PLAYLIST - LES DIFFICULTÉS DU LÉGISLATEUR POUR RÉGULER LE STREAMING
La confrontation entre la loi française et des stratégies de multinationales | La multitude des acteurs comme obstacle au progrès de la filière
Acteurs en jeu
♫ Les obstacles pratiques au droit souple
L’usage de droit souple pour réguler la filière musicale amène cependant à de nombreuses difficultés. Une grande faiblesse de ce modèle selon le journaliste que nous avons rencontré est que dans le cas de la musique, réunir la pléthore d’acteurs impliqués qui ont de nombreux désaccords entre eux sur beaucoup de sujets n’est pas très productif.
Tout d’abord, d’après le rapport Phéline mais aussi selon des acteurs du marché comme la GAM (Guilde des Artistes de la Musique), les Majors freinent beaucoup les négociations. D’une part la situation actuelle les avantage (injustement selon des acteurs comme la GAM ou l’ESML, syndicat des plateformes), d’autre part les majors ne sont pas des acteurs monolithiques et décider d’une position publique peut leur prendre du temps. Ce comportement des majors ralentit considérablement les négociations, qui sont pourtant le point central du droit souple. [21]
♫ Le difficile consensus d'acteurs aux avis divergents
Une autre difficulté importante concernant le droit souple est que les accords qui en émergent doivent être appuyés par le plus d’acteurs possibles du marché. Or l’industrie est composée d’un très grand nombre d’intervenants. Certains de ces acteurs représentent des groupes dont les avis sont divergents (par exemple les plateformes d’hébergement et les éditeurs de services de musique en ligne ont souvent des intérêts divergents). Par suite, des acteurs comme la GAM se plaignent du fait que les négociations entre les différentes parties n’aboutissent souvent à rien et que l’industrie musicale ne puisse pas avancer.
On trouve aussi le cas de figure d’acteurs qui représentent le même groupe d’individus mais défendent des positions antagonistes. C’est notamment le cas de la GAM et de l’ADAMI (Société civile pour l’Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes) [23], qui devraient toutes deux défendre les intérêts des artistes, mais se retrouvent souvent en opposition dans les débats et notamment lors de la médiation Schwartz que l’ADAMI n’a pas signé en 2015.
Cela s’explique par le fait que la GAM et l’ADAMI soient des structures très différentes: la GAM est une association gérée par des artistes qui souhaitent s’assurer que leur voix ne soit pas détournée par d’autres acteurs; l’ADAMI est une société de gestion collective de droits d’artistes, qui doit entre autre faire du profit pour perdurer, même si défendre les artistes est une de ses missions principales.
Une autre limite de ce modèle est que les accords de droits souple ne restent valables qu’un nombre fini d’années après leur négociation (deux ans pour la mission Hoog, trois ans pour la médiation Schwartz). Au terme de cette période, les engagements pris pendant ces négociations cessent leur effet et il faut en théorie réunir à nouveau les acteurs impliqués pour définir de nouvelles règles de conduite. En pratique, cela n’a été fait ni pour les engagements Hoog ni pour la médiation Schwartz, en grande partie à cause de la multiplicité (et réticence) des acteurs impliqués.
♫ Le CNM comme nouveau vecteur de régulation
Toutes ces difficultés ont poussé le législateur à chercher une nouvelle façon de réguler l’industrie musicale. Un premier dispositif existe depuis la médiation Schwartz (2015) en la personne du médiateur de la musique. Toutefois, comme l’a fait remarquer le journaliste indépendant interviewé, ce médiateur n’est pas capable seul de faire avancer la régulation de l’industrie musicale car il se heurte aux mêmes problèmes que les missions ministérielles qui l’ont précédés, à savoir l’éclatement du monde musical et le blocage des négociations par les multinationales. [13]
Le futur Centre National de la Musique, souhaité dès 2013 par la GAM et soutenu par d’autres acteurs comme l’UPFI (Union des Producteurs Phonographiques Indépendants), est censé corriger ces travers. Le principe du CNM est de s’inspirer de ce qui est fait pour le cinéma, en donnant à tous les acteurs du monde de la musique un siège en son sein. [56]
Ainsi, les négociations qui sont organisées aujourd’hui ponctuellement à l’occasion de missions ministérielles pourraient se faire de façon plus progressive sans que personne ne soit oublié ni que l’un des acteurs empêche tout le monde d’avancer par son absence. Le Centre National de la musique a été validé en 2018 par l’ancienne ministre Françoise Nyssen et devrait ouvrir le 1er Janvier 2020. [54] [55]