Les preuves à l'épreuve
L'occasion de plonger au coeur de la controverse en s'intéressant aux preuves qui, unifiées et validées, permettent de statuer sur un qualificatif propre au BPA. Car si les preuves sont sémantiquement rattachées à l'objectivité, elles se doivent, quand la réalité supplante le sens, d'être revues et "testées". Ce raisonnement éclaire ainsi les différents processus de mise à l'épreuve des justificatifs et des raisonnements.
La méthodologie : analyse de la clef des débats
Un élément clef de l'argumentation des débats scientifiques est l'expérimentation. Cette confrontation de la théorie à la réalité est souvent considérée comme l'achèvement ultime d'une théorie, qu'elle l'approuve ou la démonte. Toutefois, il est important de voir les dessous de cette étape en détail. On dirait communément "il suffit de faire", mais tout le problème se situe dans la réduction lexicale du faire. La mise en œuvre d'une expérience nécessite un protocole strict, vérifiant certains critères permettant de passer du stade de bricolage de laboratoire à celui d'expérience scientifique. Aussi ce protocole, qu'on appelle méthodologie, doit-il satisfaire à certaines règles épistémologiques.
Voir au-delà des conclusions
L'expérience est en effet bien plus que ses résultats. Elle est aussi et surtout sa méthodologie, car c'est elle qui porte la rigueur scientifique. Là se trouve d'ailleurs la clef des débats : contester la méthodologie d'une expérience, c'est remettre en cause la validité des conclusions tirées. Et c'est précisément ce qu'on observe dans la controverse sur le BPA : les experts mandatés par les industries plastiques et publiant des rapports sur l'innocuité de la molécule, entrent en conflit avec des scientifiques qui trouvent des résultats a priori contraires. Comment est-ce possible ? Le problème vient de ce que c'est la méthodologie qui diffère, rendant incomparables les conclusions des études menées par les deux parties.
Bonnes méthodologies : des gages de bien-fondé ?
En effet, le domaine de la toxicologie, et a fortiori celui des perturbateurs endocriniens, possède de nombreuses conventions pour déterminer des seuils officiels de dangerosité tels que la DJA (Dose Journalière Admissible). Prenons un exemple qui sera développé dans la suite des "preuves à l'épreuve" : les pratiques sanitaires ont consacré une méthode bien précise pour déterminer la concentration de toxicité d'un constituant pour un être humain. On considère la concentration toxique pour des rats, que l'on divise par dix pour tenir compte de la différence de sensibilité entre les deux espèces, et puis par un autre facteur dix pour se prévenir de la variabilité des individus.Toutefois, même ces conventions établies, il reste de nombreuses inconnues quant à la façon dont doit être menée une expérience visant à déterminer ladite concentration :
L'exposition doit-elle être aigüe ou prolongée ?
Quels sont les indicateurs à surveiller ?
Quels cobayes utiliser ?
Le BPA : un statut particulier qui complexifie les interprétations
À cela s'ajoute le fait que le BPA n'est pas un poison au sens usuel du terme, mais bien un perturbateur endocrinien, ce qui signifie qu'il peut mimer l'action d'hormones (en particulier les œstrogènes). Les hormones ne sont évidemment pas des substances chimiques quelconques : leur incidence n'est pas toujours croissante avec leur concentration. On montre même que beaucoup d'hormones humaines ne vérifient pas du tout cette règle voire qu'elles la contredisent. C'est ainsi que pointe une première question en termes de méthodologie : faut-il redéfinir les standards de toxicologie pour le BPA ? Et cette remise en cause peut-elle être la conséquence d'une réévaluation des méthodes pour tous les perturbateurs endocriniens ? Une première piste de réponse est donnée par l'ANSES, l'agence française de sécurité sanitaire, qui dans un avis du 9 avril 2013 cherche à apporter "une évaluation des dangers d’autres composés de la famille des bisphénols et un rapport sur les incertitudes entourant les perturbateurs endocriniens" (voir la page).
Corroborer par la répétabilité
Un autre critère important concernant l'expérimentation est sa reproductibilité. En effet, une expérience que l'on peut reproduire est une garantie de sa fiabilité, et c'est précisément ce que l'on reproche à certaines expériences de pointe. Celle de René Habert, chercheur émérite qui propose des résultats de premier intérêt, est difficile à reproduire de par l'exclusivité de la méthodologie utilisée. Unique au monde, le protocole impose comme objet d'étude des testicules fœtaux difficiles à obtenir et à maintenir en vie. On peut donc aussi aisément attaquer les conclusions de certains travaux complexes sur le champ justifié de la reproductibilité. Ne pas être en mesure de "vérifier", c'est émettre des réserves quant à la pertinence de résultats.
La méthodologie doit porter les arguments et non le débat
La méthodologie est donc un point important de la mise en place d'une expérience, car elle constitue aussi bien un point de faiblesse qu'une base solide à l'argumentation. Il est donc nécessaire d'y subordonner les conclusions tirées, et non le contraire, au risque de pécher par sur-interprétation. Une méthodologie clairement détaillée et qui reflète des mises en situation proches de la réalité permet d'appuyer efficacement une thèse (d'un côté ou de l'autre de la controverse), tant qu'elle situe l'expérience en question dans un contexte assez resserré. Il y a alors moins de possibilités que sa validité soit remise en cause. Quand ce n'est pas le cas, le débat peut rapidement dégénérer. Il se mue en échange dont l'intérêt décroît à mesure que les efforts sont fournis pour dénoncer la méthodologie d'un hypothétique camp adverse.
Le prolongement naturel entre méthodologie brute et conclusions de nocivité chez l'homme est assuré par les mécanismes de transposition des résultats de l'animal à l'être humain. Pourquoi sont-ils eux-aussi un ressort de la controverse ?