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Le 26 janvier dernier, René Habert et son équipe, des scientifiques français, démontraient pour la première fois les effets délétères du bisphénol A sur les cellules testiculaires d'embryons humains. C'est l'ultime rebond d'une controverse qui anime la communauté scientifique depuis plus de vingt ans. Autour de cette molécule gravitent un grand nombre d'interrogations qui portent tantôt sur les doses acceptables tantôt sur la nécessité de l'interdire dans les produits du quotidien.
Une machinerie complexe qui se nourrit aussi bien de résultats scientifiques, d'opinions publiques, de lobbies industriels ou de décisions législatives s'est mise en marche. La mobilisation se fait sur tous les fronts. Depuis l'émergence des premiers doutes de la nocivité possible de la molécule, des associations se forment pour dénoncer un risque trop grand. Face à elles, les agences sanitaires s’attellent au tri titanesque d'études scientifiques aussi nombreuses que contradictoires. Les industriels, quant à eux, doivent réagir : soit en tentant de démontrer l'innocuité de la molécule, soit en développant des substituts. Et, tandis que le débat gagne en ampleur, les instances législatives et les sphères politiques s'agitent. Le 13 décembre dernier, le Sénat statue : le BPA sera supprimé des contenants alimentaires en 2015 et dès 2013 si les denrées sont destinées aux bébés.
La controverse du bisphénol A a aussi ceci de particulier qu'elle présente des similitudes avec de nombreux autres problèmes de santé publique. Amiante, médiator ou antennes relais sont autant de cas similaires par leur forme : un monde scientifique en désaccord, une population qui gronde pour défendre ou condamner et des pouvoirs publics qui se doivent de réagir. Face à cette nécessité d'apporter des réponses au plus vite, le débat sur le BPA inclut ainsi ces notions de principe de précaution et de prise de risque.
Mais surtout, derrière ce fourmillement d'opinions et de décisions, se dessine l'ombre d'autres débats. Les groupes de pression industriels interfèrent-ils avec le monde scientifique afin de faire pencher la balance en leur faveur ? La législation répond-t-elle seulement de façon mécanique à une opinion publique toujours plus inquiète et comment interpréter une stabilisation politique et législative qui semble consacrer la dangerosité du BPA ? La controverse force même à aller interroger la pertinence des données scientifiques. Quelles méthodologies sont utilisées ? Comment transposer à l'homme des tests réalisés sur des animaux ? Le mécanisme de création des seuils de tolérance est-il arbitraire ou justifié ?
On touche ici à un processus délicat : la production de l'objectivité. Tout l'enjeu de cette controverse est bien de faire émerger et accepter un attribut dominant pour le bisphénol A. Dès lors, notre équipe a choisi de se pencher sur la question qui sous-tend tous les débats :
Au terme de quel processus le qualificatif "dangereux" s'impose-t-il ?