La Banque de France

La Banque de France fait partie de ces acteurs qui ont joué un rôle central dans la controverse. Nous avons donc cherché à voir quelles étaient leurs convictions au cours du temps, et l’évolution de celles-ci. Pour ce faire, nous avons analysé trois déclarations, faites en trois phases distinctes : avant la crise, pendant puis après la crise. La première date de 2004, les deux suivantes de 2008 puis 2009.

 

Position avant la crise

Nous résumerons dans cet article les conclusions de Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France depuis 2003, à l'issue d'une conférence-débat de l'Association d'économie financière du 24 mai 2004. Celle-ci avait pour ambition un échange de points de vue sur le nouveau dispositif d'adéquation des fonds propres proposé par le Comité de Bâle.

1. Il apparaît tout d'abord qu'après cinq années de travaux sur le nouveau dispositif prudentiel, un large consensus se soit dessiné autour de cette réforme. En effet, l'amélioration des capacités de mesure, de gestion et de couverture des risques est un intérêt commun aux banques et aux autorités de régulation, les uns cherchant à accroître leur compétitivité et à améliorer leurs résultats, les autres étant soucieux de renforcer la stabilité financière. Ce consensus a été rendu possible parce que le dispositif prudentiel a été conçu en impliquant étroitement les banques au travers de diverses consultations. Ainsi, une attention particulière a été portée à rendre le nouvel accord plus sensible aux risques. Ce dialogue étroit doit être préservé dans la mesure où Bâle II est amené à évoluer au cours des prochaines années.

2. Par ailleurs, il semble important de souligner que tous les acteurs, i.e. les autorités de régulation, les banques ainsi que la Commission européenne, aient porté beaucoup d'attention à la rédaction de Bâle II, en particulier à la question de l'égalité des conditions de concurrence. En effet, les modalités d'applications d'une norme solvable peuvent constituer un facteur de distorsion de concurrence, d'où l'implication de la Commission européenne pour assurer l'égalité des conditions de concurrence entre les établissements européens et les autres banques internationales, reflété dans la Directive sur l'adéquation des fonds propres (CRD). Celle-ci, contrairement à Bâle II, va être appliquée à toutes les entreprises d'investissement et pas uniquement aux établissements à crédit, assurant l'égalité des conditions de concurrence des établissements européens. Quant à la distorsion entre les États-Unis, elle devrait rester faible puisque les banques américaines seront soumises aux règles de Bâle II, proche de la directive européenne. À ce stade, il est nécessaire de rappeler que les décisions de Bâle II ne sont que des propositions, chaque État décidant finalement ce qu'il souhaite réellement appliquer. Cependant, il est intéressant de noter qu'en 2008, les accords de Bâle sont appliqués dans plus d'une centaine de pays. L'égalité de la concurrence nécessiterait en outre une harmonisation des pratiques des autorités de contrôle bancaire ainsi qu'une coopération étroite entre ces dernières.

 

3. Le caractère novateur de Bâle II résiderait dans le fait qu'il soit plus complet, plus flexible et plus fin dans l'appréhension et la mesure des risques que son prédécesseur. Plus complet parce que l'ensemble des risques sont pris en compte, à savoir les risques de crédit (à hauteur de 85 % dans le dénominateur du ratio McDonough), les risques de marché (5 %) et les risques opérationnels (10 %). Plus flexible parce que le pilier 1 offre plusieurs options aux banques pour calculer les exigences de fonds propres relatives à leur risque de crédit et opérationnel, c'est-à-dire que certaines banques peuvent, sous le contrôle de leur autorité de tutelle, utiliser leurs propres systèmes internes d'évaluation des risques. Plus fin enfin parce que ces notations internes sont pensées pour être « prospectives » du risque de crédit, ce qui devrait permettre de contenir très largement le risque de pro-cyclicité, c'est-à-dire le risque d'amplification des cycles économiques. On retrouve l'idée de normes prospectives dans les modèles internes de calcul des exigences de fonds propres, puisque ceux-ci devront servir à la fois de données historiques et de données prospectives.. La contribution à la prévention plus rapide et efficace de crises bancaires systémiques et/ou de la faillite de banques individuelles de telles normes prospectives serait alors évidente.

 

4. La réforme de Bâle II structurerait également l'organisation et la conduite des activités bancaires. Elle encouragerait une meilleure gestion du risque car plus l'option retenue sera sophistiquée (donc plus fine et précise), moins les exigences en fonds propres seront élevées. M. Noyer souligne donc l'importance de la mise en place de systèmes d'informations fiables et complets alimentant les modèles qui permettent la mesure du risque de crédit et du risque opérationnel. En privilégiant les approches reposant sur les systèmes de mesure interne des banques, Bâle II est en effet, plus sensible aux risques encourus par ces dernières mais également plus exigeant sur la qualité de leur contrôle interne, qui doit être indépendant, robuste et transparent. Les banques souhaitant utiliser les approches des notations internes devront ainsi respecter des exigences qualitatives en matière de gouvernance d'entreprise, d'audit et de contrôle interne. Le pilier 2 permettrait d'apprécier la robustesse du dispositif dans la mesure où le contrôle interne d'une banque est tenu de revoir les processus d'évaluation au regard de la nature, de l'étendue et de la complexité de leurs activités. Enfin, le troisième pilier du nouveau dispositif impose aux établissements de publier des informations relatives à leur dispositif de contrôle interne tant pour le risque de crédit que pour le risque opérationnel. Ces exigences devraient renforcer significativement l'importance accordée à la qualité du contrôle interne dans l'appréciation de la solidité d'un établissement par les agences de notation. En d'autres termes, les banques ont tout intérêt à « jouer le jeu », au risque de voir leur note se dégrader.

 

5. Pour finir, il s'agit d'analyser l'articulation entre les nouvelles règles comptables élaborées par l'IASB (International Accounting Standards Board) et le nouveau dispositif d'adéquation des fonds propres. En effet, une préoccupation première suscitée par les normes comptables concerne le mode de comptabilisation à la « juste valeur » des instruments financiers, en particulier lorsque ce mode de valorisation est offert à un nombre important d'éléments. On pourrait craindre qu'une grande partie des éléments de bilan soit valorisée à partir de données et de modèles difficilement (crainte d'un manque de transparence) lisibles. Par ailleurs, M. Noyer avance certaines propositions en matières de normes comptables, lesquelles semblerait mal adaptées au mode gestion des banques européennes. Enfin, les règles de provisionnement apparaissent perfectibles pour mieux articuler le prudentiel et le comptable.

 

En somme, il apparaît que la Banque de France, par le biais de son gouverneur, soit favorable à l'application des piliers de Bâle II dans la mesure où il prévient plus efficacement le risque de crédit et le risque opérationnel des banques, et ceci en impliquant directement les banques qui auront la possibilité de s'auto-évaluer. Cette approche pousse en fait les banques à bien mesurer et suivre dans le temps les risques qu'elles encourent. Cependant, en 2004, la Banque de France souligne la nécessiter de mieux articuler les normes prudentielles et comptables, puisque les premières font appel aux secondes pour déterminer les fonds propres à garder en réserve.

Discours pendant la crise

Examinons à présent la position de Danièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire, lors d'une conférence, intitulée « Comment consolider la stabilité financière de l'Europe ? », organisée par le FMI à Francfort le 26 septembre 2008, donc 11 jours après la faillite de Lehman Brothers. Il est important de rappeler que la Comission bancaire est présidée par le gouverneur de la banque de France.

Mme Nouy met l'accent sur le rôle du CEBS (Committee of European Banking Supervisors, le Comité européen des superviseurs bancaires) dans la coordination des activités des différentes autorités de surveillance bancaire nationale à l'échelle européenne. En effet, des problèmes d'harmonisation du contrôle des établissements à crédits se posent lorsque celles-ci sont des multinationales. C'est pourquoi, il existe déjà des Collèges des superviseurs, dont le rôle est de favoriser la coopération des autorités impliquées dans la surveillance des différents composants desdites multinationales. Mme Nouy souligne l'apport des ces Collèges dans le consensus d'adoption de la Directive sur l'adéquation des fonds propres (CRD), correspondant au pilier 1 de Bâle II. Elle corrobore donc les dires de M. Noyer en 2004. Cependant, elle ajoute que ces Collèges seront également un interlocuteur privilégié dans le futur, puisqu'il s'agira de fixer les conditions d'application du pilier 2. La position de cet acteur n’a donc pas changée par rapport à 2004. La Banque de France demeure résolument confiante par rapport au pilier 1, et adopte une position d’attente par rapport au pilier 2.

Les Collèges des superviseurs nécessitent des lignes directrices claires afin de mener à bien leur mission : c'est à ce niveau qu'intervient le CEBS. Ainsi, il conseille et donne des recommandations à la fois aux établissements de crédit et aux autorités de régulations.  Ces conseils sont doublés par l'organisation de colloques durant lesquelles les autorités de régulations s'échangent leurs pratiques. La Commission bancaire, institution française, aurait pleinement intégré cet esprit dans la mesure où elle a organisée des études de cas (exemple de la mission BNP) afin que chaque participant (autorités de surveillance nationales, européennes et banques) se familiarise avec les méthodes des autres. On notera que les frontières entre les différentes échelles ne sont pas imperméables : une multinationale est surveillée par chacune des autorités nationales des pays où elle est présente, un Collège est créé pour en harmoniser le fonctionnement, et parallèlement, le CEBS publie des recommandations.

Mme Nouy tente donc d'expliciter le rôle de la Commission bancaire dans cet imbroglio de « surveillance ». Il semble cependant que la crise ait été plus rapide que la coordination des différentes autorités...

Discours après la crise

Pour finir, nous présentons ici la position de M. Noyer, gouverneur de la Banque de France, au sujet des normes prudentielles, en prenant pour appui un article de la Correspondance Économique paru le 4 novembre 2009.

M. Noyer a en effet mis en garde les députés contre l'adoption d'idées « trop simplistes » en matière de régulation bancaire, alors que l'Europe bataille actuellement avec les États-Unis sur la réforme du cadre de supervision bancaire. Lors du G20 de Pittsburgh (24-25 septembre 2009), les États-Unis ont prôné un renforcement généralisé des fonds propres des banques sur la base d'un ratio d'effet de levier. Celui-ci mesure de façon « simple, voire primitive », l'ensemble des engagements ramenés au bilan des banques. Les Européens, quant à eux, souhaitent suivre les recommandations de Bâle II et donc pondérer les actifs en fonction des risques. M. Noyer a rappelé que l'idée selon laquelle la simple augmentation des exigences en capital pourrait régler tous les problèmes était un leurre. En effet, « la crise montre justement qu'on ne peut pas monter les exigences en capital sans affecter le financement de l'économie » (i.e. l'attribution de crédits).

M. Noyer défend donc l'importance d'un calcul fin des activités bancaires pour mieux apprécier l'exigence en capital propre nécessaire, comme il l'avait déjà affirmé en 2004. Cependant, une appréciation plus fine suppose une complexité accrue, ce qui reste dans la ligne directrice de la Banque de France (cf. le résumé sur 2008). Enfin, notons que ce que l'on pensait acquis, à savoir Bâle II, semble être remis en question par les Américains, alors que le gouverneur y reste attaché.

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