Petite histoire de la matière noire

Avant de nous plonger en détail dans le débat sur la matière noire, il est intéressant de revenir un peu en arrière et de se pencher sur l’historique des découvertes qui ont mené aux théories actuelles.

Sommaire

1930-1950 : découverte du problème

En 1933 Fritz Zwicky étudie l’amas de galaxies du Coma. Contenu des vitesses qu’il observe, il arrive à la conclusion que cet amas aurait dû s’évaporer, la force gravitationnelle générée par la masse lumineuse n’étant pas assez importante pour contrebalancer l’énergie cinétique de l’amas.

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Amas du Coma, aussi appelé chevelure de Berenice, NASA / JPL-Caltech / L. Jenkins (GSFC)

 

Ce résultat découle de l’application du théorème du Viriel. En effet, pour un système à plusieurs corps, ce théorème donne une relation entre la moyenne des énergies cinétiques, et celle de des énergies potentielles. Or, dans le cas de l’amas du Coma, cette relation est clairement violée. C’est en 1937 que Zwicky publie un article dans la revue Astrophysical Journal où est fait le constat que la masse de la matière lumineuse dans cet amas est environ 400 fois inférieure à celle donnée par l’application du théorème du Viriel.

 

Pour expliquer ce décalage, Zwicky suppose l’existence de matière non lumineuse au sein de l’amas. Cette matière étant constituée d’étoiles froides, d’objets solides micro et macroscopiques et de gaz. Ne pouvant être observée au télescope, il la qualifie alors cette matière de « noire ». Cependant, pour lui, il s’agit de matière conventionnelle, c’est-à-dire baryonique, et il propose l’emploi de la technique des lentilles gravitationnelles pour en étudier la répartition, ce qui est très novateur pour l’époque.

Cependant, la théorie de Fritz Zwicky ne rencontre pas beaucoup d’écho auprès de la communauté scientifique, bien qu’en 1936 Sinclair Smith ait fait des constatations similaires sur l’amas du Virgo. Il n’est pas impossible que le naturel assez atypique et méprisant de ce personnage y soit pour quelque chose[1].

En 1939, l’astronome Horace Babcock est à son tour confronté à un problème suggérant l’existence de matière noire. En effet, ce dernier mesure la courbe de rotation de la galaxie d’Andromède, c’est-à-dire qu’il compare la vitesse des étoiles avec leur distance au centre de la galaxie. En faisant cela, Horace Babcock met en évidence que les étoiles au sein d’Andromède vont beaucoup trop vite. Et bien que cette observation soit à une toute autre échelle que celles réalisées sur les amas de galaxie, elle semble naturellement s’expliquer par la présence d’une masse que l’on n’observe pas au télescope.

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La galaxie d’Andromède, by Adams Evans

1950-1970 : toujours pas de consensus

Malgré toutes ces observations, pour une bonne partie de la communauté scientifique, l’introduction de la matière noire dans les modèles n’est pas une nécessité. Martin Schwarzschild, en 1954 publie un modèle de dynamique dans lequel il n’est pas nécessaire d’introduire de matière supplémentaire. Ce modèle permet d’expliquer la dynamique des amas est des galaxies. Et cette idée est appuyée en 1970 par James Peebles qui propose une simulation une simulation à N-corps de l’amas du Comas, qui colle avec les observations sans recourir à de la matière invisible.

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Jim Peebles by Juan Diego Soler
Vera Rubin
Vera Rubin measuring spectra (Emilio Segre Visual Archives/AIP/SPL)

D’autre part, en 1970, Vera Rubin et son équipe mesurent la courbe de rotation des nombreuses galaxies dans le voisinage de la Voie Lactée. Or, ces observations semblent indiquer la présence d’un disque de matière au-delà de la limite périphérique des galaxies étudiées. Cependant, à l’époque, ces mesures n’étaient pas encore assez précises pour affirmer de façon irrévocable la présence de cette matière noire. Et le modèle proposé par Peebles au même moment semblait alors satisfaisant. À l’inverse, en 1963, Arrigo Finzi publie un papier dans lequel il calcule la masse de la Voie Lactée en se basant sur la vitesse relative des amas globulaires qui l’entoure. Il trouve alors une masse 3 fois supérieure à celle attendue à partir des observations de la matière lumineuse. Il rejette alors l’idée que cette anomalie puisse être expliquée par une matière baryonique non lumineuse. Il propose alors une modification empirique de la loi de la gravitation pour expliquer ces observations.

1970-1980 : consensus sur l’existence de la matière noire

L’étude de stabilité des galaxies et simulations sur ordinateur donnent des résultats très surprenants, allant à l’encontre des théories analytiques précédemment développées : les disques de galaxies apparaissent comme très instables, et formant des barres (Hohl, 1971), elles-mêmes instables. Les orbites des étoiles perdent leur forme circulaire, il y a dispersion des vitesses. On commence par expliquer ces résultats par la prise en compte du gaz interstellaire, capable d’échanger de la chaleur.

NGC 1300, un bel exemple de galaxie spirale barrée, prise par le télescope spatial Hubble, NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team STScI/AURA)

Ce sont ensuite Ostriker et Peebles, qui, en 1973, émettent l’idée que les galaxies baigneraient dans un halo de matière invisible et stabilisant : la matière noire. Devant la réussite des premières simulations numériques, ils étendent leurs résultats aux amas de galaxies, et font le lien avec le problème de masse manquante. Trouver la nature de cette matière devient alors une nécessité dans les années 1980.

En effet, à la fin des années 1970, les scientifiques considéraient que la matière noire était de nature baryonique (constituée de corps compacts ou de gaz). Les avancées cosmologiques vont cependant montrer que cela est impossible. Ceci va conduire en 1984 à un changement de paradigme.

Le premier élément indiquant que la matière noire est de nature non-baryonique provient de l’étude du Big-Bang et de la synthèse d’éléments comme l’hélium. Leur synthèse aux premiers instants de l’Univers apporte une contrainte sur la densité de protons et de neutrons dans l’Univers, et donc de matière baryonique. Le deuxième élément porte sur la formation initiale des galaxies, à partir d’un ensemble homogène. Les fluctuations de densité seraient fortement limitées dans un univers formé uniquement de gaz de baryons, et ne pourraient engendrer un univers aussi hétérogène que le nôtre.

Le premier candidat proposé est le neutrino, particule de faible masse, mais très présente dans l’Univers. Les neutrinos font partie du modèle de la matière noire chaude (c’est-à-dire formée de particules légères qui se déplacent à des vitesses proches de celle de la lumière), qui s’est finalement révélée incompatible avec l’univers observé.

Vers les théories actuelles

De fait, le modèle de la matière noire chaude semble être pour le moment délaissé par la communauté scientifique, au profit de la matière noire froide. La principale différence entre ces deux types de matière noire réside dans leur masse. Ainsi, si le neutrino est largement trop léger pour jouer le rôle de la matière noire froide, son partenaire super-symétrique, le neutralino, est un parfait candidat pour cette dernière. C’est à l’heure actuelle l’un des candidats privilégié pour expliquer la nature de la matière noire. Il fait aujourd’hui l’objet d’actives recherches de la part de la communauté scientifique.[2]

Quels sont justement tous les candidats considérés ?

Bibliographie

  • [1] Combes F. (2015), La matière noire : clé de l’univers, Paris : Vuibert
  • [2] Boehm C. (2013), Phys. Rev. D 87, 023529, Probing the supersymmetric inflaton and Dark Matter link via the CMB, LHC and XENON1T experiments