La question des données

Aujourd’hui, la guerre des intérêts au sujet de la chasse conduit à de nombreux conflits autour des données. En effet, l’objet étudié étant une population animale, parfois fortement mobile (oiseaux migrateurs), et dont la dynamique et les rapports au biotope sont peu clairs, il est difficile d’obtenir des conclusions univoques sur la santé d’une espèce. Résulte alors la possibilité d’influencer les décisions et de les critiquer.

Le cheminement des données

La question autour des données est essentielle dans les conflits d’intérêts opposant chasseurs et ONG.

Étonnamment, une voix officielle peine à s’affirmer. La FNC souligne un manque d’effectif dans les organismes nationaux ( ONCFS et AFB). Ceux-ci sont dans l’incapacité de suivre toutes les espèces chassables au quotidien et ont donc nécessairement besoin de l’expertise bénévole ajoutée par les chasseurs. Le rapport BIPE 2 [33] publié en 2017 par la FNC précise que l’apport du chasseur à la gestion des espèces, dont font partie les comptages et analyses, s’élève à un apport de 97 millions d’euros (27% des 360 millions d’euros évalués aux apports de la chasse à la nature).

Les associations de protection des animaux réalisent également des comptages et de la collecte de données. Par exemple l’association 30 millions d’amis, fervente opposante à la chasse, rapporte sur son site web réaliser du « comptage des oiseaux migrateurs ».

Cette multipolarité s’affirme également dans la manière dont les décisions sont prises au niveau ministériel. Le Ministre de l’écologie et de la transition énergétique est le seul à pouvoir décider d’ouvrir/fermer la chasse, modifier le statut d’une espèce ou mettre en place les quotas liés à la gestion adaptative, mais toute réflexion se fait en présence des membres de différents partis : tant les experts de l’ONCFS que des représentants d’associations de chasseurs ou de membres d’associations de protection de la faune sauvage.

L’ONCFS explique toutefois que sur le terrain, les données sont partagées avec « toutes les bonnes volontés » entre fédération de chasseurs et associations de protection. La FNC quant à elle avoue que les désaccords sont souvent médiatiques et macroscopiques et qu’à l’échelle locale la plupart des parties travaillent ensemble.

On peut alors dresser une représentation schématique du circuit des données :

 

Circuit des données – Infographie : Groupe 11 Controverse Mines ParisTech

La science pour se mettre d'accord ?

C’est au ministère que sont prises les décisions, les différentes parties jouent un rôle de conseil. Les ingénieurs à l’ONCFS, un organisme national, précisent que ce rôle repose sur une analyse et une interprétation de données par des scientifiques. D’un autre côté l’émergence depuis les années 2000 de « tiers scientifiques » dans les fédérations de chasseurs et chez les défenseurs de la nature crée un nouveau nœud de débat autour d’un biais de la donnée scientifique.

L’article scientifique Le tiers scientifique, nouvel acteur dans les conflits de nature entre chasseurs et environnementalistes de Christophe Baticle, publié dans Négociations en 2015 [20] explique que « L’expertise scientifique comme nouveau mode de régulation des légitimés » rend désormais service au lobbying politique afin d’appuyer leurs revendications grâce à des arguments forts. « . Ainsi, « Le lobbying politique doit s’asseoir sur des éléments probants quant à l’administration d’une nature sous microscope. »

Des équipes scientifiques se mettent alors en place chez les chasseurs : au niveau départemental, régional et national (FNC); mais aussi dans les associations de protection de la nature. Par exemple, la LPO sur son site internet décrit son conseil scientifique et technique : 

"Par son rôle consultatif, il discute, délibère et émet des recommandations sur toute question à court, moyen ou long terme, impactant la stratégie scientifique de la LPO. " ​

Cette multitude d’acteurs scientifiques ne permet pourtant pas d’aboutir à un consensus mais contribue à brouiller les informations et à renforcer les pressions lobbyistes. Les résultats sont alors utilisés quand ils conviennent à un parti.

« Il faut arrêter de prendre les résultats des études uniquement quand ils leur conviennent »
Pierre Maigre
Président de la LPO Hérault

Alors comment la science peut-elle être source de désaccords ?

Les désaccords d’analyse à propos de l’état de conservation d’une espèce reposent sur des biais liés aux protocoles scientifiques ayant pour objet l’étude d’une population animale. Ces biais sont de différents types :

  • Dans l’article Implementation uncertainty when using recreational hunting to manage carnivores du Journal of Applied Ecology publié en 2012, [21] les différents points d’analyse sur des populations carnivores du nord de l’Europe (Estonie, Norvège) résultent sur un certain biais. Ce sont des modèles statistiques qui font état d’un aléa assez fort, ce qui a pour conséquence de rendre difficile la réalisation de quotas dans le nouveau principe de gestion adaptative.
  • Le rapport Comparaison des méthodes de suivi des populations de blaireau, meles meles, en région Bourgogne et Franche-Comté, [29] publié par l’ONCFS et les fédérations régionales cynégétiques concernées en 2007, montre que toute méthode de comptage employée amène à une certain biais sur les données et donc sur les analyses qui en ressortent. Voici sur cet exemple, les différentes méthodes employées et leur biais respectif :

 

Méthodes de comptage des blaireaux en Bourgogne et Franche-Comté, Infographie : Groupe 11 Controverse Mines ParisTech, Informations : Rapport ONCFS et associations régionales cynégétiques

Des associations comme la LPO critiquent souvent ce biais et en font un argument pour arrêter ou diminuer la chasse en raison de ces fortes incertitudes. 

Certains acteurs du monde cynégétique confirment alors que ce sont les protocoles et la manière dont sont obtenues les données servant aux modèles qui sont les points les plus profonds de tension entre chasseurs et associations écologistes.


L’influence des données est donc certaine au sein des cercles de décision. Si les différents groupes d’intérêts divergents tendent à s’entendre sur le terrain et à partager des informations, à l’échelle nationale l’expertise scientifique est convoquée pour influencer les décisions. Il demeure donc un débat sur les protocoles et les biais liés à l’acquisition de ces données scientifiques.

"Pour le faisan vénéré, l’estimation se situe par exemple dans une fourchette entre 78 029 et 143 477 animaux abattus"

Certains acteurs du monde cynégétique confirment alors que ce sont les protocoles et la manière dont sont obtenues les données servant aux modèles qui sont les points les plus profonds de tension entre chasseurs et associations écologistes.


L’influence des données est donc certaine au sein des cercles de décision. Si les différents groupes d’intérêts divergents tendent à s’entendre sur le terrain et à partager des informations, à l’échelle nationale l’expertise scientifique est convoquée pour influencer les décisions. Il demeure donc un débat sur les protocoles et les biais liés à l’acquisition de ces données scientifiques.

ACTEURS

Vous pouvez ici vous renseigner sur les acteurs qui interviennent dans cette controverse.

EN SAVOIR PLUS

CHRONOLOGIE

Une frise chronologique répertoriant les différents événements marquants de la controverse est proposée ici.

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BIBLIOGRAPHIE

Nous avons listé toutes les références (articles de presse, rapport, littérature scientifique, etc.), et citations que nous utilisons ici. 

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