Pour maintenir l’intérêt du public, faut-il faire du sport un spectacle où tout est permis pour créer l’engouement médiatique ?
Pour maintenir l’intérêt de millions de passionnés pour un sport, il faut que le match en lui-même offre également du spectacle. Il faut que les joueurs soient au sommet de leur forme, physiquement et techniquement, et ce en permanence. C’est ce que montre Lionel Maltese, Maître de Conférences à l’Université d’Aix-Marseille III, dans sa conférence « Management des ressources et des compétences des clubs et événements sportifs professionnels » Il y explique que l’organisation d’une rencontre sportive est désormais comparable à la préparation d’une émission de télévision : tout doit être programmé pour séduire !1. L’équipe qui décroche les meilleures redevances audiovisuelles est la plus spectaculaire. L’athlète qui a le sponsor le plus lucratif est celui qui impressionne constamment. Un passage à vide, une blessure, et c’est peut-être la fin d’une carrière. A travers cette exigence de spectacle, on voit donc une nouvelle fois surgir la tentation du dopage pour le sportif professionnel. C’est en effet un moyen de décupler ses capacités physiques ou mentales, mais également de récupérer, c’est-à-dire de durer.
L’ex-directeur médical du CIO, Patrick Schamasch fait remarquer à juste titre, que de nos jours, les spectateurs sont peu ou pas intéressés par un 100m en lui-même. Ce qui importe, c’est le chrono. Il est fréquent de voir des gens sortir déçus d’un meeting d’athlétisme parce qu’aucun record n’a été battu.2 Le souci de plaire au grand public ou aux sponsors pousse les athlètes à être de plus en plus performants. Qu’y a-t-il de mieux pour captiver le public qu’un record du monde ? Une telle performance fait vivre aux téléspectateurs un moment historique ! Les supporters dans le stade en ont alors pour leur argent. Mais battre un record n’est pas donné à tout le monde : il faut tout simplement être le meilleur depuis la création de son sport. Les athlètes prennent rapidement conscience que leur corps a des limites. Mais le public n’aime pas les limites. Les sportifs ont alors recours au dopage. Et le public aime ça … Rien ne vaut une lutte acharnée entre deux athlètes pulvérisant tous les records.
Dans un article pour ABC Madrid, le journaliste Gabriel Albiac constate : “Le recours de la chimie est indispensable pour se plier aux exigences d’un spectacle qui doit toujours tenir le spectateur en haleine”. Et le spectateur ne s’en plaint pas tant qu’il ignore que les athlètes pour qui il vibre, sont dopés ! Pourquoi se plaindrait-il d’un spectacle aussi passionnant. Tant qu’il ne sait rien, tout va bien. C’est ce qui pousse le journaliste à dire : “La vraie compétition, la plus fascinante, c’est le match entre fabriquant de dopants efficaces et ceux qui conçoivent des tests pour les déceler”.3 Si on revient sur l’affaire Armstrong, tous les sportifs ont été captivés par la lutte entre le cycliste et l’agence mondiale antidopage. Allait-il montrer qu’il était innocent ou plonger ? Il n’y a qu’à voir la mise en scène qui a entouré l’émission au cours de laquelle le Texan est passé aux aveux pour comprendre l’intérêt du public pour cette affaire. Pour Jean François Toussaint, ancien athlète de haut niveau et professeur de physiologie à l’université Paris Descartes : « C’est une course proie prédateur »4
Mais le spectateur est aussi impressionné par la performance pure. Il a beau défendre les valeurs coubertiniennes du sport, il veut quand même des records. Et puisque la science permet d’avoir des records pourquoi s’en priver. Y-a-t-il jamais eu plus d’enthousiasme autour de la natation qu’au temps des combinaisons en polyuréthane ? Il parait évident que ces compétitions ne seront plus des oppositions entre sportifs mais des oppositions entre scientifiques, mais pourquoi s’en priver ? C’est la raison pour laquelle Ryan Bradley, journaliste de Popular Science propose la création d’un championnat de dopés. Il va même plus loin: « We need a League of performance-enhanced Athletes ». En effet, le dopage dénature le sport, qui est à l’origine pur, en le réduisant à une lutte de chimistes. De l’autre côté, « interdire le dopage, c’est se priver d’avancées technologiques » . Il faut donc créer une discipline de dopés, ce qui autoriserait les exploits les plus insensés.
Cette solution a le mérite de résoudre de nombreux problèmes :5
Premièrement, il n’y aurait plus de souci de transparence: on sait exactement qui prend quoi. Deuxièmement, l’environnement serait plus sain : tout serait contrôlé donc il y aurait nécessairement moins de risques de santé pour les athlètes
Cette possibilité illustre la difficulté de la tâche des autorités, ce que confirme Claude Louis Gallien (ancien vice président du CNOSF) “C’est un véritable problème qui se pose en particulier au Comité international olympique, garant de l’héritage laissé par Pierre de Coubertin et pilote des évolutions éventuelles de « l’esprit olympique », lorsqu’il s’agit de concilier performance et santé, spectacle et label éthique »6
L’ex-directeur médical du CIO, Patrick Schamasch, répond à cette proposition. Le CIO veut modérer le coté spectacle des JO. Personnellement, il souhaiterait changer le moto “citius, altius, fortius” qui prône indirectement le dopage. Mettre en avant trois valeurs comme l’amitié, le respect et l’excellence serait, selon lui, beaucoup plus approprié. Mais ce débat met en avant un problème d’éducation aux valeurs du sport.7 Il n’y a aucun besoin de record ou de spectacle lors d’une rencontre sportive. Prenons l’exemple des sports collectifs, comme le football et le tennis. Les matchs sont rarement le théâtre de records du monde, et pourtant ils passionnent des millions de fans.
Le spectacle qui parait promouvoir le sport, le détruirait. Développer le spectacle, c’est pousser les sportifs à dépasser leurs limites, battre des records, et inéluctablement avoir recours au dopage. Nous sommes donc tous responsables du dopage. Chaque spectateur devant sa télévision prône le dopage. Le sportif semble donc être autant victime d’une culture du spectacle que de son orgueil.
- Lionel Maltese, cours de Management des ressources et des compétences des clubs et événements sportifs professionnels, [en ligne]. Disponible sur : http://cortoleo.free.fr/Research/LMALTESE.pdf [↩]
- Propos recueillis lors du 13ème colloque national de lutte contre le dopage. [↩]
- ABC MADRID. Elogio de Lance Armstrong. 24/12/2012. [En ligne]. Disponible sur : http://www.abc.es/historico-opinio/n/index.asp?ff=20121024&idn=1503547673858 [↩]
- Propos recueillis lors du 13ème colloque national de lutte contre le dopage. [↩]
- Ryan Bradley. Popular science. We need a League of performance-enhanced Athletes . 26/07/12, [en ligne]. disponible sur:http://www.popsci.com/science/article/2011-05/why-we-need-league-performance-enhanced-athletes [↩]
- Claude-Louis Gallien. Le dopage, un phénomène de société. Bulletin de l’Académie nationale de Chirurgie dentaire, 2002, 45-4. [en ligne] disponible sur : http://www.academiedentaire.fr/attachments/0000/0031/45_4_Gallien.pdf [↩]
- Propos recueillis lors du 13ème colloque national de lutte contre le dopage. [↩]