La matière noire n’ayant pas été identifiée pour le moment, les théories visant à expliquer sa nature et son comportement sont légion. Une grande partie d’entre elles met en avant un candidat bien particulier qui serait en fait la particule de matière noire que personne n’a encore réussi à observer. Ces candidats sont de natures très diverses et il existe entre eux plusieurs distinctions assez classiques.
Sommaire
Matière noire chaude ou froide
Au delà de la question de connaître la nature baryonique ou non de la matière noire, qui semble établie, on distingue trois types de matière noire, en fonction de leur vitesse relativiste lors de leur formation, quasi-instantanément après le Big-Bang. La matière noire « chaude » ou HDM est une particule relativiste de masse « faible », inférieure au keV, comme le neutrino par exemple. La matière noire « tiède », ou WDM, quasi relativiste, a une masse entre 1 et 10 keV, et correspondrait à un mélange de neutrinos et de particules massives, et enfin la matière « froide », ou CDM, non relativiste, a une masse supérieure à 10 keV.
L’hypothèse correspondant le mieux à la réalité est celle de la matière noire froide. Cela a été expliqué dès 1984, lors des premières publications sur la matière noire, par des chercheurs américains dont George R. Blumenthal et Martin J. Rees. Ils considéraient déjà à l’époque que la masse de matière noire représentait 10 fois la masse de matière visible et que la détermination de sa composition pourrait résoudre les questions autour de la nature de notre univers. Ils définissent la matière noire froide ainsi :
Cold DM consists of particles having negligible thermal velocity with respect to the Hubble flow and having nongravitational interactions that are much weaker than the weak interaction.[4]
La raison pour laquelle ils croient à la matière noire froide est qu’elle prédit correctement les propriétés observées des galaxies, notamment la masse. Ils considèrent déjà que la matière noire froide est non-baryonique, et ce pour plusieurs raisons : nécessité d’une masse faible pour éviter l’émission de trop de radiations, abondance de deutérium observée, existence des galaxies et clusters nécessitant une perturbation non linéaire de la gravité précoce.
Ils soulèvent plusieurs problèmes à la théorie d’une formation de la galaxie dominée par le neutrino. Le « supercluster collapse » a dû avoir lieu récemment, ce qui n’est pas possible dans le modèle de la matière noire chaude. De plus, les grands clusters peuvent accréter des neutrinos avec plus d’efficacité que les autres halos, et les rapports de masses dans différents ensembles cosmiques (clusters, galaxies, groupes de galaxies, spirales), sont cependant constants. Enfin, la principale partie de la matière noire est située dans les galaxies naines sphériques, ce qui est incompatible avec l’hypothèse de matière noire chaude pour des raisons de vitesse de dispersion, cette dernière minorant la masse de la matière noire.
Ils considèrent la formation des galaxies dans le cadre de la matière noire froide et comparent les prédictions du modèle aux observations, en considérant les premières fluctuations comme adiabatiques, à partir des premières études de Peebles, en y ajoutant des espèces de neutrinos sans masse, incluant une phase de « stagspansion ». Ils obtiennent des résultats encourageants, malgré les approximations et les incertitudes sur le modèle.
Preliminary results are encouraging. In particular, simulations show that large central condensation form quickly and can grow by subsequent mergers to form cD galaxies if most of the DM is in haloes around the baryonic substructues, as expected for cold DM, but not if the DM is distributed diffusively. [4]
Les chercheurs s’intéressent aussi à la structure de l’Univers, entre supercluster et vide. Ils se sont rendu compte que certaines zones étaient vides de galaxies brillantes, car la plupart des galaxies sont concentrées en clusters. Par l’étude de l’orientation des clusters en corrélation avec les simulations, l’hypothèse de matière noire froide supprime une des difficultés (le supercluster s’effondre après la formation des galaxies dans ce cas). De plus, par comparaison avec les modèles matière noire chaude et matière noire tiède, l’autre argument en faveur de la matière noire froide est que la structure obtenue est plus riche dans ce modèle et plus proche de la réalité, avec moins de vides cependant.
Le modèle de l’univers contenant 10 fois plus de matière noire froide que de matière baryonique correspond donc remarquablement bien avec les observations. Il prédit en effet l’ordre de grandeur des masses des galaxies, la nature dissipative de leur effondrement. Il prédit aussi les halos de galaxies non dissipatifs et les clusters, et peut donner des explications naturelles pour les corrélations galaxie/environnement (densité) et pour les différences de moment angulaire entre les galaxies spirales et elliptiques. Il est également cohérent avec les vides et les superclusters.
Bref, il semble le meilleur modèle disponible et mérite donc une attention particulière et de nouvelles expériences, notamment des simulations avec des simulations N-corps pas forcément adiabatiques, et plus de tests statistiques pour comparer objectivement la distribution de matière à grande échelle dans les modèles et les observations.[4]
WIMPs et MACHOs
WIMP signifie Weakly Interactive Massive Particle et MACHO Massive Compact Halo Object. Ce sont deux catégories de candidats possibles pour la matière noire.
Lorsqu’un problème de masse manquante est apparu, une des premières hypothèses a été d’imaginer qu’un corps massif tel une planète était présent à proximité des anomalies mais non visible. Cette supposition est apparue de manière naturelle après la découverte de Neptune, déduite d’observations similaires à la fin du XVIIIème siècle : l’orbite d’Uranus présentait des irrégularités qui été expliquées par son interaction avec Neptune. C’est pourquoi des MACHOs ont été activement recherchés en tant que matière noire : étoiles naines brunes, planètes ou encore étoiles à neutrons pourraient expliquer la différence entre les courbes de rotation théoriques et celles qui sont observées.
Cependant, les MACHOs, du fait de leur taille et leur interaction importante avec la matière visible, devraient être détectés aujourd’hui, malgré l’existence de quelques MACHOs qui pourraient encore échapper aux détecteurs actuels. Par exemple, si le halo galactique était rempli d’objets ayant la masse de Jupiter, ceux-ci n’auraient pas été détectés par émission ou absorption de lumière. Des étoiles naines brunes de masse faible ou encore des trous noirs rémanents d’une ancienne génération d’étoiles seraient également invisibles.[1] Un modèle où la matière noire serait constituée jusqu’à 20 % de MACHOs est encore envisageable, mais une matière noire uniquement composée de MACHOs a été exclue avec un niveau de confiance de 95 %.[2]
Cela explique l’émergence d’une nouvelle théorie sur la nature de la matière noire. Celle-ci serait constituée de particules interagissant faiblement avec la matière baryonique, d’où la difficulté de la détecter : les WIMPs. Cette hypothèse est aujourd’hui privilégiée par rapport aux MACHOs, et semble prometteuse vis-à-vis des observations. En effet, ils remplissent les différents critères aujourd’hui identifiés sur la nature de la matière noire[3] :
- L’abondance de WIMPs estimée correspond à la quantité de matière noire estimée.
- Leur masse serait suffisamment faible pour correspondre à ce qui s’est passé dans l’univers primitif.
- Cette matière est neutre électromagnétiquement.
- Elle est stable cosmologiquement puisqu’on en trouve toujours et donc elle dure depuis très longtemps.
- Les interactions sont limitées.
L’argument qui fait pencher la balance en faveur des WIMPs est surtout la correspondance entre la densité relique de WIMPs calculée à partir du taux d’annihilation de ces particules et la quantité de matière noire estimée. Au début de l’Univers, les WIMPs étaient en équilibre avec le plasma thermique. Avec l’extension de l’Univers et la diminution de la température du plasma, le processus de création des WIMPs s’est arrêté tandis que le processus d’annihilation s’est poursuivi. Enfin, l’Univers est devenu suffisamment grand pour que la probabilité qu’un WIMP en rencontre un autre et le détruise devienne très faible. Cela a figé le nombre de WIMPs, dont la densité est dite relique, et qui correspond à celle de la matière noire.[2]
Plusieurs types de WIMP ont été envisagés. Les principaux figurent sur le graphique suivant, représentant en abscisse la force d’interaction avec la matière ordinaire et en ordonnée la masse de la particule :
Le neutrino est une particule dont l’existence est déjà prouvée, mais il constituerait de la matière noire chaude, une hypothèse peu envisagée. Le candidat favori aujourd’hui est le neutralino χ, dont la section efficace correspondrait à ce que l’on attend (voir CNRS).
Ces candidats sont issus de la théorie de la supersymétrie. En effet, aucun candidat du modèle standard ne permet de respecter la contrainte identifiée sur la masse des particules de matière noire. D’où l’introduction de l’extension du modèle standard appelée supersymétrie qui associe à chaque particule du modèle standard un partenaire supersymétrique.[2]
Les particules supersymétriques
À l’heure actuelle, l’une des pistes favorites des théoriciens pour expliquer la matière noire est celle des WIMPs, particules massives qui interagissent très peu avec la matière conventionnelle. Cependant, ils n’ont pas encore été directement observés et les scientifiques ont plusieurs idées quant aux particules qui pourraient jouer ce rôle. Parmi les candidats possibles, certains font intervenir la théorie de la super-symétrie.
La super-symétrie est une extension du modèle standard de la physique quantique, qui prédit qu’à toute particule élémentaire, on peut associer un partenaire super-symétrique. Ce partenaire a les mêmes propriétés fondamentales que la particule à laquelle il est associé, à l’exception près qu’il est largement plus massif. À titre d’exemple, la masse du neutrino est de l’ordre de 0,1 eV, alors que son partenaire super-symétrique, le neutralino, a une masse attendue de l’ordre de 150 GeV. Ainsi, cette particule est l’un des candidats de prédilection des scientifiques pour jouer le rôle de WIMP.
Si le neutrino n’est pas assez lourd pour incarner la matière noire, le neutralino à l’inverse en est tout à fait capable, avec des gammes d’énergie pouvant aller jusqu’à quelques TeV selon les modèles. En effet, les indications apportées par l’observation du fond cosmologique diffus semblent aller dans le sens de particules qui étaient non relativistes peu après le Big-Bang, c’est la matière noire froide, ce qui implique que la matière noire soit suffisamment massive.
Cependant, pour le moment, il n’y a jamais eu de confirmation expérimentale de la théorie de la super-symétrie. Pire encore, d’après de nombre de théoriciens, les niveaux d’énergie atteint au LHC devraient commencer à permettre d’observer de telles particules. En effet, à l’heure actuelle, les collisions au LHC atteignent des énergies de l’ordre de 13 GeV. Ainsi, si la théorie de la super-symétrie est la bonne, alors cela veut dire qu’elle ne correspond pas à l’idée que s’en faisait les physiciens jusqu’à maintenant.
Dans tous les cas, le neutralino et plus généralement l’idée du WIMP reste dans l’esprit des scientifiques la meilleure façon de répondre à la question posée par la matière noire, et ce sujet fait toujours l’objet de très nombreuses publications de la part de la communauté scientifique. Cependant, si les expérimentations continuent à réfuter la théorie de la super-symétrie, on peut penser que les scientifiques devront profondément remettre en cause leurs modèles.
Justement, que nous disent les expérimentations à propos des différentes théories ?
Au même moment que des interrogations se posent sur les pistes actuelles, des théories écartées auparavant sont de nouveau considérées, telles que la théorie MOND.
Bibliographie
- [1] “WIMPs and MACHOs – Caltech Astronomy Free Pdf Download – 1329315 – DocDatabase.net.” Accessed June 4, 2017. http://www.docdatabase.net/more-wimps-and-machos-caltech-astronomy-1329315.html.
- [2] Undagoitia, Teresa Marrodán, and Ludwig Rauch. “Dark Matter Direct-Detection Experiments.” Journal of Physics G: Nuclear and Particle Physics 43, no. 1 (2016): 13001. doi:10.1088/0954-3899/43/1/013001.
- [3] Arcadi, Giorgio, Maíra Dutra, Pradipta Ghosh, Manfred Lindner, Yann Mambrini, Mathias Pierre, Stefano Profumo, and Farinaldo S. Queiroz. “The Waning of the WIMP? A Review of Models, Searches, and Constraints,” 2017.
- [4] Blumenthal, G. R., Faber, S. M., Primack, J. R., & Rees, M. J. (1984). Formation of Galaxies and Large Scale Structure with Cold Dark Matter. Nature, 311, 517‑525.
- Belanger, G., F. Boudjema, A. Pukhov, and A. Semenov, 2009 “Dark Matter Direct Detection Rate in a Generic Model” with micrOMEGAs 2.2. Comput.Phys.Commun. 180: 747–767.
- Gondolo, P., J. Edsjo, P. Ullio, et al., 2004, “DarkSUSY: Computing Supersymmetric Dark Matter Properties Numerically”. JCAP 0407: 008.
- Jungman, Gerard, Marc Kamionkowski, and Kim Griest, 1996, “Supersymmetric Dark Matter”. Phys.Rept. 267: 195–373.