Synthèse scientifique
Avertissement :
En France, le débat est avant tout un débat d'opinion, plus qu'un débat d'économistes. En effet, le débat "technique" est assez limité du fait d'un manque de données due à l'absence de transparence sur les rémunérations des dirigeants jusqu'en 2000.
L'opinion conteste les montants attribués plutôt que le mode de rémunération ; le législateur réagit à ces oppositions en proposant de nouvelles régulations visant à limiter les comportements jugés abusifs par l'opinion. L'essentiel de la recherche française en la matière se concentre donc sur la fiscalité et les contraintes réglementaires.
C'est aux Etats-Unis que la controverse est la plus vive sur la question des stock options, et que la littérature est abondante. Ceux qui publient sont en général des professeurs d'économie des universités de l' "Ivy League". Au cours de nos recherches dans différentes bases de données, nous avons identifié 70 articles dans des revues de premier plan traitant des stock-options, et nous n'avons pas vraiment rencontré d'écoles de pensée chez les économistes qui traitent de la question. La théorie principal-agent est le plus souvent le cadre de leurs études sur les stock-options. Cela ne les empêche pour autant pas d'élaborer des modèles plus complexes, afin de comprendre plus globalement le problème de la rémunération des dirigeants. C'est précisément la jeunesse du débat et la recherche constante pour trouver des modèles économiques adaptés qui font qu'il n'existe pas encore vraiment de courants de pensée en la matière. On peut ainsi voir les plus grands experts affiner leur opinion et remettre en question leurs modèles au vu des constatations empiriques imposées par les changements économiques.
La première question qui vient à l'esprit est de savoir quels sont les effets des stock-options sur la gestion de l'entreprise; Cela soulève des problématiques intrinsèques aux stock-options auxquelles l'ingénierie financière propose des solutions qui ne font pas forcément l'unanimité.
1. Effets sur la Gestion
Le but principal des stock-options est d'inciter le dirigeant à effectuer une bonne gestion de l'entreprise afin de satisfaire les actionnaires. Les experts se demandent si ce mode rémunération atteint son but principal.
a) La prise des risques
Un "bonne" gestion se traduit souvent par une gestion comportant une prise de risques. Dans la mesure où la valeur d'une option augmente quand le cours de l'action augmente, le dirigeant a intérêt a priori de faire augmenter la volatilité de l'action, en prenant des risques dans sa gestion [1]. Une des conséquences que les experts envisagent est un transfert des richesses des détenteurs d'obligations vers les actionnaires [2] du fait des perspectives de gain que la plus grande volatilté des actions permet d'entrevoir.
Cette relation entre l'attribution de stock-options et la prise de risques n'est pas seulement intuitive, elle a un support théorique qui est le modèle de Black-Scholes pour le calcul de la valeur des options. Une de ses propriétés est qu'il attribue une valeur d'autant plus grande à l'option que la volatilité du sous-jacent est grande ce qui explique l'intérêt du gestionnaire détenteur de stock options à pratiquer une politique de prise de risques. Les actionnaires veulent (dans une certaine mesure) inciter le dirigeant à prendre des risques, ce qui justifie le recours à des stock-options, mais elles ne sont pas toujours efficaces dans ce rôle [5].
b)L'aléa moral
L'aléa moral désigne le fait qu'une des parties qui signe un contrat puisse faire des actions cachées après que le contrat a été signé. Cela pose notamment un problème de gouvernance d'entreprise qui est de savoir si les managers décident ou non d'exercer leurs stock-options en fonction d'informations internes dont ils disposent du fait de leurs fonctions. S'ils le font, ils commettent un délit d'initié, et agissent de façon cachée car nul ne peut savoir avec certitude la raison de l'exercice des options par le dirigeant. Même si c'est un délit, il n'est puni que dans les cas particulièrement flagrants, et les économistes tentent de mesurer son importance en observant les corrélations entre les instants
d'exercice et l'évolution des cours de bourse [3].
c) La politique des dividendes
Quand une entreprise fait des bénéfices elle peut choisir de les réinvestir ou de les verser sous forme de dividendes aux actionnaires. Dans le premier cas, le marché en tient compte, l'action s'apprécie et cela tend à augmenter la volatilité et dans le second cas à satisfaire les actionnaires à long terme, qui détiennent le titre et en attendent un rendement périodique (yield stock). Que va choisir le dirigeant qui possède des stock-options? A priori, il a tendance à ne pas distribuer de dividendes, et ceci se vérifie empiriquement [4]. La littérature montre toutefois que ses décisions dépendent notamment de l'importance du problème d'agence auquel est soumise son entreprise.
d) L'efficacité pour les actionnaires
Les actionnaires cherchent à avoir un bon dirigeant à la tête de leur entreprise. Les stock options sont-elles un moyen de sélectionner des bons managers? Ainsi des stock options qui ont été accordées à un bon manager depuis plusieurs années et qui sont arrivées à la monnaie à la suite de bons résultats de l'entreprise vont-elles le freiner et l'empêcher de prendre des risques? A l'inverse si un mauvais dirigeant se voit attribuer des stock-options qui sont exerçables rapidement va-t-il être tenté de mener une politique hasardeuse dans le seul but d'augmenter la volatilité? [5]
2. Derrière les scandales, de nouvelles controverses techniques
a) La valeur des stock-options
Une stock option n'est pas une option comme les autres. En effet elle est non transférable, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être échangée sur un marché puisqu'elle ne peut être exercée que par une personne, à priori le dirigeant au moment de son départ. Enfin la personne qui en dispose n'est pas un investisseur à portefeuille diversifié, par conséquent elle ne peut pas se protéger du risque lié à l'entreprise.
D'où la question de savoir comment évaluer les stock options, notamment dans le cadre des régulations comptables. Le modèle classique de valorisation d'une option est le modèle de Black-Scholes. Il faut donc apporter des modifications à cette modélisation afin de tenir compte des spécificités des stock-options. La question qui est de savoir comment s'y prendre se situe à la frontière entre l'Economie et les Mathématiques Financières [6] [7]. Pour ce problème de "pricing" deux écoles se dégagent, il y a ceux qui considèrent que les stock options sont sur-évaluées [8] [6] et ceux qui les trouvent sous-évaluées [7] [9]. Le débat actuel tranche plutôt en faveur d'une sous évaluation dans les déclarations comptables des entreprises, tant théorique (due au modèle utilisé) que pratique (due aux pratiques comptables de l'entreprise).
b) Le repricing des stock options
La pratique du réajustement du prix d'exercice(ou repricing) des stock options choque les actionnaires qui y voient une manière de défendre les mauvais patrons, le repricing étant presque toujours fait vers le bas. Si beaucoup la considèrent comme un scandale supplémentaire, derrière cette pratique se cache la recherche du salaire efficient. En effet, les entreprises cherchent le meilleur manager possible et veulent rester concurrentielles du point de vue de la rémunération même si la situation économique de l'entreprise n'est pas à son meilleur niveau.
Un concensus sur la base d'études empiriques émerge : les jeunes entreprises, spécialement celles issues de l'univers high tech ont une tendance forte à repricer [10]. Dès 1987 des experts ont commencé à essayer de savoir si le repricing des stock options irait de pair ou non avec de bons résultats pour l'entreprise [11] [12]. Pour savoir si le repricing est optimal certains économistes avancent de nouveaux paramètres qui sont autant de pistes de recherche, l'un de ces paramètres étant la capacité que le dirigeant a d'influencer le repricing. Cette capacité rend-elle le repricing optimum [13], et que dire dans le cas où le conseil d'administration est dominé par des membres de la société ? certains concluent qu'il y a là un repricing "opportuniste", car corrélé avec de mauvaises performances [14].
3. Vers de nouvelles stock-options?
a) La modulation du prix d'exercice
Le prix d'exercice de la stock option est un paramètre qui peut considérablement modifier la nature du produit. Une idée qui a surgit au cours des années 90 a été d'introduire de nouvelles stock options dont le prix d'exercice est au-dessus du cours de bourse du sous-jacent au moment de l'attribution des options (premium options). Les économistes se sont astreints prévoir l'impact de ce nouveau mode de rémunération [15]. A l'aide de considérations empiriques certains ont démontré l'influence que cette rémunération pouvait avoir sur un indicateur de sensibilité de la rémunération à la performance [16]. La question s'est alors posée de manière plus globale : quel est le prix d'exercice optimal des stock options ? [15]
b) Des stock-options dynamiques
Afin de prendre en compte la pratique (qui choque les actionnaires) de repricing dans les stock-options, des stock-options indexées sur la performance globale du marché ont été créées. Elles permettent une rémunération du dirigeant s'il fait mieux que ses concurrents. Les comités de normes comptables ont décidé d'adopter une fiscalité punitive vis-à-vis de ces stock-options [17]. Ils ont pris cette décision alors que la question n'a pas encore été tranchée par les spécialistes qui selon leur modèle ont des positions favorables [18] ou défavorables [19].
Conclusion Nous avons donc constaté que la majorité des articles qui traitent de la question des stock-options se basent sur la théorie principal-agent. Cependant aujourd'hui le principal est éclaté entre un nombre important d'actionnaires aux intérêts hétérogènes, ce qui compromet la pertinence du modèle. Ainsi certains articles récents cherchent à élargir la notion de principal-agent en faisant intervenir une tierce partie : le conseil d'administration [20].
Ces nouvelles approches permettront peut être de mieux rendre compte dans les modèles des mécanismes d'attribution (et de négociation ?) réels des stock-options des dirigeants, tandis que l'ingénierie financière et les progrès des modèles de valorisation permettront de modifier les stock-options pour en faire des outils d'incitation plus finement paramétrables, et doncplus efficaces et peut être moins contestés.
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