Des annonces… controversées

Tout comme la presse, la littérature scientifique peut connaître des emballements, parfois remis en cause peu de temps après. Un exemple en particulier est mentionné par Yann Mambrini dans l’entretien qu’il nous a accordé et dans l’article d’Azar Khalatbari [1] : les recherches sur une particule de masse 750 GeV dont on a commencé à parler dans la presse en mars 2016.

Les faits rapportés sont alors les suivants : les deux détecteurs CMS et ATLAS placés sur le LHC ont alors détecté une particule deux fois plus lourde que le boson de Higgs, soit d’une masse de 750 GeV. En réunissant toutes les données du LHC, un niveau de confiance de 3,4 σ était atteint pour CMS.

Que signifie cet indice de confiance ? Lors de la répétition d’une expérience, les résultats obtenus suivent souvent une loi normale, c’est à dire qu’ils ont la répartition suivante :

La déviation standard caractérise l’écart d’un résultat avec la moyenne. D’après la loi normale, 68,3 % des résultats auront une déviation standard de moins de 1 sigma. Formulé autrement, 31,7 % des résultats seront des erreurs statistiques. Une déviation standard de 1 sigma signifie donc qu’il y a une probabilité 31,7 % que le résultat considéré soit une erreur statistique.

Voyons maintenant les pourcentages liés aux autres déviations standards :

Courbe de distribution normale montrant l’écart type par M. W. Toews

Un niveau de confiance de 5 sigmas signifie donc qu’il y a seulement une probabilité de 0,00006 % que le résultat soit une erreur statistique.

Pour plus de détail sur la déviation standard.

L’excitation est venue du fait que personne n’avait prédit la détection de cette hypothétique particule, qui aurait pu être la particule recherchée. Cependant, 6 mois plus tard, le niveau de confiance retombe à 1 sigma, décevant beaucoup de chercheurs.

Quels ont été les effets de cette émulation dans la communauté scientifique ? Ce monde est compétitif. Le nombre de papiers publiés est important dans la carrière d’un chercheur, et ces publications doivent se faire le plus tôt possible :

En tant que théoriciens, on doit faire un modèle et publier avant 5 sigmas parce que sinon à 5 sigmas c’est déjà une compétition mondiale, tout le monde saute dessus.

Y. Mambrini

La découverte du boson de Higgs, anticipée bien avant, n’avait donc pas suscité d’émulation particulière. La publication sur la particule de 750 GeV a été différente. De fait, avant l’article de A. Khalatbari, plus de 200 propositions théoriques ont été divulguées pour expliquer ces observations. [1]

C’était un gros gros stress, on ne dormait pas parce qu’il fallait qu’il sorte juste le lendemain de la conférence.

Y. Mambrini

Mais les conséquences pourraient être plus profondes que celle de la compétition scientifique selon Y. Mambrini :

C’est vrai que là c’est un exemple d’un gros flop qui a fait du mal je pense à notre communauté. Est-ce que c’est un contrecoup de l’année dernière, des folies de l’année dernière… Je ne sais pas.

Y. Mambrini

Est-il légitime de publier dès un niveau de confiance de 3,4 sigmas ? D’après Y. Mambrini, un niveau de 5 sigmas n’est même pas une garantie d’une découverte dans son domaine d’étude :

En physique des particules des accélérateurs ça a un sens parce qu’on connaît le bruit de fond, le modèle standard donc on sait à combien on est au dessus du modèle standard. En astro, ce n’est pas le cas parce qu’on ne sait pas comment marche un pulsar, une supernova. Par définition, on n’a pas l’objet sur nous donc on n’a pas un modèle théorique de chaque objet. Quand on a un excès ça peut être soit la matière noire évidemment, soit le modèle du bruit de fond, modèle standard qui n’est pas vraiment très connu.

Y. Mambrini

Si scientifiques et journalistes sont si fébriles à l’idée de publier sur une découverte prometteuse, il faut se dire que c’est peut-être ce qui persistera le plus dans la mémoire de leurs lecteurs, bien devant les échecs et corrections apportées par la suite. Dès lors, l’importance d’avoir un critère rigoureux discriminant une détection d’une erreur de mesure est primordiale.

En attendant de trouver un tel critère, le débat sur la matière noire se poursuit dans la presse, et donne lieu a des annonces optimistes fréquentes sur la matière noire, au fur et à mesure que la précision des dispositifs expérimentaux s’améliore.

Bibliographie :