Langue et constructions sociales
Quand il s’agit du lien entre langue et société, deux grandes écoles s’affrontent. La première affirme que la langue reflète la société mais n’en est qu’une conséquence et que la modifier ne saurait avoir d’influence significative sur les rapports sociaux. La seconde défend au contraire l’idée que la langue est un des moyens par lesquels les moeurs et mentalités peuvent être changées.
Parmi les premiers cités le sociolinguiste Louis-Jean Calvet a déclaré:
« Il y a ici une illusion selon laquelle on peut changer les rapports sociaux avec la langue. »
Il cite les Etats Unis où la substitution du terme « African Americans » à celui de « Blacks » n’a en rien amélioré la situation des Noirs américains. D’autres individus s’appuient sur le fait que les inégalités de genre ne sont pas moins marquées dans les pays anglophones bien qu’il n’y ait pas de distinction entre les deux sexes dans leur langue. La professeure de lettres Sadia Pamart juge que le débat autour du sexisme de la langue est démesuré par rapport à son impact véritable sur la société:
« L’égalité ne se gagne pas avec la langue et l’écriture. Elle se conquiert dans les esprits, les comportements et les actions. Marquer la langue n’imposera pas l’égalité dans les foyers ou au travail, ce n’est qu’une confusion supplémentaire, la bataille est ailleurs, dans l’éducation et l’instruction. »
Partant du postulat selon lequel la langue n’a pas d’impact sur les constructions sociales, la volonté de réformer la langue ne proviendrait donc que d’une susceptibilité d’une partie de la population et ne serait pas défendable rationnellement. Ce caractère fortement susceptible de nos sociétés modernes est une critique souvent formulée par le philosophe Raphaël Enthoven.
Les opposants de cette vision prétendent que marquer la langue permettrait de changer les mentalités et la manière dont on se représente les sexes dans notre société. Brigitte Grésy, sécrétaire général du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, défend cette idée, affirmant:
« C’est la langue qui dit le monde et la langue crée un système de réprésentation et c’est important que les femmes y soient. »
Ces propos sont appuyés par les résultats d’études commanditées par l’agence Mots-clés dont le président Raphael Haddad est un fervent défenseur d’une réforme de la langue.
Champions et championnes
Formulation genrée
« Citez deux champions olympiques »
Formulation inclusive
« Citez deux champions ou championnes olympiques »
Formulation inclusive
« Citez deux personnes ayant été championnes olympiques »
Écrivains et écrivaines
Formulation genrée
« Citez deux écrivains célèbres »
Formulation inclusive
« Citez deux écrivains ou écrivaines célèbres »
Formulation inclusive
« Citez deux personnes célèbres pour leurs écrits »
Présentateurs et présentatrices
Formulation genrée
« Citez deux présentateurs du journal télévisé »
Formulation inclusive
« Citez deux présentateurs ou présentatrices du journal télévisé »
Formulation inclusive
« Citez deux personnes présentant le journal télévisé »
Ces résultats semblent montrer l’influence de la langue sur les représentations mentales de la place des femmes dans la société. Or d’après Brigitte Grésy, ce changement est nécessaire pour permettre aux femmes de s’accomplir:
« L’essentiel c’est que il y ait une visibilité donnée aux femmes à tous les niveaux, à tous les postes, à tous les champs de la société pour donner aux filles des modèles identificatoires, pour qu’elles se sentent à leur place dans le monde. »
Il est donc nécessaire d’après Brigitte Grésy de permettre aux femmes, par le moyen de la langue de se sentir à leur place dans des positions qui leur sont, dans notre société, plus difficiles d’accès.
Rendre possible ces identifications permettra de générer les changements de comportement qui ultimement nous rapprocheront d’une situation d’égalité entre les genres.
Représentation féminine dans la langue
Le raisonnement selon lequel il n’y aurait pas de sous représentation féminine dans la langue car dans la plupart des cas le masculin peut avoir valeur de neutre et représenter les deux genres est remis en question par l’académicien Michel Serres :
« Un des arguments affichés pour que le masculin l’emporte sur le féminin, est que le masculin joue le rôle du neutre, absent de la langue française. Aucun traité de linguistique ni de grammaire ne relate cette absurdité»
Cette prédominance du genre masculin peut engendrer une impression de non visibilité du genre féminin dans la langue française. Dominique Bona, l’une des cinq académiciennes à siéger au sein des , a fait part de son sentiment personnel à ce sujet:
« Depuis que je suis à l’Académie, j’ai de plus en plus ce sentiment de non-représentation de la femme dans la langue »
Une utilité contestée
L’écriture inclusive a été crée afin de pallier les problèmes de représentation féminine dans la langue française. En effet selon les défenseurs de cette écriture, la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » réduit considérablement la visibilité du genre féminin dans la langue française. Cette considération ne fait pourtant pas l’unanimité et est contestée par ceux qui considèrent que le masculin joue le rôle du genre neutre dans la langue française et représente donc les deux genres dans les cas où la règle mentionnée ci-dessus s’applique. C’est la position de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, qui s’est exprimé aux micros de France Inter :
«Même en cours de grammaire, monsieur le ministre, est-ce que vous comprenez que des enseignants puissent avoir du mal à dire « le masculin l’emporte sur le féminin » ?», lui demande Nicolas Demorand. «Je pense qu’il ne faut pas le dire ainsi, répond Jean-Michel Blanquer. Il faut dire : au pluriel cela s’accorde au masculin, qui dans la langue française est la forme neutre.»
Même parmi ceux qui considèrent qu’il existe effectivement une sous représentation féminine dans la langue, l’utilité de l’écriture inclusive est remise en question comme un sujet secondaire par rapport à d’autres problématiques sociétales liées à la condition des femmes. Brigitte Grésy, Secrétaire Général du Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle, dit à ce sujet : « Certains disent que nous nous occupons de queues de cerise avec ces histoires de langage, ce qui est important c’est la précarité du travail, des temps partiels, etc. » Cet argument est souvent accompagné d’un second qui avance que seulement modifier la langue n’aurait aucun impact sur les mœurs et que le débat sur l’écriture inclusive est par conséquent dénué d’intérêt.