Finalement, entre toutes les théories connexes à la matière noire, entre les expériences qui ne trouvent rien, entre les annonces de découvertes plus ou moins mesurées, entre l’opinion générale et les enjeux du financement de la recherche fondamentale, où se situe la matière noire aujourd’hui et peut-on dresser un portrait réaliste des recherches et des débats sur le sujet ?
Sommaire
Un sujet très controversé
Nous avons vu, à travers notre parcours de ce vaste domaine à forte teneur scientifique qu’est la matière noire, que ce sujet de recherche fondamentale est en réalité la source de débats nombreux, aussi bien scientifiques qu’épistémologiques ou même politiques. Et pour certains d’entre eux, il était difficile de s’y attendre !
Si la forme de la théorie de la matière noire n’est pas approuvée par tous, le fond suscite un consensus : il y a des anomalies non expliquées par le modèle actuel qui nécessitent une modification de celui-ci. La théorie de la matière noire peut sembler un peu maladroite si on la perçoit comme une volonté de ne pas modifier le modèle actuel en greffant simplement une extension. Elle apparaît alors comme une fainéantise de l’esprit. Ainsi, des alternatives se sont développées, telles que la théorie MOND.
Élégante ou pas, la théorie de la matière noire a le mérite de correspondre aux observations astronomiques. Il n’y a donc a priori pas de raison de bannir cette théorie de la recherche, tout comme il n’y a pas de raison de bannir les autres théories tant qu’elles n’ont pas été contredites de manière radicale et définitive.
Au delà de la beauté de la théorie, un autre point l’empêche d’être approuvée par tous : nos détecteurs s’améliorent en permanence et pourtant aucune particule pouvant correspondre n’a été détectée. L’évolution des détecteurs est telle que si la matière noire est telle qu’on l’imagine, elle sera découverte dans un temps restreint. Si cela n’était pas le cas, il serait nécessaire de revoir non seulement la théorie, mais également les dispositifs de mesure par conséquent.
Conjointement, on observe également une certaine excitation de la part des médias et du public, mais pas forcément sur les mêmes thématiques de recherche. On lit souvent dans les journaux que l’on est sur le point de découvrir la matière noire. En général, ceci fait suite à une publication scientifique qui, si elle est optimiste, n’a rien d’aussi ambitieux.
Or, l’influence de la presse scientifique grand public est loin d’être négligeable. En effet, les décideurs, tel que la commission européenne, ne sont pas des spécialistes du sujet, et s’informent donc, au moins en partie, par ce biais. Ceci soulève la question de la visibilité des différents acteurs scientifiques et de leurs théories auprès du grand public, qui est déterminante dans l’attribution des financements de la recherche.
Des acteurs multiples et multiplement liés
Finalement, les relations entre les différents acteurs des débats autour de la matière noire peuvent être résumés comme suit :
Un avenir optimiste
Nous aimerions terminer notre site sur une note optimiste et sur notre foi dans le progrès technique qui est peut-être liée à notre formation d’ingénieurs.
Dans les dix années qui viennent, de nombreux outils de détection de plus en plus sophistiqués vont entrer en service, et par conséquent apporter d’énormes quantités de données à traiter et à analyser, dans l’espoir de mettre définitivement en évidence l’existence de la matière noire.
Il existe différents types d’observatoires :
- Ceux qui observent l’Univers très lointain avec un petit champ
- Ceux qui ont un très grand champ et cartographient ainsi des milliards de galaxies
- De nombreux projets se développent également dans le domaine de la détection directe de matière noire
Ceux qui observent l’Univers très lointain avec un petit champ
- E-ELT (European Extremely Large Telescope) : le télescope géant européen, dont la construction a commencé en 2012 (il devrait entrer en service en 2024), représente un projet sans précédent dans l’histoire de l’astronomie. Muni d’un miroir de plus de 39 m et de dispositifs de correction d’image inédits, il pourra capture 15 fois plus de lumière que les télescopes actuels. Situé sur le mont Cerro Armazones dans le désert chilien, il est le fruit de la coopération européenne. Il permettra peut-être de découvrir la nature de la matière noire, en analysant beaucoup plus finement les mouvements des étoiles et des galaxies, et en mettant en évidence l’influence gravitationnelle de cette dernière.[1]
- Alma (Atacama Large Millimeter Array) est le radiotélescope le plus puissant du monde. Il est lui aussi implanté au Chili, sur le haut plateau de Chajnantor, et a été inauguré en 2013. Il est constitué de 66 antennes de plus de 100 t chacune, et permettra d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur nos origines cosmiques à la fois dans l’espace et dans le temps, en remontant à la formation d’étoiles il y a plus de 10 milliards d’années. Il permet en effet d’étudier le rayonnement provenant des objets les plus froids de l’Univers, rayonnement de longueur d’onde inférieure au millimètre.[2]
- JWST : le télescope spatial James Webb devra succéder en 2018 à Hubble, avec plusieurs années de retard. Il est le plus grand télescope jamais déployé dans l’espace, avec un miroir principal de 6.5 m de diamètre. Il peut capter six fois plus de lumière qu’Hubble, et ainsi étudier la formation des premières étoiles et galaxies il y a 13,5 milliards d’années. Il pourra aussi étudier le mouvement des galaxies avec précision.[3][4]
Ceux qui ont un très grand champ et cartographient ainsi des milliards de galaxies
- Euclid est un projet de programme « Cosmic Vision » de l’ESA, agence spatiale européenne. Il a pour objectif d’étudier matière et énergie noires avec précision, en cartographiant leur distribution et leur évolution. Ce satellite sera équipé de caméras à grand champ, et d’instruments de spectroscopie, afin de produire des millions de spectres IR, et de détecter des signatures pouvant révéler la nature de l’énergie noire, et de comprendre l’accélération de l’expansion de l’Univers. Ce projet représente la collaboration de plus de mille scientifiques à travers le monde. Le satellite devrait quitter la Terre en 2020.[5][6]
- SKA (Square Kilometre Array) est le plus grand télescope du monde : il s’étend sur 1000 km de long pour une surface totale de 1 km2. Ce radiotélescope est composé d’une centaine d’antennes individuelles reliées entre elles. Il possède un très grand champ d’observation utilisant un système d’interférométrie, tout en étant extrêmement sensible, et permettra d’étudier le domaine des grandes longueurs d’ondes : du centimètre au mètre. Grâce aux observations de l’hydrogène atomique à grand redshift, les scientifiques pourront déterminer les courbes de rotation étendues des galaxies, et étudier l’évolution relative de la matière noire et des baryons au cours du temps. Il sera mille fois plus sensibles que les instruments actuels pour les observations en continu radio. Il devrait entrer en service en 2020.[7]
- LSST (Large Synoptic Survey Telescope) est un télescope de grande puissance dont la construction a débuté en 2015, et qui devrait être opérationnel en 2022. Il est situé au Chili également. Pendant 10 ans, il balayera la totalité de l’Univers pour analyser les mouvements aux cours du temps, et étudier les lentilles gravitationnelles et y caractériser la distribution de matière noire, les corrélations de galaxies, mesurer la croissance de l’Univers et la courbure espace-temps pour savoir si son accélération est due à l’énergie noire ou vérifie la théorie MOND, compter les clusters de matière noire…[8][9]
De nombreux projets se développent également, dans le domaine de la détection directe de matière noire
- LZ (issu des projets LUX, Large underground Xenon et ZEPLIN, ZonEd Proportional scientillation in LIquid Noble Gases) est la nouvelle génération de détecteur de matière noire. Il est le fruit d’une collaboration de 250 scientifiques Américains, Européens, Russes et Coréens. Il est constitué de 7 t de Xenon liquide, et devrait être 70 fois plus sensible que son prédécesseur, et a pour objectif de détecter les interactions entre la matière noire et la matière baryonique.[10]
- PandaX est l’équivalent chinois du projet LZ. Il utilise la technique biphase (Xenon liquide et gazeux), et est situé dans la province de Sichuan. Les chercheurs chinois tels que Ji Xiangdong, professeur à Shangai, restent confiants, malgré l’absence de résultat positif. « We are close to the edge of dark matter, and we are eager to make sure it is Chinese people who give the answer to this cutting-edge scientific question ».[11]
- Xenon 1T est la suite du projet européen de Gran Sasso : Xenon100. Il est 20 fois plus gros et 100 fois plus précis que son prédécesseur. Cependant, la porte-parole de la collaboration internationale a annoncé le 19 mai que le détecteur n’était pas parvenu à enregistrer le passage de matière noire. L’équipe souhaite poursuivre les mesures pendant 18 mois avant de passer à l’étape suivante: Xenon nT.[12]
Des progrès fondamentaux dans notre connaissance de la matière noire et sa nature, son histoire, sont donc à espérer pour les prochaines années.
Bibliographie
- [1] Barnéoud, P. L. (2012). Un œil gigantesque pour observer l’Univers. La Recherche.
- [2] CABIROL, P. M. (2014). Alma, l’observatoire ultime de l’astronomie mondiale. La Tribune Hebdomadaire.
- [3] SANTINI, P. J.-L. (2007). La Nasa présente la maquette du télescope spatial successeur d’Hubble. AFP – Journal Internet AFP (français)
- [4] NASA, Explore James Webb Space Telescope. Site officiel du JWST, présentant la mise en place du télescope, https://www.jwst.nasa.gov/. Site consulté le 04/06/2017.
- [5] La mission spatiale Euclid à la recherche de l’Univers sombre. (2012). NewsPress (français).
- [6] CNES. bibliothèque des projets du Centre National d’études saptiales, projet Euclid, https://euclid.cnes.fr/. Site consulté le 04/06/2017.
- [7] VANLERBERGHE, C. (2000). Un télescope de mille kilomètres de long. Le Figaro.
- [8] Delving into the « dark universe » with the large synoptic survey telescope. (2017). States News Services.
- [9] LSST. Site officiel du Large Synoptic Survey Telescope, présentant le télescope et des données générales sur la matière noire, https://www.lsst.org/science/dark-energy. Site consulté le 04/06/2017.
- [10] Rozières, G. (2016). Elle est partout mais toujours invisible: où se cache la matière noire? Le Huffington Post – France.
- [11] YINGQI, C. (2015). China at cutting edge of dark matter search. China Daily .
- [12] Herzberg, N. (2017). Elena Aprile, la chasseuse de matière noire. Le Monde.