Cours "Description de Controverses" de MINES ParisTech
Comment définir l’EHS ?
Votre première étape pour comprendre les possibles dangers de cette hypersensibilité dont vous parlent vos employés, c’est de connaître sa définition même. Vous allez donc parcourir la documentation scientifique dans le but de clairement poser une définition de cette « maladie ».
Le problème de définition est récurrent dans la controverse de l’électrohypersensibilité. Comment définir cette pathologie ? Comment prouver son statut de maladie ? Est-ce une maladie ? Est-elle d’origine psychologique ou physiologique ? Toutes ces questions, ainsi que la manière de prévenir son développement au sein de la population, forment le corps de débat de la controverse. Ici, on s’intéressera aux étapes qui mènerait à une définition de l’EHS. Dans le corps médical
Pourquoi s’intéresser au corps médical ? Car c’est la définition qu’il adoptera qui sera par la suite utilisée par les instances gouvernementales. Des modifications de cette définition restent cependant possibles, souvent demandées par les associations de soutien aux électrohypersensibles. Ce sont notamment ces associations qui sont à même de confronter la définition médicale avec la réalité rencontrée [1]
, il existe 3 étapes, non-nécessairement successives, permettant d’aboutir à une compréhension totale de la maladie. Celles-ci sont :
La symptomatologie, c’est-à-dire le référencement de l’ensemble des symptômes présentés par les électrohypersensibles.
La compréhension des causes, physique, physiologique ou psychique, à l’origine de ces symptômes.
La quantification de la relation dose-effet. Dans notre cas, il s’agirait de déterminer la puissance des symptômes lorsqu’on augmente le taux d’exposition aux ondes électromagnétique.
Chacun de ces points est actuellement sujet à étude. Les publications en la matière sont des moteurs de la controverse, la relançant à chaque fois mais avec des résultats souvent mitigés. « 44 études ont été réalisées sur l’humain, dont 20 montrent des effets et 24 n’en montrent pas. »[1]. Nous allons ici nous intéresser à la difficulté de poser une définition satisfaisant sur le phénomène d’électrohypersensibilité.
La définition de l’EHS est une sujet qui apparaît de plus en plus dans divers médias, et en particulier dans la littérature scientifique, comme le montre le graphique ci-dessous.
Evolution temporelle de la controverse sur Web of Knowledge
Ces données en sortie de WoK (Web Of Knowledge) semblent montrer une augmentation linéaire des publications sur le sujet mais il existe tout de même un gap entre l’avant 2006 et l’après 2006. On peut donc parler d’une prise de conscience scientifique à partir des années 2000. D’ailleurs, les grands rapports d’agences gouvernementales et inter-gouvernementales sont publiés après 2006: le rapport de l’Afsset, Bioinitiative, Interphone, etc.
Les associations d’EHS ne proposent pas de définition elles-mêmes. Elles laissent cette tâche au corps médical. Elles s’assurent cependant, par diverses actions, de l’indépendance des recherches sur la définition.
ont pu recenser de nombreux symptômes. Trop nombreux : “EHS is characterized by a variety of non-specific symptoms that differ from individual to individual.”[3]
Afin de parler de maladie, il faut que ceux-ci soient homogènes d’un patient à un autre. Or dans notre cas ils diffèrent d’un patient à l’autre. Tous affirment être sensibles aux ondes électromagnétiques, mais cette sensibilité s’exprime d’une manière différente selon la personne : pour certains, ce sera une migraine, pour d’autres, une réaction allergique. Elle prendra également des degrés divers, allant d’une douleur bénigne à une souffrance intense conduisant le patient à s’isoler du reste du monde.[4]
L’identification des symptômes est également rendue difficile par leur nature même. Les effets recensés de l’électrohypersensibilité sont en effet partagés par de nombreuses autres maladies ou ne suffisent pas à définir une unique maladie. Certains scientifiques se sont par ailleurs avancés sur l’existence d’un éventuel « mal du siècle ».[5][6] Il serait issu d’une phobie de la technologie, d’une peur d’un monde qui évolue trop rapidement. C’est une des principales raisons faisant pencher la communauté scientifique vers une explication psychologique de la maladie.
Actuellement, différentes études scientifiques continuent à recenser les symptômes des patients. Notamment, en France, à l’hôpital Cochin, étude menée par le Pr. Choudat, à l’hôpital européen George Pompidou par le Pr. Belpomme. Une synthèse de tous les travaux de symptomatologie a également été réalisée par l'Anses
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est l'agence nationale française chargée de la sécurité sanitaire. (Définition Wikipédia)
(alors dénommée AFSSET) en 2009 [3]. Cette dernière synthèse des travaux sur l’électrohypersensibilité devrait permettre d’avancer plus efficacement dans l’avenir : « Un progrès vient d’être accompli avec la quantification de ces symptômes et leur regroupement en composantes. L’harmonisation des méthodes utilisées laisse espérer la mise au point d’un outil diagnostic acceptable. »[2] Cependant ces études restent souvent très décriées. [1]
A cause de cette multitude de symptômes, il est délicat de proposer une définition acceptable de la pathologie. La définition la plus récente a été proposée par l’OMS : « The term « Idiopathic Environmental Intolerance (IEI) with attribution to EMF » was proposed by the working group to replace EHS since the latter implies that a causal relationship has been established between the reported symptoms and EMF. »[3]
Cependant, la relation causale dont il est question reste encore à prouver selon une large partie de la communauté scientifique. De plus, la définition reste trop floue aux yeux des cliniciens qui ne disposent pas de critères adéquats pour détecter l’hypersensibilité. [7][8]« More than ten years later, this concept remains uncertain, evolving and somehow confusing. The alternative term “idiopathic environmental intolerance (IEI) with attribution to electromagnetic fields (EMF)”, proposed by World Health Organization (WHO), did not help to clarify the question.» [9]« Idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (IEI-EMF) remains a complex and unclear phenomenon, often characterized by the report of various, non-specific physical symptoms (NSPS) when an EMF source is present or perceived by the individual. »[10]
Une définition trop vague et des symptômes multiples sont à l’origine d’une description partielle et insatisfaisante sur le plan scientifique. Comme elle n’est pas reconnue par tous, les études réalisées se basent sur certaines hypothèses et sur une définition parmi toutes celles possibles. De fait, elles ne peuvent pas être reconnues de toute la communauté scientifique.
La définition de l’EHS est toujours débattue. Des groupes de travail tentent de dégager une définition qui satisferait à la fois la communauté scientifique et les associations d’hypersensibles. Aujourd’hui, la question de définition a cependant tendance à être délaissée au profit d’une recherche des causes.
Malgré ces recherches, et bien que vous soyez un peu plus avancé dans votre connaissance de l’EHS, il n’en reste pas moins que sa définition est floue. Néanmoins vous continuez vos recherches pour maintenant vous tourner vers un point central de la controverse : comment prouver l’existence de l’hypersensibilité ?
[1] Puissance Plume, « L’Etude Cochin-Choudat sur les EHS : revoilà le négationnisme institutionnel ». 29 février 2012, 10pages. Disponible à l’URL suivante : http://www.p-plum.fr/IMG/article_PDF/article_a224.pdf
[2] Groupe de travail Radiofréquence, « Mise à jour de l’expertise relative aux radiofréquences », saisine 2007/007, rapport d’expertise collective. Octobre 2009. 469 pages.
[4] s.n., « Elles fuient les ondes dans une grotte du Vercors », L’Humanité, 2/01/2012
[5] Vergriette, entretien du 17/01/2013
[6] Development and Evaluation of the Electromagnetic Hypersensitivity Questionnaire. Stacy Eltiti, Denise Wallace, Konstantina Zougkou and al.
[7] Stephen J. Genuis, Christopher T. Lipp. Electromagnetic hypersensitivity: Fact or fiction? Science of the Total Environment Vol 414 (2012) p.103–112
[8] SERGENT Denis, » Le syndrome d’intolérance aux ondes est-il avéré ?; débat. Qu’est-ce qu’un champ électromagnétique ?; Dominique Belpomme cancérologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Denis Zmirou. Professeur de santé publique à l’université de Nancy », La Croix, 21/04/2009, n°38340, rubrique Sciences & Ethique.
[9] Jean-Pierre Marc-Vergnes, Comptes Rendus Physique, Volume 11, Issue 9-10, November 2010, Pages 564-575, Electromagnetic hypersensitivity: The opinion of an observer neurologist (Hypersensibilité électromagnétique : Réflexions d’un observateur neurologue)
[10] BMC PUBLIC HEALTH Volume 12, Christos Baliatsas, Irene Van Kamp, Erik Lebret and G James Rubin