Le poids des individualités
Dans une controverse certaines voix portent plus haut que d’autres. Les débats s’articulent souvent autour de quelques personnalités qui incarnent les différents partis. Mais il arrive que ce rôle de porte-parole soit outre passé. Les personnes finissent par s’impliquer dans ces conflits qui la plupart du temps leur tiennent sincèrement à cœur. Ce niveau d’engagement s’accompagne forcément d’une exacerbation des personnalités. Entrent alors en jeu de nouveaux éléments : arguments ad-hominem, conflits d’intérêts, fierté…
Nous illustrons ici cet aspect en mettant en avant deux figures clefs de cette controverse. Ce qui est loin d’être exhaustif. Par ailleurs nous nous efforçons de ne porter aucun jugement de valeur et d’analyser la controverses avec le plus d’équité possible. Evidemment nous sommes à l’écoute de toutes remarques concernant des propos qui pourraient être jugés comme inconvenants ou dégradants.
Le Maire
M. Christophe Chabot est maire de Brétignolles-sur-mer depuis mars 2001. Si le projet d’un port est bien antérieur à son mandat, il en a fait le fer de lance de son programme.
On sait à quel point il est engagé dans ce projet. S’il tombait à l’eau on imagine aisément qu’il pourrait croire perdre la face. Est-ce facile de rester lucide dans cette situation ?
Bien sûr M. Chabot est au-devant de la scène en tant que Maire. Mais il n’hésite pas à se démarquer et a indéniablement une forte personnalité. Sa parole est franche et il n’hésite pas à répliquer franchement à toute sorte d’agression. Il ne joue pas un rôle modérateur. Ne cherche pas à apaiser le camp adverse. Au contraire il semble se jouer de lui. Ayant l’avantage du statut et des fonds il peut se permettre d’ignorer l’opposition. Cette attitude péremptoire a le don d’agacer encore plus l’opposition.
De plus il véhicule le message qu’il n’y a en fait pas de vraie opposition. Lors d’une interview réalisée par France Culture il détracte ainsi l’opposition et veut faire entendre qu’elle est insignifiante. Voici les idées principales mise en avant.
- On dénombrerait à peine une centaine d’opposants.
- Lors de la dernière manifestation annuelle contre le port on ne recensait que 123 activistes sur 50 000 habitants.
-Les écolos, dont le ministère de l’environnement, ne s’oppose pas au projet une fois qu’ils se sont attentivement penchés sur la question.
- La mairie est victime de la malhonnêteté d’une opposition anonyme, mensongère, et diffamatoire.
Des chiffres erronés sont avancés par l’opposition, ainsi que des affirmations selon lesquelles le port une fois construit sera inutilisable.
Apparaissent des tentatives de démonstration que le port n’aurait pas survécu à la nuit du 27 au 28 février 2010 lors du passage de Xinthia.
Les opposants en plus d’être ignorés sont ainsi discrédités. Ce qui les rend plus nerveux encore. Le débat s’envenime jusqu’à conduire à des procès dont on détaille plus loin l’un d’eux.
En conclusion les individus peuvent jouer un rôle fondamental à eux seuls dans une controverse. Il y avait mille attitudes différentes à adopter en tant que Maire dans pareil cas. Chacune aurait un impact différent sur l’issu de la controverse.
M Bourcereau
M. Jean-Yve Bourcereau est un des opposants au projet. Il se démarque par un blog très fourni entièrement dédié à la lutte active contre le port Brétignollais : Le blog de défense du site de la Normandelière.
Seul il rassemble une multitude de documents, suit au jour le jour l’évolution du projet, et propose finalement une traçabilité de la controverse. Cet ingénieur à la retraite, comme M. Chabot, s’est engagé éperdument dans ce combat. Et sa voix porte. En tout cas elle déstabilise assez le Maire pour qu’il ait décidé de le poursuivre en justice. Ce qui montre qu’il s’est bien senti menacé quelque part.
Un exemple de crispation de la controverse autour de personnalités : le procès qui les opposent.
- Le procès en bref
3 juin 2010 : M. Chabot a fait voter une délibération par son conseil municipal pour citer M.Bourcereau à comparaître pour injures et diffamations devant le Tribunal Correctionnel des Sables d’Olonne.
19 juin 2010 : M. Bourcereau fait parvenir au Président du Tribunal des Sables d’Olonne les grandes lignes de sa défense. Le jugement est renvoyé en novembre.
16 décembre 2010 : Le Tribunal Correctionnel des Sables d’Olonne a débouté Christophe Chabot de toutes ses poursuites et a totalement relaxé M.Bourcereau.
23 décembre 2010 : Christophe Chabot a fait appel du jugement .
1er février 2011 : La Cour d’Appel a envoyé un avis d’audience.
15 février 2011 : Christophe Chabot demande à la Cour qu’elle lui accorde le désistement de l’Appel.
4 mars 2011 : La Cour d’Appel de Poitiers a constaté le désistement de Christophe Chabot et a délivré une ordonnance de désistement.
- Le bilan du procès selon Jean-Yves Bourcereau
« Procédure abusive avérée et jugée , utilisation de fonds publics à des fins privées pour une opération d’intimidation , atteinte à la liberté d’expression , préjudice moral et financier et , en final , Christophe Chabot n’est condamné à rien . Personnellement je ne souhaite pas porter plainte contre Christophe Chabot pour les motifs cités précédemment , je sais qu’il sera sévèrement jugé et sanctionné par la population locale qui ne veut plus être manipulée et qui saura désormais dénoncer le comportement et les méthodes du maire de Brétignolles sur Mer . » (source : blog de M.Bourcereau)
- Dépassement du cadre de la controverse
On se rend compte que le conflit est sorti du contexte de la controverse. Le procès ne porte pas sur le projet du port mais purement sur des conflits entre individus. Deux leaders d’opinion qui défendaient à l’origine des points de vue en sont venus à attaquer directement leur vis-à-vis plutôt que les positions qu’ils représentent. Les arguments ad-hominem l’emportent sur tout autre argument technique, scientifique, économique qui concernent le fond de la controverse.
Des groupes sociaux aux intérêts divergents
Analyse des différents profils dans la population
On distingue clairement des comportements divergents. Si les résidents principaux sont mitigés, les résidents secondaires sont largement favorables au projet portuaire. Il s’agit d’analyser les motivations de chacun, pour ou contre.
- En faveur du OUI :
Résidents principaux : Certains voient dans le port une nouvelle source d’activité. Le Maire dit être conscient de ce sentiment de la population selon lequel Brétignolles est une ville triste hors saison. Et un port saurait redynamiser la commune même au creux de l’hiver en attirant de nouveaux résidents principaux.
Mais aussi c’est une façon de freiner l’urbanisme grâce au revenu du port. Et ainsi limiter l’afflux de nouveaux résidents secondaires. Calcul qui a pu traverser l’esprit de certains qui voient d’un mauvais œil les touristes…
Résidents secondaires : Par essence ils sont plus aisés. Ils sont donc potentiellement plus portés sur les activités de plaisance. Un port ne rajouterait en quelques sortes que de nouvelles opportunités lors de leurs vacances.
- En faveur du NON :
Résidents principaux : Certains installés depuis parfois plusieurs générations sont attachés à Brétignolles comme ils l’ont toujours connu. Ils savent que le port changera de façon irréversible l’âme de la ville et il s’y refusent.
Résidents secondaires : Il est des résidents secondaires qui aspirent aussi à la conservation de l’identité authentique du village. Ils ne sont pas nostalgiques comme des résidents principaux peut-être nés au village. En revanche s’ils ont acheté avant le port, c’est que Brétignolles les avait séduit tel quel. Pour ses balades, ses plages, son centre-ville sans prétention, sa simplicité. Le Maire a la critique virulente envers ce courant de pensée.
Un problème identitaire
A toutes les échelles ce sont les identités menacées qui produisent les violences les plus acerbes. Qu’il s’agisse des partis d’extrême droite en Europe, du conflit israélo-palestinien, ou…du port de Brétignolles.
Les Français du terroir craignent de voir leurs traditions bousculées par les populations issues de l’immigration. Les Palestiniens se battent car ils ne veulent pas voir leur peuple s’éteindre à petit feu après que la création de l’Etat d’Israël a amputé leur territoire. Dans ces deux cas les hommes se sentent menacés dans leur identité. Car leurs us et coutumes, leur mode de pensée et leur mode de vie sont confrontés plus ou moins directement à d’autres. Et la comparaison à ces autres modèles risque de faire évoluer le leur voire le faire disparaître.
Qu’en est-il pour Brétignolles ? En fait il faut bien voir que le port changera radicalement l’identité du village. Vu la demande pressante pour des anneaux de port, c’est toute une population nouvelle qui envahira très vite Brétignolles.
A propos du manque de place dans les ports français (source: Novetic)
« Le cas Brétignolles illustre la problématique globale des ports de plaisance en France où
l’on manque cruellement d’anneaux », estime le président de Vendée écologie Nicolas
Hélary.
Selon le ministère des Transports, il y aurait 4.5 millions de plaisanciers en France, propriétaires ou locataires de 789.000 bateaux répartis dans 370 ports. Mais il manquerait encore quelque 65 000 places. Résultat ; même si le nombre de sorties d’un bateau n’est guère supérieur à 2 fois par an, selon les ports, la durée d’attente d’un anneau varie de quelques mois à…30 ans, à Arcachon ! En Vendée, il s’agit plutôt de quelques années et les ports de plaisances (7) se sont encore développés ces dernières années : on compte 6446 places aujourd’hui soit 2500 de plus qu’en 2004 grâce à l’agrandissement de ports existants. A voir cependant quel sera l’avenir du marché de la plaisance -très installé en Vendée avec les constructeurs Janneau et Bénéteau- durement touché par la crise.
Des propriétaires de yacht s’installeront sûrement en ville. Les plaisanciers, même locataires, peupleront le village à la belle saison. Plus riches que la population moyenne actuelle, de nouveaux types de commerces et activités naîtront. Plus adaptés à leurs besoins. De sorte que l’esprit du village sera transfiguré.
Voilà en quoi l’identité des Brétignollais est menacée. Ce qui provoque des réactions désespérées. Citons le cas des lettres de diffamation commenté par le Maire :
« au bout de quelques semaines que ce projet a été lancé, des tracts anonymes ont circulé la nuit, la nuit dans Brétignolles-sur-mer comme quoi le maire avait déjà acheté tous les terrains autour et qu’il allait après faire une opération de promotion immobilière personnelle »
Conclusion
La seule option qui peut sembler juste est le vote démocratique. Il n’y a qu’à laisser les prochaines élections décider en faveur du plus grand nombre. Le Maire sera-t-il sanctionné comme le prétend M.Bourcereau, les citoyens plébisciteront-ils la poursuite du projet ? Rendez-vous en 2014.