Les Banques

Nous tentons ici de refléter l'avis des banques vis-à-vis des normes prudentielles et comptables à partir d'une synthèse de divers articles parus dans Les Échos entre le 22 octobre 2009 et le 14 janvier 2010. Nous tenons à avertir le lecteur que nous avons regroupé ici toutes les banques quelle que soit leur origine. Cependant, il apparaît des subdivisions plus fines au sein même de ce groupe d'acteurs : les banques françaises, européennes et américaines peuvent se recouper (exemple de banques « too big to fail »).

La rédaction de la Directive européenne d'adéquation des fonds propres (CRD), qui est la mise en pratique du pilier 1 de Bâle II, a été réalisée après concertation avec les banques au début des années 2000 : elle a donc fait l'objet d'un large consensus parmi par les acteurs concernés. Si la nécessité d'existence de normes prudentielles (et donc comptables) stipulant une réserve de fonds propres fait l'unanimité, la mise en pratique, i.e. la manière de calculer le ratio, fait débat. En effet, seuls les cabinets de conseils prétendent voir en elles une tendance essentiellement procyclique. Ainsi, nous n'analysons pas l'évolution des positions des banques face aux normes prudentielles, mais plutôt la manière dont elles souhaitent que celles-ci soient mises en œuvre.

La contribution des banques françaises à la stabilité du système

En octobre 2009, les banques françaises ont accepté, sous l'impulsion de la ministre de l'Économie Christine Lagarde, plusieurs mesures concernant le financement de la supervision bancaire. Ce-dernier est estimé à plus de 100 millions d'euros. Désormais, les banques doivent financer le coût de leur supervision, ce qui n'était pas le cas avec la Commission bancaire. Par ailleurs, un mécanisme prévoira notamment que le coût supplémentaire lié à l'augmentation de la garantie des dépôts, qui était de 70 000 € et qui passera à 100 000 € pour chaque compte à compter du 1er janvier 2011, soit financé par les banques. Enfin, un troisième mode de financement est prévu, afin de faire payer au secteur bancaire le coût de l'assurance systémique, c'est-à-dire celui de la réorganisation ou de la liquidation d'une banque en difficulté. Il semble donc que les banques soient prêtes à consentir des sacrifices pour sauver « leur » système. Cependant, ce propos doit être nuancé dans la mesure où beaucoup de banques françaises sont massivement aidées par l'État à cette date, et ne sont donc pas libres de faire ce qu'elles veulent.

Autorités américaines / autorités européennes 

Par souci de lisibilité, nous avions jusqu'à présent regroupé toutes les autorités de régulation sous un même chapeau. Cependant, pour bien comprendre les revendications, ou plutôt les contestations des banques, il est important ici de distinguer les autorités de régulations américaines et européennes. En effet, nous rencontrons de nouveau le problème de la méthode de calcul des fonds propres de provisions, déjà évoqué dans la partie consacrée à la Banque de France. Les américains utilisaient, et soutiennent encore, la méthode de calcul par le ratio dit d'« effet de levier ». Les autorités de surveillance européennes (par exemple la Commission bancaire en France) le réprouvent dans la mesure où ce ratio ne pondère pas les actifs par le risque qu'ils représentent. En novembre 2009, la plupart des banques, notamment Goldman Sachs, Royal Bank of Scotland, la Deutsche Bank et les banques françaises, se montrent également opposées à ce calcul, puisqu'au total, il les obligerait à immobiliser plus de fonds propres. Ainsi, Baudouin Prot, directeur général de BNP Parisbas, mais aussi président de la Fédération bancaire française, scande : « En tant que banques françaises, nous avons de très grandes hésitations sur le bien-fondé de transposer ce qu'on appelle le ratio de levier, qui mesure de façon simple, voire primitive, l'ensemble des engagements ramenés au bilan des banques ». À titre d'exemple, citons le cas de la Deutsche Bank : les calculs avec les normes européennes et américaines montre un écart de plusieurs centaines de milliards d'euros dans le bilan !

Le cas des banques « too big to fail »

Il semble que ce soient principalement les grandes banques qui soient visées par les autorités de régulation. En effet, celles-ci auraient pris des risques inconsidérés puisqu'ils étaient couverts par l'argent des contribuables. En d'autres termes, même si une grande banque vient à faire faillite, les autorités publiques seront obligées de la secourir afin de juguler le risque systémique : ce que l'on nomme le « too big to fail ». C'est exactement ce qui s'est passé pendant la crise. Les autorités de régulation européennes ont donc entrepris l'établissement de nouvelles normes spécifiques aux grandes banques. Celles-ci sont fermement opposées à des changements de régulation contre-productifs. Rappelons en effet que la Directive d'adéquation des fonds propres (CRD) avait fait l'unanimité parmi les acteurs concernés. Il s'agit à présent de modifier le dispositif prudentiel Bâle II pour réduire les risques systémiques. Indirectement, les autorités de surveillance reconnaissent donc l'insuffisance des normes jusqu'alors existantes.

 

 

 

 

 

Dr Joseph Ackermann, PDG de la Deutsche Bank et président de l'Institute of International Finance

 

Les grandes banques, dans le collimateur des autorités de surveillance, se sont exprimées à l'occasion d'une conférence organisée par la FSA (Financial Service Authority, l'équivalent de la Commission bancaire britannique) le 3 novembre 2009, par la voix de Joseph Ackermann, PDG de la Deutsche Bank et président de l'Institute of International Finance, qui estime qu'« être de grande taille n'était pas nécessairement mal » dans la mesure où les banques « too big to fail » ont eu aussi des effets favorables pour l'économie : elles seules avaient les caractéristiques requises pour accompagner les entreprises multinationales partout dans le monde ou pour financer les opérations d'envergure. Bien qu'il considère légitime d'exiger davantage de capitaux propres des banques, il demande qu'on ne néglige pas l'impact de ces mesures en termes de coût (l'argent qui dort n'est pas investit et donc ne rapporte rien).

Inquiétudes face aux travaux du Comité de Bâle 

En décembre 2009, il apparaît que les banques soient de plus en plus inquiètes par les derniers travaux du Comité de Bâle. Elles jugent même la ligne adoptée par ce-dernier comme plutôt « dure ». Dans ses nouvelles propositions, le Comité veut renforcer la qualité et la transparence du capital de base Tier-1 (noyau dur du capital d'une banque). Le Crédit Suisse qualifie cette mesure de « punitive pour les banques ». De plus, le Comité de Bâle a persisté dans son projet d'introduire le ratio controversé « effet de levier ». Les banques françaises regrettent cette décision inutile et difficilement comparable d'un pays à l'autre tant que les normes comptables ne seront pas harmonisées. Les banques rejoignent donc l'avis de la Banque de France sur la question du ratio « effet de levier » face au Comité de Bâle.

Il semble donc que l'esprit de consensus sur la rédaction des normes si cher à M. Noyer, gouverneur de la Banque de France, ne soit plus de mise.

Les banques européennes engagent un bras de fer sur Bâle III

En mars 2010, les banques n'hésitent plus à se dresser contre le Comité de Bâle au sujet de  la refonte des normes prudentielles. Celles-ci doivent en effet donner naissance au corpus « Bâle III ». Les banques affirment que ce nouveau dispositif menace le financement de l'économie dans son ensemble : « on est en train de tuer le modèle européen, alors qu'il s'en est bien sorti », telle est la réaction d'un banquier français. Rappelons que ces nouvelles normes ont attrait à la solvabilité des banques en améliorant et en renforçant leurs fonds propres et à la liquidité, c'est-à-dire à l'accès des banques au refinancement sur les marchés. Concernant les premier point, les banques estiment que les exigences de fonds propres pourraient les obliger à lever jusqu'à 450 milliards d'euros d'ici à 2012. De plus, la création des « coussins contra-cycliques » (buffers) contribuerait aussi à pénaliser la distribution du crédit. Au sujet des nouveaux ratios de liquidité, les banques avancent que le but recherché, à savoir les inciter à rallonger la durée de leur refinancement, en favorisant l'adéquation entre la maturité des prêts qu'elles accordent et celle de leur propre refinancement, se traduirait dans la pratique par une transformation de leur activité. Elles seraient en fait poussées à financer des actifs courts avec des ressources longues, ce qui aurait des conséquences néfastes sur le financement de l'économie. Par ailleurs, ces ratios pourraient contraindre les établissements européens à lever jusqu'à 1 500 milliards d'euros de dette supplémentaire d'ici à 2012.

Nous remarquons donc que les inquiétudes de décembre se sont transformées en véritable cheval de bataille : les banques ont repris confiance en elles et défendent leurs intérêts, chiffres à la clé. Et ce sont précisément ces chiffres qui donnent le vertige au contribuable. 

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