La difficile coexistence des « pure-players » avec les GAFA

PLAYLIST - DES CONDITIONS ÉCONOMIQUES DÉNONCÉES PAR LES PLATEFORMES

Dissensions entre plateformes et Majors | La difficile coexistence des « pure-players » avec les GAFA

Acteurs en jeu

♫ La critique de longue date de la conduite des GAFA

La mondialisation des acteurs se retrouve aussi au niveau des plateformes de streaming. On distingue principalement deux types de plateformes de streaming : les pure-players qui ne font que de la musique (Deezer, Spotify, Qobuz…) et les autres qui sont appuyés par des GAFA (Youtube par Alphabet, Apple Music par Apple…).

La première critique d’un pure-player dirigée indirectement contre un GAFA vient de la plateforme Qobuz (plateforme de streaming payant exclusivement), qui se plaint dès le rapport Phéline (2013) [21] du fait que la présence de services de streaming gratuit mine le “consentement à payer” des utilisateurs.

Cette critique n’est pas dirigée uniquement aux GAFA, mais à tous les services de streaming gratuits ou freemium (dont Deezer et Spotify). Toutefois, comme nous l’a confié un représentant de Deezer en interview, d’une part les éditeurs de service musicaux comme Deezer ou Spotify doivent offrir un modèle d’utilisation gratuite pour pouvoir concurrencer Youtube auprès des utilisateurs, et d’autre part le streaming gratuit a le mérite de réduire le piratage et donc d’aider à rémunérer les artistes même plus modestement que le streaming payant.

♫ Youtube, un concurrent gênant pour les plateformes

La différence principale entre les pure player et les Youtube est que Youtube n’a pas nécessairement besoin d’être bénéficiaire pour continuer à exister dans la mesure où la plateforme est adossée revenus de Google, ce qui lui permet de pouvoir offrir un streaming gratuit indéfiniment sans risquer la faillite.

"L’exigence de rentabilité propre qui s’impose à des services internationalisés peut se trouver relativisée par leur appartenance à des mégagroupes mondiaux assurés d’une massive production de valeur dans d’autres segments d’activité, le moteur de recherche [Google] ou la fourniture de matériels et logiciels [Référence à Apple pour Apple Music]."

Un autre point de discorde entre les pure-players et les hébergeurs comme Youtube porte sur les droits des artistes. Par définition, l’ESML (syndicat des Editeurs de Services de Musique en Ligne) regroupe des Éditeurs de Services de Musique en Ligne, c’est à dire des plateformes de streaming qui sont responsables de leur contenu et paient aux artistes et aux producteurs des droits associés.

Youtube est au contraire un hébergeur de contenu, c’est à dire que Youtube n’est à priori pas responsable de ce que l’on trouve sur son site. Par suite, si une chanson d’un artiste se trouve sur Youtube, c’est en principe la personne qui poste la vidéo qui doit payer des droits et non pas Youtube (mais Youtube touche tout de même une commission sur chaque publicité vue avant la vidéo). Cela signifie que tous les éléments liés aux relations entre Major et plateformes ne s’appliquent pas à Youtube à priori.

En pratique, cette anomalie a rapidement été corrigée et Youtube doit signer des contrats avec les Majors et les ayants-droits pour héberger du contenu, mais le fait d’être appuyé par Google ainsi que sa position dominante en terme de quantité de streams lui permettent selon l’ESML d’obtenir des conditions plus favorables que les éditeurs de services musicaux de la part des Majors.

“En ce qui concerne les plateformes, l’ESML, soucieuse de « remédier aux distorsions de concurrence », souhaiterait, en lien avec la DGCCRF [Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes] et l’Autorité de la concurrence, faire reconnaître que les éditeurs de musique en ligne sont en réalité sur le même marché que les plateformes d’hébergement vidéo comme YouTube, qui bénéficient de conditions d’exploitation, selon l’ESML, plus avantageuses alors que leur usage ne suscite ni engagement ni consentement à payer.”

♫ La fragile coalition des acteurs du marché contre les GAFA

Sur ce sujet l’ESML a trouvé le soutien du SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique, représentant les Majors) qui dénonce pour sa part le “Value Gap” dans son bilan 2018 du marché de la musique. D’après les données collectées par le SNEP en 2018, les streams sur Youtube représentent 48% du temps d’écoute de tous les streams (gratuits comme payants), mais ne participe à l’économie de la filière qu’à hauteur de 11% des revenus du streaming. Ce “Value Gap” représente un manque à gagner considérable pour les artistes comme pour les producteurs et a été au coeur de la directive européenne sur les droits d’auteur votée au parlement européen en 2018.

Toutefois la position du SNEP sur cette question est assez délicate puisque d’une part ils soutiennent ont soutenu la directive européenne en 2018, mais d’autre part en 2016 lors d’échanges avec la GAM (Guilde des Artistes de la Musique) et l’ESML, le SNEP a défendu le fait que la présence des GAFA sur le marché n’est pas une mauvaise chose pour l’utilisateur final ni pour les artistes, et en particulier que les accords imposés aux plateformes par les majors ne sont pas un frein à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. [48]

Echange entre Ludovic Pouilly (ESML) et Guillaume Leblanc (SNEP) [48]

L. P. : [Au sujet des négociations avec les ayants-droits et en particulier avec les majors] C’est un vrai frein financier et une barrière énorme en termes de ressources humaines, car il faut pouvoir aller négocier des accords avec l’ensemble des ayants-droit. […]

G. L. : Cela n’empêche pas certains acteurs, plus ou moins établis, de se lancer sur le secteur de la musique en ligne en ayant conscience de ces paramètres. On voit ces jours-ci Cdiscount se lancer dans l’aventure du streaming. Ce n’est pas un frein absolu, et heureusement d’ailleurs.

L. P. : Cdiscount, tout comme Amazon, Apple et d’autres, n’ont pas la musique pour cœur de métier.

G. L. : Tout à fait d’accord. Mais est-ce un argument pour les consommateurs ou même pour les artistes ? Est-ce un tort d’avoir une partie de ces plateformes dont le business model n’est pas assis sur la musique en ligne ?

L. P. : Non, je dis juste qu’il n’y a pas suffisamment de services [i.e. plateformes].