Les enjeux d'une controverse sanitaire : principe de précaution et prise de risque
Lorsqu'il s'agit de santé humaine, la prudence est de mise. Cependant, dans le cas des perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A, le manque d'informations vient se heurter à une nécessité croissante de faire émerger une qualification dominante pour la molécule. Une fragile balance sous-pesant principe de précaution et prise de risque oscille alors au gré de la publication de nouvelles études ou de l'inquiétude grandissante des citoyens.
La publication d'articles sur le bisphénol A est assez variable et est grandement liée aux événements majeurs de l'évolution de la controverse : définition et adoption d'un projet de loi, résultats d'une nouvelle étude, etc. Ce sont ces articles qui permettent au grand public de se faire une opinion sur la question.
Bisphénol A et principe de précaution
La précaution est une marge de sécurité visant à hâter la prise de décisions et ce, même sans preuve scientifique. Quand ni l'ampleur ni la probabilité d'occurrence ne peuvent être calculées rigoureusement, les pouvoirs publics et les institutions n'hésitent donc pas à devancer la science pour mettre à mal tout risque. Mais qu'en est-il du bisphénol A ? Les effets néfastes du BPA sont aujourd'hui avérés chez l'animal et incluent des troubles de la fertilité, de l'immunité ou du système rénal. Cependant, ils ne sont que suspectés chez l'homme. Face à un tel constat, la carte du principe de précaution est avancée : le Sénat français vient de voter l'interdiction de la substance dans tous les contenants alimentaires d'ici 2015 (il s'agit de la première source de contamination). Ces décisions, alors même qu'aucune expérimentation actuelle n'a apporté de preuve tangible de la nocivité du produit chez l'homme, s'inscrivent complètement dans un processus de prévention des risques.
La densité de recherche sur le web montre un pic d'intérêt pour bisphénol A en avril 2008 et une tendance qui baisse progressivement depuis, avec quelques sursauts d'intérêt liés aux événements marquants de l'évolution de la controverse.
Troquer des risques contre d'autres risques
Statuer sur la dangerosité d'une substance sans appui scientifique n'est cependant pas sans risques. Si cela permet de rassurer les populations et d'échapper à un possible scandale sanitaire, cela peut également avoir de graves conséquences. En vérité, la molécule de bisphénol A, de par sa nature, pose de réels problèmes. En effet, quand il peut paraître facile de balayer doutes et inquiétudes en interdisant un produit facilement substituable ou de confort, il n'en est rien quand il s'agit d'un composé répandu et dont les utilisations sont nombreuses. Or, on trouve le bisphénol A dans les résines époxydes mais aussi dans les PVC ou dans les bonbonnes à eau. Utilisé aussi comme antioxydant, ses rôles sont si multiples que son interdiction nécessite le développement d'un grand nombre de substituts différents. Ainsi, l'interdiction de la substance enclenche un processus forcé et précipité d'émergence de remplaçants effectifs pour le BPA. Pire, le risque est de voir là arriver sur le marché des produits dangereux dont la nocivité n'aura pas été testée. Il s'agira alors de faire face non pas à un phénol potentiellement dangereux mais à une batterie de substances aux effets encore inconnus. Plus que de trouver impérativement des substituts dont l'impact sanitaire serait inconnu, la précaution par l'interdiction motive également la naissance de possibles risques commerciaux puisqu'elle limite les exportations de certains produits vers la France. Enfin, certains acteurs argumentent en défaveur d'une politique de santé publique reposant sur le principe de précaution puisqu'elle menace à terme l'innovation.
La précaution : une réponse mécanique ?
Le principe de précaution, malgré les risques qu'il présente dans le cas du BPA, vient en réponse à un public toujours plus inquiet. La demande de clarté et de transparence exige une prise de décision immédiate et précipite le travail parlementaire. Il s'agit aussi de répondre à une peur commune du risque. Dès lors, est-ce pour autant que les gouvernements ou agences sanitaires agissent seulement mécaniquement en seule réaction aux pressions publiques ? En réalité, ce serait nier une étape du processus. Car si les pressions extérieures peuvent indubitablement orienter le regard des pouvoirs publics ou des agences de santé, il n'en demeure pas moins que des études sérieuses sont ensuite commandées afin de statuer sur le problème. En France, dans le dossier du bisphénol A, la commission des affaires sociales s'est réunie, et après de nombreuses auditions et concertations, a rédigé un texte de loi adapté.
De la recherche d'un équilibre
Deux choses apparaissent clairement. D'une part, le principe de précaution est à double tranchant : il permet de protéger des populations inquiètes sans attendre les preuves scientifiques mais il enclenche aussi une série de processus qui peuvent à terme changer la nature du risque. D'autre part, le principe de précaution est au centre d'un véritable carrefour d'acteurs : politiques, opinion publique, industriels viennent tantôt attiser tantôt retarder sa mise en application. Parallèlement, un débat réel sur la gestion du temps s'amorce : comment trouver un juste équilibre entre rapidité et réflexion ? Dans le cas du bisphénol A, il semble qu'il faille d'abord protéger au plus vite les individus les plus vulnérables aux perturbateurs endocriniens. C'est dans cette optique que le Sénat a avancé l'application de la loi d'interdiction à 2013 pour les emballages alimentaires destinés aux bébés. À l'opposé, la mise sur le marché et le remplacement du bisphénol nécessite une concertation réfléchie et ne doit pas être précipitée. Le Sénat a laissé jusqu'à 2015 aux industriels pour revoir leur production et proposer des solutions alternatives. Seul l'avenir saura dire si ce délai sera suffisant pour que des études sérieuses soient menées sur les nouveaux produits.