La neutralité du net est-elle réalisable ?

Le point de départ de la controverse pour la plupart des acteurs opposés à la neutralité du net est un problème technique. Selon eux, l’utilisation de l’internet augmente trop vite pour que la taille des infrastructures puisse suivre la tendance.

1.

L'engorgement des réseaux

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L’engorgement des réseaux est une crainte émise par plusieurs acteurs de la controverse, qu’ils soient favorables ou défavorables à la neutralité du net. Pour comprendre ce problème, il faut tout d’abord comprendre comment les informations sont transmises sur internet, une question à laquelle répond Tim Wu dans son article fondateur pour la neutralité des réseaux [1]. Pour que des données aillent d’une part du réseau à une autre, il faut qu’elles soient relayées par des routeurs, qui, dans le cas d’un net neutre, traitent toutes les données de la même manière selon la loi du “best effort”, le principe selon lequel il faut tout faire pour que les informations arrivent à leur destinataire dans un temps le plus court possible.

"Instead, IP generally adopts a “best-effort” approach: it says, deliver the packets as fast as you can."

Cependant, si le flux de données est trop élevé pour un routeur, il enverra une partie des informations qui lui ont été transmises à un autre routeur, et ainsi de suite. S’il y a trop d’informations sur le réseau et que les routeurs sont tous en surcharge, on parle alors d’engorgement. Le risque d’un tel cas de figure est qu’une partie des informations n’arrivent jamais à leur destinataire.

Dans le premier entretien que nous avons réalisé au sujet de la neutralité du net, avec un ancien membre de la convention HADOPI [2], ce dernier nous a parlé de cette problématique, d’autant plus pressante avec l’arrivée du streaming, et des conséquences que cela allait avoir et avait déjà eues sur notre façon de concevoir le problème de la neutralité du net :

"Avant l’apparition de la transmission de musique et de vidéo, le trafic sur internet était faible et ne risquait pas de conduire à un engorgement. [...] Un engorgement peut entraîner des délais de transmission et même, dans le pire des cas, une suppression des paquets à transmettre."

Dans leur article “Net neutrality and inflation of traffic”, Martin Peitz et Florian Scuett [3] comparent plusieurs simulations réalisées sur le réseau internet, avec des lois différentes sur la neutralité du net, et montrent que dans ces projections une neutralité du net stricte entraîne forcément une congestion des réseaux.

"According to Proposition 1, net neutrality generates inflation of traffic, leading to excessive congestion of the network."

Néanmoins, une doctorante du centre Georg Simmel, que nous avons rencontrée dans un deuxième temps, nous a rapporté l’avis des militants de l’internet qu’elle observe pour sa thèse [4] : pour eux l’engorgement des réseaux reste une simple projection de notre consommation d’internet dans le futur, et ne devrait pas être envisagé comme une fatalité.

"Il est agaçant d’entendre des gens considérer très sérieusement cette hypothèse de l’engorgement alors que ce n’est qu’une hypothèse formulée à l’aide de projections."

Le vrai problème ne semble pas être un engorgement du réseau, mais un engorgement de certaines parties du réseau, qui sont plus utilisées que d’autres, comme nous l’a expliqué un porte parole de la Quadrature du Net dans l’entretien qu’il nous a accordé [5] :

"Les services sont très centralisés : Google, Netflix, concentrent une bande passante gigantesque vers leurs propres services et le problème vient de là."

Afin d’éviter de trop utiliser les chemin pris par ces grands services, il faudrait décentraliser les services, en utilisant des plateformes comme PeerTube, une alternative à YouTube qui vise à désengorger les grands “tuyaux” d’échange d’information dont la doctorante du centre Georg Simmel, avec laquelle nous nous étions entretenus, nous avait parlé [4]. Cependant, il est difficile de demander à un grand groupe d’utilisateurs de changer leurs habitudes, et c’est une des limites à la décentralisation des services, selon une chargée de recherche au CNRS pour l’Institut des sciences de la communication que nous avons rencontrée [6].

2.

La neutralité des terminaux

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Comme indiqué par l’ancien membre de la convention HADOPI avec lequel nous avons pu nous entretenir, la neutralité du net se décline selon plusieurs aspects : la neutralité des réseaux, la neutralité des terminaux et la neutralité des opérateurs [2].

"Il est pour moi justifié de décomposer le problème de la neutralité du net en trois branches : la neutralité des réseaux, la neutralité des opérateurs qui diffusent le contenu et la neutralité des terminaux."

Pourtant, on peut remarquer que le premier point est beaucoup plus médiatisé que les deux suivants, et on désigne souvent par neutralité du net la neutralité des réseaux uniquement, de manière abusive. Des terminaux neutres impliqueraient que chacun ait accès au même internet, peu importe le terminal utilisé, que ce soit un smartphone Android ou un PC Microsoft. Lorsque nous avons interrogé une doctorante du centre Georg Simmel à ce sujet [4], elle nous a expliqué que la neutralité des terminaux était un sujet de débat principal dans les associations militantes d’internet, et que des associations spécialisées sur le problème de la neutralité des réseaux et des associations spécialisées sur celui de la neutralité des terminaux se rapprochaient après avoir constaté que les deux problématiques ne pouvaient pas être décorrélées.

"Benjamin Bayart a émis l’idée du lien entre la neutralité des réseaux et la neutralité des terminaux. Ce n’est pas du tout un problème secondaire."

La chargée de recherche au CNRS pour l’Institut des sciences de la communication que nous avons rencontrée [6] partage cette idée, et donne une importance égale à la neutralité des terminaux et des réseaux. Selon elle, si les médias ne se concentrent que sur la neutralité des réseaux, c’est simplement parce que le débat sur celui-ci a éclaté plus tôt, et qu’il a aussi permis de faire parler de la neutralité des terminaux :

"En effet c’est lié, et elles sont toutes aussi importantes mais c’est sans doute parce que la neutralité des réseaux est la problématique charnière qui a donné lieu aux deux autres qu’elle monopolise l’attention des médias."

L’ARCEP, dans un rapport sur les terminaux [7], regrette de ne voir aucune garantie de la liberté des consommateurs au niveau des terminaux, l’ensemble de la législation étant concentré sur les réseaux.

"Constatant que l’ouverture d’internet peut déjà être mise à mal par des fabricants de terminaux et éditeurs d’OS, l’Arcep estime par ailleurs nécessaire d’y remédier dès maintenant au travers de moyens d’action ciblés."

Cependant, le porte parole de la Quadrature du Net que nous avons renontré [5] ne rejoint pas ce point de vue, jugeant que la neutralité des terminaux est un problème secondaire qui devra être réglé une fois le problème de la neutralité des réseaux résolu :

"Une fois que les réseaux seront neutres, on pourra s’attaquer à autre chose, comme la neutralité des terminaux par exemple."
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Progression

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Bibliographie

[1] Wu, Tim. Network Neutrality, Broadband Discrimination. Journal of Telecommunications and High Technology Law, 5 juin 2003. Voir ici.

[2] Entretien réalisé le 4 avril 2019 avec un ancien membre de la convention HADOPI.

[3] Peitz, Martin et Scuett, Florian. Net neutrality and inflation of traffic. International Journal of Industrial Organization, mai 2016. Voir ici.

[4] Entretien réalisé le 8 avril 2019 avec une doctorante du centre Georg Simmel.

[5] Entretien réalisé le 10 avril 2019 avec un porte parole de la Quadrature du Net.

[6] Entretien réalisé le 18 avril 2019 avec une chargée de recherche au CNRS pour l’Institut des sciences de la communication.

[7] Arcep. Smartphones, tablettes, assistants vocaux : les terminaux, maillon faible de l’internet ouvert. 15 février 2018. Voir ici.

La neutralité du net

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