Depuis la prolongation de l’autorisation du glyphosate par l’Union Européenne en novembre 2017, la France fait figure d’exception parmi les pays membres. En effet, dans les heures qui ont suivi le vote européen, le Président Macron a affirmé sa volonté d’interdire la substance en France d’ici 3 ans. La fermeté affichée par le Président sur le sujet s’oppose ainsi à la tolérance européenne globale, mais fait également réagir certains acteurs.
Le début des discussions politiques en France autour du glyphosate date de 2015. Le sujet est propulsé dans l’arène politique après l’annonce du caractère « probablement cancérigène » de la substance en mars par le CIRC. 2 mois plus tard, Ségolène Royal, alors ministre de l’écologie, fait part de son intention d’interdire la vente en libre-service de produits contenant du glyphosate dès le début de l’année 2016.
Quelques mois plus tard, en avril 2016 et alors que le produit circulait toujours librement, le Président Hollande prend officiellement position contre le glyphosate lors de la conférence environnementale. En prévision de l’expiration de l’autorisation européenne de commercialisation du glyphosate, la ministre de la santé Marisol Touraine a réaffirmé la volonté de la France de s’opposer au renouvellement de son autorisation.
Puis, pendant plus d’un an, la confusion a régné à l’échelle européenne, étouffant quelque peu le débat public. Celui-ci s’est de nouveau envenimé à la fin du mois de novembre 2017, après que les États membres de l’UE aient voté en faveur d’une prolongation de 5 ans de l’autorisation en Europe – à la surprise générale.
Les réactions à cette prolongation au sein du gouvernement ne furent pas unanimes. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture, s’est immédiatement réjoui que cet accord ait été trouvé. À l’inverse, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique, s’est dit « triste ». Cet épisode vint alimenter un conflit déjà existant entre les deux membres du gouvernement. Le Président Macron lui-même mit fin à ce désaccord sur Twitter (image twitter) en promettant l’interdiction du glyphosate en France d’ici 3 ans.
En mars 2018, la députée non inscrite Delphine Batho propose un amendement à la loi EGAlim (agriculture et alimentation) afin d’inscrire l’interdiction officielle en 2021 dans la loi. Quelques jours plus tard, elle révèle que ce document était parvenu à l’UIPP (Union des Industries pour la Protection des Plantes) 90 heures avant qu’il ne soit officiellement publié. Générations Futures s’insurge que des groupes comme Monsanto, Bayer, Sygenta – membres de l’UIPP – aient pu avoir accès à ces informations avec un temps d’avance sur les députés.
Plus récemment, dans la nuit du 28 au 29 mai 2018, les députés ont voté contre cet amendement soutenu par une quarantaine d’élus projetant d’inscrire l’interdiction officielle en 2021 dans la loi. Sur les 85 présents, 63 (dont 42 députés LREM) ont voté contre. Ce vote a provoqué des réactions de tous bords. Certains députés de droite, comme Nicolas Dupont-Aignan, ont raillé la majorité qui n’a pas voté sa propre loi. Des organismes ont par ailleurs fait entendre leur agacement : la Fondation pour la nature et l’homme estime qu’il s’agit de « non-assistance à personne en danger » ; « nos députés ne sont pas à la hauteur de l’enjeu »[3] juge de son côté la Fédération des parcs naturels régionaux. La FNSEA, à l’inverse, a rappelé que « les avancées ne doivent pas masquer l’absence de réponse au besoin de compétitivité des agriculteurs qui sont chaque jour un peu plus soumis à une concurrence déloyale de leurs productions ».
Depuis longtemps, certains acteurs manifestent leur opposition au glyphosate et tentent de se faire entendre sur le plan politique. Le vote du 29 mai représentait un réel enjeu et permit à de nombreux acteurs de revenir à la charge, à l’image de la FNH et la FPNR cités ci-dessus.
Les agriculteurs sont évidemment des acteurs centraux de cette controverse. Individuellement, seuls quelques-uns parviennent à peser dans le débat grâce à leurs fonctions politiques parallèles, comme Sandrine Le Feur. Agricultrice bio et députée du Finistère, fervente opposante au glyphosate et co-auteur de l’amendement rejeté à l’Assemblée, elle milite activement pour « une agriculture saine, respectueuse de l’environnement, qui n’utilise presque plus ou très peu de pesticides ; partout dans le monde on peut valoriser notre agriculture française ».
Sandrine Le Feur jouit donc d’une position particulière – ce qui n’est pas le cas de tous les agriculteurs. Une vaste majorité relaie sa position via des syndicats. La Confédération paysanne, 3ème syndicat agricole français, estime que « l’interdiction du glyphosate est nécessaire et urgente ». D’autre part, ils souhaiteraient voir l’État accompagner les agriculteurs dans cette transition, notamment en supprimant les accords de libre échange « qui encouragent l'abaissement des normes sanitaires et sociales ». Le Centre d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM) – groupement agricole et rural, connu pour ses systèmes de production économes et autonomes – adopte lui aussi ce point de vue et propose dans son rapport[1] 12 mesures pour sortir facilement et efficacement du glyphosate. Parmi celles-ci, la création de quota pour les distributeurs, l’interdiction pure et simple dans certaines conditions, la mise en place d’un soutien politique pour aider les agriculteurs, …
Les deux premiers syndicats agricoles – la FNSEA compte plus de 200 000 adhérents et Coordination rurale 15 000 membres – ont un point de vue proche sur la question. La FNSEA s’oppose à son interdiction mais promeut toutefois la recherche d’alternatives « crédibles ». L’avis de Coordination rurale est moins permissif : bien qu’en faveur de son utilisation, le syndicat souhaiterait voir son utilisation sur les cultures destinées à l’alimentation humaine ou animale interdite. De plus, il juge qu’un abaissement des limites maximales de résidus est nécessaire. Néanmoins, la CR s’érige en protecteur des agriculteurs français qui « utilisent le glyphosate de manière raisonnée » et vise directement les produits importés.
Des approches apolitiques et a priori objectives viennent malgré elles alimenter le débat – leurs conclusions étant toujours réutilisées par les défenseurs ou opposants au glyphosate. Ainsi, en avril 2015, l’ANSES est saisie simultanément par les ministères en charge de la consommation, de la santé, du travail, de l’écologie et de l’agriculture afin d’étudier la monographie du CIRC[4] et de statuer sur le caractère cancérigène du glyphosate pour la santé humaine. Dans son rapport[2] publié 10 mois plus tard, l’agence conclut que « l’analyse qui a été conduite montre que le niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal peut être considéré comme relativement limité et ne permet pas […] de classer le glyphosate (substance active) sur le plan des effets cancérogènes en catégorie 1B ».
Enfin, les derniers acteurs – mais sans doute pas les moins importants – sont les industriels. Sans que l’on ait de preuve concrète, certains leur reprochent de se rassembler au sein de groupes de pression pour influencer l’opinion des décisionnaires politiques. Delphine Batho avance par exemple que le gouvernement a « cédé aux lobbies », ce qui n’a pas manqué de faire réagir sur Franceinfo celui qui se sentait directement visé, le ministre de l’agriculture : « Je ne suis jamais en contact avec l’UIPP. Ça commence à bien faire. […] Cela fait des semaines et des semaines qu’on m’insulte à longueur de journée, en disant que je suis aux mains des lobbies. C’est quoi, les lobbies ? Est-ce que c’est la FNSEA, est-ce que c’est la Coordination rurale, est-ce que c’est la Confédération paysanne, qui sont les organisations syndicales ? »
En tant que membre de l’Union Européenne, la France est directement impactée par les décisions qui y sont prises. Ces décisions conduisent souvent à un débat dont les conclusions – dans le cas du glyphosate – tendent à s’opposer aux réglementations européennes. En 2018, les différences sont quasi-inexistantes. Le fossé se sera-t-il creusé en 2021 ?