu’il veut plaquer… Il a bien entendu cette notion de vulnérabilité qui a fait, cette notion d’évolution du cerveau chez les mineurs, la cour suprême des USA, dans une affaire justement… Là c’est vraiment l’aspect, aux Etats unis, dans des notions hors d’un cas individuel, qui a conduit à la suppression de la peine de mort pour les mineurs, par la cour suprême. C’est dû aux neurosciences parce que l’argument visualisation de cette plasticité du cerveau d’un mineur qui n’est pas encore formé, d’un jugement qui n’est pas encore mature au sens pénal du terme a fini par être retenu dans cette affaire-là par la cour suprême des Etats Unis. La loi existe, mais elle a été supprimée. Dans l’étude que je vous remettrai vous le verrez. Ça a été une bataille. C’est un argument qui existe aussi côté français, ou européen, et qui a servi effectivement à abolir la peine de mort chez nous. Vous savez la dernière peine de mort, j’étais juge d’instruction dans la juridiction qui a prononcé les deux dernières peines de mort. A la fois pour les mineurs et pour les majeurs. Et les deux n’ont pas été exécutés. Pour le mineur parce que l’on a ratifié la convention sur les droits de l’enfant, qui interdit la peine de mort. Et l’autre parce que finalement après un autre procès il a été déclaré fous. Alors… ça simplifie. C’était d’autant plus une grande douleur que lui c’était, vous savez, le tueur de l’Oise. Il avait tué le long de la voie de chemin de fer entre Creil et Chantilly il avait tué une quinzaine de jeunes femmes. Ce qui a paru d’autant plus choquant, c’était que c’était un gendarme, et un gendarme qui faisait l’enquête. Ce qui a beaucoup choqué les gendarmes, bon alors un gendarme ça peut arriver, mais alors qu’on l’ait déclaré fou alors qu’il était dans le système, il était gendarme. Voilà pour les bilans, alors oui, c’est un argument extrêmement pertinent. Dernière chose peut être importante, différence avec le système américain, nous avons l’oralité, et surtout en matière criminelle où ces expertises ont une certaine importance, nous avons un principe, c’est l’oralité des débats. Si vous allez devant les tribunaux correctionnels, alors je sais bien qu’il y a quelques assesseurs citoyens, mais vous avez des jurés qui ont des dossiers, chacun l’apporte et tout est dans le dossier. A la cour d’assises tout est oral. Alors certes il y a un dossier mais alors seul le président l’a vu l’a lu et le connaît. Et en principe il n’utilise pas le dossier à l’audience. Ce qui veut dire que quand un expert vient : le médecin légiste qui a fait l’autopsie, l’expert de balistique, l’expert psychiatre, bon, il ne doit pas lire. Certes ils ont quelques fois de notes, griffonnées, mais ceux qui ont l’habitude, bon, il ne vient pas lire. Evidemment ils relisent tout le dossier la veille mais ils présentent absolument sans notes. Ce qui ne veut pas dire que c’est interdit, quand il y a une photo, quand ça a un intérêt, le président la montre quand elle est au dossier, mais je n’ai jamais vu qu’on ait montré un élément d’ordre médical. Pas de radio… ça ne veut pas dire que c’est impossible, dans tous les cas il faudrait que ça dure une minute. Parce que je vois mal, au moins pour la cour d’assises ça impliquerait qu’on change quelque chose dans le procès d’assises qui est complètement oral. Quelque chose qui expliquerait que l’on ait à examiner des documents médicaux, si c’était trop long ça contreviendrait au principe de l’oralité. Et si on ne le change pas ça veut dire que vous pouvez obtenir la cassation. De même quand vous allez délibérer en cour d’assises… ça ne vous est jamais arrivé ? Donc bon le président ordonne que le dossier reste à l’extérieur de la salle de délibéré. Vous pouvez pas dire « ah je ne me souviens pas bien, est-ce que je peux relire… » non non non, il n’y a rien du tout ! Il n’y a plus de photos, il n’y a rien du tout. C’est parce qu’en correctionnelle, mais aux assises c’est l’oralité des débats. Là si ça jouait un trop grand rôle on peut se demander si c’est vraiment compatible avec la notion d’oralité des débats. Et donc quand c’est pas compatible, qu’est ce qu’elle fait la cour de cassation ? Elle annule ! S’il apparaissait, parce que maintenant ça doit être motivé les décisions de cour d’assise, que le dossier est resté à l’intérieur de la salle de délibéré, même si on ne l’a pas regardé, la cour de cassation annulerait toute la décision. C’est un principe d’oralité. C’est lié à notre procédure orale. Elle nous est un peu enviée, c’est une procédure démocratique. Parce qu’il y a des pays, comme mon expérience du Mexique, il n’y a pas d’oralité des débats, il n’y a même pas d’audience ! Les juges reçoivent le délit demain, vous êtes visés. Et paf ! Il y a une petite affiche à l’entrée du tribunal, vous êtes condamné à 60 ans de prison. Vous n’êtes jamais passé devant le juge, le procureur ne vient même pas à l’audience… Il y a des pays où il n’y a même pas d’oralité des débats ! Donc pour qu’ils vous écoutent il faut qu’ils vous lisent. Donc voilà. C’est pas parce que je parle lentement que vous n’avez pas à poser vos questions !


Ça va, c’est très bien merci !

CB : Donc voilà les documents, je vais vous les envoyer par email…