Cliquer sur les liens pour avoir plus d'informations
Motivations |
Que sont les QIT? |
Des résultats mitigés |
L’impact écologique des QIT |
L’impact socio-économique des QIT |
(1) CINDY CHU, Thirty years later: the global growth of ITQs and their influence on stock status in marine fisheries, article paru dans Fish and Fisheries, 2009, numéro 10, pp. 217 à 230
(2) Ecole des sciences aquatiques et de la pêche de l'université de Washington, How do individual transferable quotas affect marine ecosystems?, paru dans Fish and Fisheries, 2009, numéro 10, pp. 39 à 57
(3) VERONIQUE MOYSAN, Les Quotas Individuels transférables, 1997, disponible sur le site internet de l’université de Nantes (consulté le 07/11/2011)
(4) EINAR EYTHORSSON, A decade of ITQ-management in Icelandic fisheries: consolidation without consensus , article paru dans Marine Policy, 2000, numéro 24, pp 483 à 492
(5) KARL BENEDIKTSSON et ANNA KARLSDOTTIR, Iceland: crisis and regional development- Thanks for all the fish?, paru dans European Urban and Regional Studies, 2011, numéro 10, pp 228 à 235
(6) CATHERINE MAGUEUR, Pêche. Les marins, grands oubliés de la réforme, article paru dans Le Télégramme, numéro du 21 juillet 2001
MARK T. GIBBS, Lesser-known consequences of managing marine fisheries using individual transferable quotas, article paru dans Marine Policy, numéro 31, 2007, pp 112 à 116
ANDRES GOMEZ-LOBO, JULIO PENA-TORES et PATRICIO BARRIA, ITQ’s in Chile: Measuring the Economic Benefits of Reform, paru sur le site de Econ Papers le 9 octobre 2010
SYLVIA BRANDT, The equity debate: distributional impacts of individual transferable quotas, article paru dans Ocean and Coastal Management, numéro 48, 2005, pp 15 à 30
PCP : Politique Commune de la Pêche. Politique commune aux états membres de l'Union Européenne visant à gérer l'ensemble de l'effort de pêche communautaire.
Course aux poissons: appelée en anglais "Olympic Fishing". Ce terme traduit la course entre pêcheurs une fois que le TAC a été fixé au niveau national pour pêcher le plus vite et le plus de poissons possible avant l'épuisement du dit TAC.
Zone Economique Exclusive: D'après le droit de la mer, une zone économique exclusive (ZEE) est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la limite extérieure de la mer territoriale de l'État jusqu'à 200 milles marins de ses côtes au maximum.
Zone Economique Exclusive: D'après le droit de la mer, une zone économique exclusive (ZEE) est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Elle s'étend à partir de la limite extérieure de la mer territoriale de l'État jusqu'à 200 milles marins de ses côtes au maximum.
Verticalement intégrées: Entreprises dont les activités concernent diverses étapes successives de la pêche et de la transformation du poisson. Par exemple, elles peuvent à la fois pêcher le poisson, le congeler, le conditionner, le distribuer...
Effort de pêche: Ensemble des moyens de capture mis en œuvre par la flotte engagée dans la pêche d'une espèce particulière pendant une période donnée et dans une zone déterminée. Cet effort dépend du volume de la flotte, des caractéristiques des navires qui la constituent, des méthodes de pêche qu'ils pratiquent...
Rejet: Beaucoup de pêcheurs rejettent à l’eau des poissons quand ils estiment ne pas pouvoir les vendre à un prix raisonnable. Au lieu de les ramener au port et de les déduire du TAC total, ils s’en débarassent pour ne remplir le TAC qu’avec des poissons “rentables”.
Les poissons rejetés meurent peu après leur rejet en mer, quand ils ne sont pas déjà morts sur le bateau de pêche.
Rendement Maximum Durable (RMD): La plus grande quantité de biomasse que l’on peut extraire en moyenne et à long terme d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction.
Les QIT désignent les Quotas Individuels Transférables.
Dans un système de QIT, chaque bateau de pêche se voit allouer un pourcentage fixe du TAC national (dont le niveau est variable d'une année sur l'autre). Ces pourcentages sont calculés en fonction de l'historique de pêche des navires sur les trois années précédant l'instauration des QIT. Le QIT est donc un droit de pêcher une certaine partie de la ressource sur l'année. Il est accordé au navire pour une durée illimitée.
Tout pêcheur possède la possibilité de vendre son quota, ou une partie seulement, d'en acheter à d'autres pêcheurs, d'en échanger... sans restriction. Ceci permet une grande flexibilité. Se crée donc un marché des quotas.
Les pêcheurs ne se sentent souvent pas directement concernés par l'avenir des ressources, ne se rendant pas bien compte que leur avenir en dépend directement. Grâce aux QIT, objets de cette partie, les pêcheurs pourraient être davantage responsabilisés et donc davantage respectueux des ressources.
Dans les pays qui les ont adoptés, les QIT ont été le fruit de l’expérience de la pêche. Ils ne sont apparus qu’après de longs tâtonnements, de nombreuses recherches de moyens efficaces pour lutter contre la baisse des populations de poissons et qui se sont finalement révélés infructueux. Mais aujourd’hui encore, la question de leur efficacité subsiste. Les résultats mitigés des QIT ne font qu’alimenter la controverse autour d’eux. Tandis que certains se demandent si les QIT ne sont pas qu’un simple moyen infructueux parmi tous les autres avant lui, d’autres se refusent à les voir s’appliquer chez eux…
Aujourd’hui les QIT servent à réglementer la pêche de nombreuses espèces dans les ZEE de nombreux pays. Le tableau 1(1) recense ces pays, l’année où ils ont commencé à instaurer un système de QIT, ainsi que le nombre d’espèces réglementées par les QIT dans ces pays aujourd’hui. Le graphique 2(1) permet, quant à lui, de visualiser la progression du nombre de pays ayant adopté les QIT au cours du temps.
Le nombre de pays optant pour les QIT progresse régulièrement et de plus en plus d’espèces sont concernées. D’autre part, les pays ayant adopté les QIT les premiers, en les appliquant tout d’abord à quelques espèces, les ont aujourd’hui étendus à plusieurs dizaines: le Canada à une cinquantaine, l’Islande et l’Australie à une vingtaine, la Nouvelle-Zélande à une centaine… Tous ces chiffres semblent insinuer que les QIT sont une solution efficace à la sauvegarde des stocks et à la gestion de la pêche.
Néanmoins, il convient d’être prudent. En effet, de nombreux pays sont encore assez réticents à utiliser des QIT pour leur pêche, et même dans les pays les utilisant, il n’y a pas de consensus fort dans la population. Ainsi, des sondages d’opinion réalisés en Islande –l’un des premiers pays à avoir adopté les QIT- ont montré que, pour la majorité, les Islandais sont soit sceptiques soit opposés aux QIT. Il ne faut donc pas tant voir les chiffres du tableau 1 et du graphique 2 comme le signe du succès des QIT que comme le signe de l’insuffisance des TAC qui pousse les pays à trouver d’autres solutions, dont celle des QIT, avec ses inconvénients. Quant au scepticisme des Islandais, il est tout à fait justifié par les résultats qu’ont pu donner les QIT dans tous les pays qui ont décidé de les adopter.
Les résultats obtenus après la mise en place des QIT sont très variables d’un pays et d’une espèce à l’autre. En règle générale, les QIT permettent d’améliorer les niveaux des stocks.
C’est le cas des espèces du tableau 3(1) qui ont vu leur biomasse augmenter ou se stabiliser après la mise en place de QIT. Pour le hareng du Canada et la sole des Pays-Bas, les QIT ont permis d’inverser la tendance: ces stocks qui étaient en plein déclin sont en phase de régénérescence.
Mais, dans d’autres cas plus inquiétants, les QIT ne permettent pas d’empêcher la baisse des populations. Au contraire, la mise en place des QIT accélère l’amenuisement du stock. C’est le cas des espèces du tableau 4(1) dont la biomasse a fortement diminué après la mise en place des QIT. Ce sont surtout les cas du flétan du Groenland, de la truie des Pays-Bas et du turbot du Canada qui sont les plus inquiétants. Dans ces trois cas, les populations étaient en pleine croissance, puis se sont mises à diminuer avec la venue des QIT. Les QIT ne se sont donc pas seulement montrés inutiles mais nocifs et dangereux pour ces stocks…
Et l’on trouve aussi des espèces dont le taux de variation de la biomasse reste inchangé après les QIT, d’autres dont le taux était négatif voient leur taux augmenter mais rester négatif… Cette grande variété de résultats ne semble pas permettre de tirer des conclusions générales sur l’efficacité des QIT. Néanmoins, même si les résultats du tableau 4 sont inquiétants, ce ne sont que des exemples parmi de très nombreuses espèces qui, en moyenne, réagissent plutôt bien aux QIT.
Les résultats inquiétants du tableau 4 ne sont pas forcément imputables à la mise en place de QIT. Pour qu’un tel système fonctionne, il faut l’accompagner d’une série de mesures de contrôle afin de s’assurer que le TAC fixé n’est pas dépassé ; et il faut aussi avoir fixé le TAC à un niveau raisonnable. En général, les résultats catastrophiques de dépeuplement sont dus à une surestimation du TAC liée à de mauvaises estimations scientifiques de la biomasse d’une espèce. Enfin, il est très difficile de prendre en compte tous les paramètres d’un écosystème pour identifier de façon certaine les causes de la baisse d’un stock: cela peut être dû au changement des conditions climatiques, à la raréfaction d’une de ses proies… Il est donc hâtif de conclure que la mise en place de QIT a mené à la baisse du niveau des stocks des espèces du tableau 4.
Dans la plupart des travaux liés aux QIT, les résultats, bien que mitigés, sont en moyenne assez positifs. Ainsi, dans un numéro du journal scientifique lié à la pêche Fish and Fisheries(2), les scientifiques ayant mené une analyse des QIT au niveau mondial ont choisi de conclure avec ces mots: “Bien qu’il faudrait une approche très rigoureuse pour analyser entièrement l’impact des QIT sur les populations de poisson, ce qui ressort de nos études est clair: la plupart des stocks ont pu voir leur sort s’améliorer après l’instauration des QIT” avant de rajouter prudemment “mais cette tendance n’est pas assurée: certains stocks se sont effondrés malgré les QIT.”
Ces constantes réserves et ces résultats mitigés alimentent la controverse liée aux QIT. Tous les jugent sur deux points importants: leur impact écologique, qui semble en moyenne positif, ainsi que leur très controversé impact socio-économique.
Les QIT ont généralement un impact écologique très positif sur les espèces qu’ils protègent, grâce notamment à la responsabilisation des pêcheurs, la fin de la course aux poissons et la réduction de la flotte. En revanche, les espèces non protégées par des QIT, mais seulement par des TAC, ou bien encore les espèces hors quota ne connaissent pas toujours le même sort heureux.
Grâce aux QIT, chaque pêcheur se voit allouer une certaine part du TAC national. Il bénéficie ainsi en quelque sorte d’un droit de propriété sur une partie de la ressource qu’il a le droit de pêcher sur une année. On comprend bien la différence avec un système où le TAC est fixé nationalement, ou au niveau d’organisations de pêcheurs, qui se livrent ensuite à une lutte acharnée en mer pour pêcher le plus vite le plus de poissons possible. Cette course aux poissons, redoutable pour les ressources halieutiques, est donc largement résolue par la mise en place des QIT, comme l’indique Véronique Moysan dans son étude des QIT(3): “Pour éviter la perpétuelle « course » aux poissons et ce régime de compétition ouverte, il faudrait assurer au pêcheur une certaine quantité de ressources. Ceci ne semble possible, que si ce dernier en est le propriétaire exclusif.”
Les pêcheurs peuvent désormais mieux s’organiser grâce à leur nouveau droit inaliénable: ils organisent leur emploi du temps sur l’année, choisissent judicieusement leurs sorties en mer, peuvent vendre une partie de leurs quotas s’ils le jugent pertinent ou encore en acheter à d’autres… Ce système flexible garantit la tranquillité d’esprit des pêcheurs et la fin du mode ultra-compétitif, baissant ainsi le niveau de pression sur les stocks.
Grâce à la transférabilité des quotas individuels, les pêcheurs les moins performants choisissent souvent de vendre leur quota de pêche à d’autres, choix motivé par son avantage financier. On assiste ainsi souvent à une forte réduction de la flotte pratiquant la pêche sur l’espèce en question. Ainsi, au Chili, la flotte est passée de 107 à 65 bateaux dans l’année suivant l’instauration des QIT et a continué de baisser régulièrement par la suite (voir tableau 5).
Mais la baisse du nombre de bateaux n’est pas tant un avantage pour les ressources halieutiques que pour les gouvernements. En effet, baisse de la flotte ne s’accompagne pas forcément d’une baisse de l’effort de pêche, seul paramètre ressenti par les poissons. En général, après la mise en place de QIT, l’effort sur l’espèce concernée reste constant ou baisse légèrement. En revanche, les contrôles mis en place pour assurer le respect des TAC par le gouvernement sont d’autant plus simples que le volume de la flotte est faible. Ainsi, indirectement, cette réduction de la flotte participe aussi à l’amélioration du bien-être des stocks grâce à un contrôle plus efficace.
Se voyant accorder un droit exclusif de pêche sur une partie des ressources, les pêcheurs se sentent directement concernés et responsables de leur sauvegarde. Leur but est de faire « fructifier » les ressources afin de tirer le plus grand profit possible de leur propriété. Cette logique purement mercantiliste rend les pêcheurs soucieux de l’avenir des poissons. Ainsi, après l’établissement de QIT, ils investissent dans des méthodes de pêche plus efficaces et sélectives, afin d’améliorer leur rendement et de pêcher à moindre coût. Ces nouvelles méthodes permettent de cibler un certain calibre de poisson, correspondant à celui qui se vend le plus cher. Les petits poissons, plus bon marché, sont épargnés, ce qui contribue à une baisse drastique des rejets.
Toujours dans cette optique de fructification de leur bien, les pêcheurs ont conscience qu’il est dans leur intérêt de respecter les TAC. En effet, un simple calcul permet de montrer que, pour la majorité des espèces, le profit réalisé par le propriétaire du QIT est maximal si la population de poissons est plus nombreuse qu’elle ne l’est au Rendement Maximum Durable (RMD) et les prises inférieures à celles correspondant à ce rendement.(2) Ainsi, non seulement les pêcheurs respectent-ils bien mieux le niveau de TAC fixé mais ils pêchent souvent en dessous de ce niveau de capture autorisé, comme l’illustre le graphique 6(2).
Certains pêcheurs vont même jusqu’à demander des réductions des niveaux de TAC (voir tableau 7(4)). Ces mesures conduisent bien souvent à une reconstitution des stocks et donc aussi à un bénefice indéniable pour les pêcheurs sur le long terme.
Dans cette même optique, les pêcheurs, soucieux de préserver les ressources, financent souvent eux-mêmes des mesures de contrôle de la pêche en mer et luttent ainsi activement contre la pêche illégale, les dépassements de quotas qu’ils voient – à juste titre – comme une privation de leur bien, et les rejets de poissons. Enfin, ils financent aussi souvent des campagnes scientifiques afin d’obtenir des données sur les niveaux des stocks et leur évolution pour évaluer au mieux le niveau auquel le TAC doit être fixé pour atteindre le RMD.
Les QIT, par leur nature-même, permettent donc de transformer les pêcheries et les mentalités des pêcheurs qui deviennent davantage soucieux des stocks. Néanmoins, ces résultats positifs ne peuvent se faire sentir que sous certaines conditions indispensables:
Quand ces conditions sont respectées, les espèces sous QIT sont protégées et leur population augmente. En revanche, quand une de ces conditions manque à l’appel, les QIT ne suffisent pas à sauvegarder le stock et on peut assister à un déclin des populations, comme c’est le cas des espèces du tableau 4.
Si les espèces sous QIT sont en général bien protégées, il n’en est pas toujours de même pour celles hors quota ou sous TAC mais hors QIT. Sur celles-ci s'exercent souvent des pressions de deux types:
De nombreux navires qui étaient auparavant engagés dans la pêche d’une espèce donnée peuvent se reconvertir dans la pêche d’une autre avec l’arrivée des QIT: ils vendent à d’autres leur QIT et s’en vont pêcher une autre espèce qui leur paraît plus rentable. La pression sur les espèces hors QIT se fait alors croissante et ces stocks sont encore plus en danger.
Pour éviter le déclin de ces espèces, certains pays ont décidé d’appliquer des QIT à toutes ou presque toutes les espèces pêchées dans leurs eaux. C’est ce qu’a décidé de faire en particulier la Nouvelle-Zélande, faisant passer son nombre d’espèces sous QIT progressivement d’une vingtaine dans les années 80 à une centaine de nos jours.
Les QIT sont des pourcentages du TAC alloués par navire en fonction de son historique de pêche. Avant qu’une espèce ne passe sous QIT, la pression exercée par les pêcheurs augmente afin qu’ils décrochent la plus grande part possible du TAC. C’est ainsi qu’on explique qu’en Islande, le nombre de bateaux de pêche au hareng soit passé de 65 en 1975 à 200 en 1980, année d’établissement des QIT, avant de redescendre jusqu’à 30 en 1993(2).
Une méthode simple de lutter contre cette hausse temporaire et dangereuse de l’effort de pêche serait d’allouer les QIT en fonction des niveaux de capture non pas juste avant leur mise en place mais sur une période ultérieure, bien que relativement proche pour être assez représentative de la réalité.
Si les QIT offrent un avantage écologique indéniable, ils creusent les inégalités entre pêcheurs et peuvent avoir des conséquences désastreuses sur les communautés liées à la pêche artisanale. Ce sont ces effets qui alimentent la controverse et qui créent une levée de boucliers des pêcheurs et des ONG à chaque fois qu’est prononcé le mot « QIT ».
Les QIT étant alloués en fonction de l’historique de pêche des différents navires, il existe d’entrée de jeu une inégalité entre les pêcheurs qui n’obtiennent pas le même droit d’exploitation des ressources. Mais cette inégalité est encore justifiable: elle reflète simplement l’inégalité de la capacité de pêche des navires entre eux. Si les inégalités s’arrêtaient là, il n’y aurait pas tant de polémique autour de la question des QIT.
Le problème vient du fait que les inégalités se creusent encore davantage avec le temps. En effet, les QIT étant transférables, se forme un véritable marché des QIT avec un prix de vente fixé par l’offre et la demande. Les entreprises les plus viables économiquement sont celles pouvant offrir le prix d’achat le plus intéressant sur le marché. On assiste donc à un progressif transfert des QIT des mains des petits pêcheurs vers les plus gros, qui leur offrent les prix les plus avantageux. Ainsi, les grosses industries de pêche, verticalement intégrées, amassent les QIT et laissent progressivement derrière elles les petits pêcheurs indépendants.
Ainsi, en Islande, les 22 plus grandes entreprises de l’industrie de la pêche possédaient près de 50% des QIT en 1994, contre 25,5% en 1991. De plus, en 1998, les cinq plus gros propriétaires de QIT avaient en leur possession 25% du TAC total, tandis que les 20 plus gros en possédaient 56,6%(5).
Une solution a été adoptée par l’Islande pour endiguer cette concentration progressive du droit à pêcher dans les mains des plus gros. Il s’agit de la limitation de la part du TAC qu’un propriétaire a le droit de posséder. Elle a été fixée à 10% du TAC total pour le cabillaud et à 20% pour le flétan.
D’autres pays réglementent également la transférabilité des QIT: elle n’est autorisée qu’entre navires de même catégorie (de même taille souvent) ou appartenant à la même communauté de pêche. C’est en particulier le cas de la Norvège.
Avec la vente de QIT, ce n’est pas seulement le petit pêcheur qui a perdu son droit de pêche qui est touché. C’est aussi toute la communauté à laquelle il appartient et qui est fondée sur la pêche et la transformation des poissons qui en subit les conséquences. Ainsi, beaucoup de petites communautés dont l’activité repose sur les petits pêcheurs parmi eux sont en pleine perte de vitesse après l’instauration de QIT.
Même celles dépendant de gros pêcheurs ayant gardé leurs QIT sont souvent touchées. En effet, les pêcheurs trouvent plus rentables d’investir dans de gros navires leur permettant de transformer le poisson en mer. Par exemple, tout le processus de congélation des poissons se trouve bien souvent confisqué aux communautés de pêche. Ainsi, en Islande, 428 entreprises liées à la pêche ont fermé et 60% des emplois liés à la pêche ont disparu entre 2003 et 2007.(5)
Avec un droit de propriété individuel sur les ressources halieutiques, la pêche telle que nous la connaissons aujourd’hui connaîtra elle aussi un important bouleversement si la Commission Européenne décide d’adopter les QIT. Tout d’abord, la flotte changera beaucoup: le nombre de navires baissera mais surtout à cause de la fin de la pêche des petits pêcheurs. Le nombre de gros navires performants augmentera. C’est ce que redoutent principalement les ONG: cette capitalisation du droit de pêche mènerait à la fin de la pêche artisanale et à l’industrialisation de la pêche.
Les pêcheurs, quant à eux, anticipent la fin des organisations de pêcheurs (OP) et la mise en place d’un système « chacun pour soi ». Ainsi André Le Berre, président du Comité régional des Pêches de Bretagne exprime-t-il son avis: « Le QIT, c'est la fin de la pêche. C'est la fin des OP. Chacun pourra faire sa petite gestion dans son coin, sans passer par les OP».(6)
Si les conséquences socio-économiques s’avèrent désastreuses pour les petits pêcheurs et surtout pour les petites communautés de pêche dont l’activité dépend intégralement de la pêche, il n’en est pas de même pour les plus grosses entreprises qui possèdent une grande partie des QIT. Ces entreprises restantes bénéficient d’une augmentation de leur droit de pêche, font donc plus de profits, qui leur permettent d’investir dans des méthodes de pêche encore plus performantes et d’accroître encore leurs bénéfices en pêchant à moindre coût.
Les conséquences socio-économiques des QIT citées précédemment expliquent la polémique, et notamment celle autour du « T », car elles proviennent toutes finalement de la transférabilité des quotas.
La nouvelle PCP envisage l’introduction des QIT, réforme que les industriels liés à la pêche supportent pleinement tandis que s’y opposent les petits pêcheurs artisanaux et les ONG. Ceux-ci regrettent la future déshumanisation de la pêche et le fait que les aspirations des pêcheurs et le bien-être des communautés liées à la pêche passent après le bien-être des poissons et les considérations écologiques. C’est pourquoi s’indigne Pierre-Georges Dachicourt, le Président du Comité National des Pêches Maritimes (CNPM) au sujet de la nouvelle réforme de la PCP: « Il n'y a rien sur les hommes, rien sur le social! Tout est mis sur l'environnement.» (6)
Pour en savoir plus sur la nouvelle réforme de la PCP