La médecine du XXieme siècle est marquée par un allongement spectaculaire de la durée moyenne de la vie. A l’aube du XXIième, certains parlent déjà d’immortalité en termes scientifiques. Aubrey de Grey, informaticien de formation et biogérontologue autodidacte, chercheur à Cambridge, affirme ainsi que « la personne qui vivra éternellement est peut être déjà née ». Sans avoir jamais réalisé la moindre expérience en laboratoire de biologie, cet homme est convaincu d’avoir formulé la théorie qui devrait permettre aux hommes de vivre plusieurs milliers d’années : le vieillissement est le fruit de sept processus biologiques contre lesquels Aubrey de Grey a développé autant de stratégies. C’est la mort de la mort.
Ce projet semble fou. Pourtant, de nombreux acteurs de la science moderne, parfois malgré eux, lui accordent une crédibilité notable. Le MIT à travers sa « Technology Review » a ainsi promis une forte somme d’argent à qui parviendrait à trouver des arguments pour montrer que la théorie d’Aubrey de Grey est irréaliste, et a réuni un jury pour juger de la pertinence de ces arguments.
Comment cet homme et ceux qui l’entourent parviennent-ils à vendre un tel projet ? L’immortalité nous est-elle réellement accessible ? Les enjeux liés à ces deux questions sont multiples.
Tout d’abord, l’enjeu est scientifique. Le moyen d’atteindre l’immortalité serait une découverte révolutionnaire du même ordre d’importance que les travaux de Newton ou Darwin, mais affirmer aussi crûment être si près du but met en jeu toute la crédibilité de la gérontologie, de la biologie et des institutions prêtes à prendre part dans cette controverse.
L’enjeu est aussi, bien évidemment, financier. L’immortalité est un fantasme séculaire sur lequel ceux qui travaillent sur l’allongement de la vie pourraient jouer pour obtenir des financements. C’est le régime des grandes promesses qui a souvent été utilisé en bio et nanotechnologies.
Mais surtout, l’enjeu de ces questions est social. Devenir immortel impliquerait un bouleversement énorme tant pour l’individu que pour la société elle-même. Notre vie s’organise pour une existence de soixante-dix à quatre-vingt ans, à laquelle nous nous sommes préparés et qui se répartit en grandes phases clairement identifiées. Mais nous ne savons pas comment notre vie s’organiserait si nous avions brutalement quelques milliers d’années devant nous. Du système scolaire au régime de retraite en passant par la famille, toutes les institutions sociales se verraient remises en question. En particulier, l’enfantement prendrait une place toute particulière et pourrait même aller, selon certains, jusqu'à disparaître.
Enfin l’enjeu est philosophique : si elle est sans fin, la vie a-t-elle plus d'intérêts ?