Entretien avec M. Glachant, chercheur au CERNA.

Selon votre étude sur péage urbain et équité sociale, la solution technique la plus juste serait un péage de zone sur les dix premiers arrondissements ?

Bien qu'elle soit au centre du débat public, la question de l'équité sociale est peut-être une fausse question. En effet, d'autres questions très importantes méritent d'être posées : a-t-on réellement besoin de réduire la congestion ? N'existe-t-il pas de meilleure solution ? Les couloirs de bus ont par exemple été mis en avant par la mairie de Paris. Quels seraient les coûts de mise en oeuvre ?

Il faut tout d'abord préciser quelles sont les trois fonctions possibles pour lesquelles on introduirait un péage urbain en ville : la première et plus importante est celle de la réduction de la congestion, puis viennent la génération de recettes et la réduction de la pollution. Il faut savoir que l'on ne peut pas générer beaucoup de recettes financières grâce à un dispositif de péage urbain, car le coût de fonctionnement du dispositif technique du péage urbain réduit drastiquement le résultat net d'un tel système. En ce qui concerne la fonction environnementale du péage urbain, il faut envisager la question sous l'angle de la nature des polluants : intervient-on au niveau des polluants locaux ou globaux ? Quoi qu'il en soit, le péage urbain n'est clairement pas le bon outil pour remplir ce type d'objectif : le plus adapté serait celui de la fiscalité sur le carburant, en particulier la TIPP (Taxe d'Importation sur les Produits Pétrolier). Enfin, un péage urbain tel que celui de Londres réduirait de 19% la circulation. Ce chiffre prouve que ce système permet de résoudre localement les problèmes de congestion. D'ailleurs, une zone comme les dix premiers arrondissements de Paris ne concentre que 7% des déplacements automobiles d'Île-de-France. Ceci est négligeable si l'on souhaite traiter le problème de la pollution atmosphérique. Cependant, du point de vue de la congestion, c'est une solution puisque seulement quelques zones sont concernées par des problèmes de congestion.

Dans mes articles publiés en 2004 et 2006, j'envisage la question de la réaffectation des recettes. On pourrait soit la redonner sous une autre forme aux automobilistes, mais l'intérêt serait alors limité, soit investir dans les transports en commun. Plus précisément, si l'on veut maximiser la justice sociale dans la redistribution des gains générés par le péage urbain, il faudrait développer les transports en communs de banlieue à banlieue. Cela répondrait par ailleurs à des besoins qui sont bien réels.
Quant aux externalités générées par le péage urbain, comme la réduction de la pollution, sonore et par les gaz d'échappement, il est difficile d'aborder cette question sous l'angle de l'équité sociale car monétariser, quantifier de tels effets est très délicat.


Vous nous avez dit que le péage urbain permet essentiellement de résoudre des problèmes de congestion. Toutefois, ce dispositif n'a-t-il pas pour seul effet déplacer les embouteillages à la limite de la zone concernée ?

Il s'agit effectivement d'un argument souvent avancé par les détracteurs du péage urbain. Or l'expérience de Londres montre bien que la congestion n'a pas été déplacée mais bel et bien réduite. Toute la solution réside dans le fait que les embouteillages sont surtout dus aux différents carrefours et croisements. La congestion est réduite en centre-ville grâce au péage urbain mais elle n'est pas déplacée en périphérie : en effet, les circuits en bordure du centre-ville possèdent beaucoup moins de croisements, ainsi, même si plus de voitures empruntent ces circuits, la circulation y est plus fluide et la congestion est globalement réduite. (Le schéma ci-dessous illustre l'explication.) Avant l'instauration d'un tel dispositif, le trafic entrant dans la zone et celui qui la tangente sont approximativement égaux. Ensuite, avec la mise en place du péage, le trafic entrant sera nettement réduit tandis que le trafic tangent augmentera fortement. Par conséquent, il n'y a plus de problèmes au niveau des intersections et il ne se forme donc pas d'embouteillage.


Vos travaux ont-ils été commandé par un organisme ?

Mes travaux ont été financés par la mission interministérielle sur l'effet de serre. Toutefois, cette dernière n'était pas demandeuse. Cette étude a en fait rencontré un grand succès. J'ai notamment eu des sollicitations pour faire des discours. Il faut savoir que la question du péage urbain a passionné la DREIF et le ministère de l'équipement.

Quel est l'impact de vos travaux et plus généralement de la recherche sur les décisions politiques ? Je ne peux pas vous dire quel est l'impact de mes travaux. Néanmoins, il est certain que la recherche en économie a beaucoup d'effets sur les pratiques de politique publique. Les économistes sont en effet les créateurs de solutions politiques. C'est vrai en particulier dans le cas du péage urbain. Ainsi, le concept même de péage urbain a été inventé vers 1960 par un économiste : William Vickrey.


N'y a-t-il pas un problème législatif lié au péage urbain ?

En France, le péage urbain est interdit par la loi, sauf dans le cas où celui-ci a pour but de financer la mise en place d'infrastructures nouvelles. L'Etat peut soupçonner en effet les municipalités d'être tentées d'augmenter la pression fiscale sur les contribuables et impose donc cette limitation. C'est pourquoi, il y a deux ans, le gouvernement Raffarin a rejeté un amendement visant à abroger cette loi. C'est essentiellement l'existence de cette loi qui fait que la controverse sur le péage urbain se déroule actuellement essentiellement sur un plan théorique.
Par ailleurs, en France, on peut dire qu'il est politiquement suicidaire aujourd'hui de tenter d'instaurer un quelconque péage urbain, comme nous le montre l'exemple du périphérique nord de Lyon. Les autorités locales ont tenté d'instaurer un système similaire à un péage autoroutier pour financer la construction de la portion manquante du périphérique en question. Mais des manifestations ont finalement obtenu que le prix initialement prévu pour le péage soit divisé par quatre... C'est tout le contraire à Londres, où Livingstone, le maire, a été réélu grâce à son projet d'extension du péage urbain. A Paris, la politique urbaine de Delanoë, avec la mise en place de couloirs de bus, a été accueillie avec beaucoup de réticences au départ. Pourtant, aujourd'hui, les sondages montrent que les Parisiens en sont relativement satisfaits. Ceci montre la méfiance des Français vis-à-vis de toute nouvelle mesure en politique urbaine.

Des études faites par deux chercheurs parisiens, Pierre Kopp et Rémi Prud'homme - connus pour être plutôt favorables à la voiture - sur la politique parisienne, qu'ils critiquaient, ont eu un certain écho : Delanoë leur a même répondu dans « Le Monde ». Cependant, ces deux chercheurs sont un peu marginalisés parce qu'ils ne soumettent pas leurs écrits au reste de la communauté avant de les rendre publics. On peut donc douter de la validité de leurs analyses.


Comment se font les confrontations entre chercheurs ?

Les publications sont normalement jugées par vos pairs : deux ou trois personnes qui ne vous connaissent pas et que vous ne connaissez pas. Les travaux sont ainsi confrontés par l'intermédiaire de revues spécialisées. Des séminaires, des conférences ou des colloques permettent également de rassembler des acteurs de terrains et des chercheurs.


Comment interviennent les entreprises, de concessions en particulier, dans le débat ?

Ces entreprises font beaucoup de lobbying dans le but de faire pencher la décision politique en leur faveur.
Remarquons qu'il existe une autre idée intéressante mais peu développée. Elle consisterait à installer un péage urbain autoroutier sur l'A6, l'A4 ou le périphérique. Les entreprises de concessions y sont très favorables parce que le coût de mise en place serait bien moins élevé. En effet, beaucoup d'installations existent déjà pour répondre à d'autres besoins.
Les constructeurs automobiles restent assez muets sur ce sujet.
En ce qui concerne la RATP, elle est très favorable au péage urbain puisque ce dispositif lui permettrait d'obtenir plus de financement et, comme la circulation serait moins dense, les bus circuleraient mieux.


Et les associations ?

Quelques associations comme la FNAUT (Fédération Nationale des Associations des Usagers de Transports en commun), qui a pour but de défendre les intérêts des usagers des transports publics ou l'Automobile Club de Paris se positionnent dans le débat. Cependant, étant donné que le débat reste encore assez théorique, aucune association de quartier n'a pris part à ce débat.


Que pensez-vous des couloirs de bus ?

Pour revenir à la politique parisienne des couloirs de bus, on peut dire qu'il s'agit d'une aberration d'un point de vue économique. Pour comprendre cela, il faut introduire le concept du coût de transport généralisé, qui additionne le prix du transport (ticket, carburant...) et celui du temps passé à se déplacer. Les couloirs de bus ont causé une augmentation nette du coût en temps de transport, ce qui constitue une perte pour la société. Ensuite, ces couloirs de bus ont entraîné une augmentation de la congestion. Enfin, du point de vue environnemental, comme cela diminue la vitesse des voitures, la pollution s'en trouve augmentée. Notons néanmoins qu'un péage urbain en diminuant la circulation libérerait de l'espace sur la chaussée, si bien qu'une politique de couloirs de bus pourrait très bien être associée à un péage urbain.