Le glyphosate est un sujet sensible et très médiatisé au sein de la sphère politique européenne depuis quelques années. Le flottement politique des années 2016-2017, pendant lesquelles la Commission n’est pas parvenue à prendre une décision concernant la réautorisation du principe actif faute de majorité, montre bien à quel point ce sujet est complexe. Cet axe d’étude est très étroitement lié au conflit scientifique européen concernant la toxicité du glyphosate.
En Europe, les réglementations concernant l’usage des produits phytosanitaires “glyphosatés” étaient fixées à l’échelle nationale jusqu’en 2002. Cette année-là, la commission européenne publie une directive donnant son approbation pour son utilisation en Europe, centralisant ainsi la réglementation concernant le principe actif au niveau européen. Entre 2012 et 2015 commence à se poser la question du renouvellement de cette autorisation, qui prendra fin en 2016. La commission européenne désigne en 2012 l’Allemagne comme état rapporteur qui doit se charger de fournir un pré-rapport à l'EFSA sur la toxicité du glyphosate - c’est la procédure habituelle pour juger de la toxicité d’un pesticide. L’Allemagne désigne le BfR (Bundesinstitut für Risikobewertung: Institut fédéral d’évaluation des risques) pour se charger de l’étude. L’EFSA reprendra alors ce pré-rapport comme base pour son étude pour la commission européenne et annoncera en novembre 2015 qu’il est improbable que le glyphosate présente un danger d’ordre cancérigène pour l’homme.
Début 2016, la commission propose aux États membres de renouveler l’autorisation du glyphosate en Europe, mais aucune majorité suffisante ne se dessine pour ou contre la proposition. Étant donné les opinions divergentes de l’EFSA et du CIRC (qui avait classé le glyphosate comme cancérigène probable en mars 2015[1]), il a été considéré qu’il valait mieux attendre l’avis d’une autre instance scientifique pour se prononcer. La commission fait donc appel au Risk Assessment commiteede l’ECHA (European Chemicals Agency) qui est l’agence européenne en charge de l’évaluation des produits chimiques pour évaluer le danger de la substance avant de prendre une décision politique.
L’ECHA est l’agence européenne qui s’occupe du processus de classification des produits chimiques et qui met en place la réglementation d’étiquetage pour que les consommateurs soient informés des toxicités des produits qu’ils utilisent. Ils listent donc les propriétés de dangerosité des différents principes actifs : inflammable, corrosif, toxique, etc.
Les membres du Risk Assessment Committee sont proposés par les États membres de l’Union Européenne puis désignés par le conseil d’administration de l’ECHA.
Le directeur de la gestion des risques de l’ECHA souligne dans une interview[2] que l’agence n’étudie que les propriétés de dangerosité du principe actif (ici le glyphosate) et non pas les risques généraux engendrés par des produits qui peuvent contenir le principe actif lors de son utilisation (le Roundup par exemple).
Le 29 juin 2016, la commission appelle à voter au sujet du renouvellement de l’autorisation du glyphosate mais n’obtient toujours pas de majorité. Il a donc été décidé que l’autorisation d’utilisation du glyphosate serait renouvelée pour une période allant jusqu’à 6 mois après le rendu du rapport de l’ECHA et se terminant au plus tard le 31 décembre 2017. L’ECHA remet son rapport le 15 juin 2017, ce qui fixe la fin de la période d’autorisation au 15 décembre 2017. Dans son rapport, l’ECHA confirme la position de l’EFSA. Pour eux :
Une consultation publique est organisée par l’ECHA autour de ce dossier et toute personne qui le souhaite est invitée à venir ajouter une opinion ou des pièces supplémentaires au dossier. L’ECHA a donc reçu près de 300 commentaires sur le cas du glyphosate qu’ils ont publiés sur leur site et auxquels ils se sont efforcés de répondre. Leur rapport se veut être une confrontation de tous les points de vue sur la question de la toxicité du glyphosate.
Après l’annonce de l’ECHA, la discussion concernant la prolongation d’autorisation du glyphosate reprend au sein de la commission européenne. Il est proposé un renouvellement sur 10 ans. Fin novembre 2017, c’est finalement un renouvellement sur 5 ans qui est voté par la commission européenne. Le ministre de l’agriculture allemand Christian Schmidt avait d’ailleurs voté de façon surprenante pour le renouvellement, s’opposant à la décision de son gouvernement et faisant ainsi pencher la balance en faveur du vote pour. Cet événement avait suscité des tensions au sein du gouvernement allemand, et la SPD (le parti social-démocrate allemand) avait même qualifié l’acte de « rupture de confiance »[3].
Le texte est adopté le 12 décembre 2017. Dans une fiche d’information disponible sur le site de la commission européenne[4], il est résumé les points importants concernant cette mesure :
« Strasbourg, le 12 décembre 2017
Pourquoi la Commission n'a-t-elle pas interdit le glyphosate?
Il n'existe à ce jour aucune raison scientifique ni juridique justifiant une interdiction du glyphosate. À l'issue d'une procédure scientifique approfondie et transparente, dans le cadre de laquelle plus de 6 000 pages ont été rendues publiques, l'évaluation des risques de l'UE a conclu que le glyphosate ne provoque pas le cancer et qu'il ne présente pas non plus de risque inacceptable pour l'environnement lorsqu'il est utilisé conformément aux bonnes pratiques agricoles. À la suite de cette évaluation scientifique rigoureuse de toutes les données disponibles concernant le glyphosate et d'un vote favorable des représentants des États membres le 27 novembre 2017, la Commission a adopté aujourd'hui le texte renouvelant l'approbation du glyphosate pour une période de 5 ans.
Les autorités nationales du Canada, du Japon, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande ainsi que la « Réunion conjointe FAO/OMS sur les résidus de pesticides » (JMPR) sont parvenues à la même conclusion. Une seule agence – le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – a un avis divergent quant à l'évaluation d'un lien possible entre glyphosate et cancer chez l'être humain. »
Le document en question explique également pourquoi le renouvellement se restreint finalement à 5 ans. Pour la commission, les avancées scientifiques dans ce domaine sont rapides et la fréquence de publication est élevée. Ainsi, si de nouveaux éléments devaient s’ajouter au débat, un renouvellement sur une durée plus courte serait plus adaptée.
Le 8 février 2017, un rassemblement d’ONG dirigé notamment par GLOBAL 2000 lance une initiative citoyenne européenne (ICE) nommée « Stop Glyphosate ». La pétition atteint 1,3 millions de signatures en décembre 2017[5]. Cette pétition a une valeur légale et la commission européenne doit lui donner suite.
L’ICE insistait particulièrement sur 3 points :
La Commission européenne est restée imprécise sur les réponses à ces questionnements, considérant « sans fondement » les « inquiétudes et allégations » de la société civile. Les ONG à l’origine de l’ICE réagissent :
Le 4 décembre, GLOBAL 2000 et Pesticide Action Network (PAN) déposent plainte pénalement contre le BFR et l’EFSA auprès des parquets de Vienne et de Berlin. Ils jugent que leurs deux rapports sont trop fortement inspirés d’un document déposé par Monsanto en 2012 au nom de la Glyphosate Task Force. Pour eux, le BfR et l’EFSA "n'ont pas établi une évaluation indépendante, objective et transparente des risques pour la santé du glyphosate" comme le prévoit normalement le règlement européen du 21 octobre 2009 qui porte sur la mise sur le marché des produits phytosanitaires.
Malgré la décision de la Commission européenne de renouveler l’autorisation du glyphosate en Europe pour 5 ans, les pays membres peuvent tout à fait se prononcer sur l’autorisation d’utilisation de différents pesticides. Ainsi Emmanuel Macron a annoncé vouloir en finir avec le glyphosate d’ici 3 ans ce qui amène donc à se poser de nouvelles questions concernant la politique française.
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